1. Résultats

1.1. Le script de l’interaction

Certaines interactions se réalisent en suivant ce que j’ai appelé le squelette du script, c’est-à-dire que seuls les éléments essentiels à la transaction et à son bon déroulement sont actualisés. À ce script minimal, d’autres éléments supplémentaires mais facultatifs peuvent venir se greffer. Les éléments minimaux comprennent les rituels d’accès (un ouvreur et un clôturant pour chacun des interactants), la formulation d’une demande par le cliager, la délivrance du bien ou du service par le commagent, un remerciement du cliager à réception, et un remerciement du commagent dans le cas d’une rémunération et parfois du cliager lors du rendu de monnaie. Les ajouts au squelette du script peuvent revêtir de nombreuses formes, mais les plus communes prennent la forme de salutations complémentaires ou de modules conversationnels. Le script minimal de l’interaction est toujours en vigueur à la mairie et au Crédit Agricole tandis que les scripts sur lesquels viennent se greffer des éléments supplémentaires se retrouvent essentiellement au tabac-presse et à la librairie-papeterie-presse. De ce point de vue, La Poste apparaît comme un site intermédiaire où les deux types de scripts se rencontrent dans des proportions relativement similaires.

Un autre point en relation avec le script concerne le découpage séquentiel effectué entre les composantes transactionnelle et relationnelle qui est quelque peu artificiel. Dans la réalité, les deux types s’entremêlent tant au niveau macro qu’au niveau micro, au niveau des activités langagières qu’au niveau des activités non-langagières. Il est apparu à plusieurs reprises que le passage de la séquence d’ouverture à la transaction, puis de la transaction à la séquence de clôture, s’il s’effectue parfois par le biais d’une rupture, peut également se faire par un processus de glissement interdisant toute délimitation nette des séquences. Les interactions recueillies sur les cinq sites ne sont cependant pas égales devant ce phénomène. En ouverture d’interaction, tous les ouvreurs débouchent sur le début de la transaction avec la formulation d’une demande par le cliager à la mairie, et presque tous au Crédit Agricole puisqu’on ne rencontre qu’un seul cas de salutations complémentaires préliminaires à la transaction ; la majorité de ces salutations complémentaires impliquant une entrée progressive dans la transaction à la librairie-papeterie-presse et au tabac-presse. À La Poste, ce procédé de glissement de l’ouverture vers la transaction est attesté, mais dans de faibles proportions : un peu moins d’une interaction sur dix.

À la fin de la transaction, le cas le plus problématique est soulevé par la présence de certains remerciements auxquels il est difficile d’attribuer nettement une valeur en rapport avec la transaction ou avec la clôture de l’interaction. Ils semblent fonctionner à la fois comme bilan de la transaction et comme pré-clôture de l’interaction. Ce problème de délimitation des séquences ne s’actualise toutefois pas sur tous les sites dans la mesure où la plupart des remerciements problématiques font leur apparition au moment où le cliager vient de fournir une compensation financière pour le bien ou le service et ne se voit pas remettre de monnaie. Les interactions à la mairie et au Crédit Agricole ne sont donc pas concernées par ces problèmes : les remerciements des cliagers font suite à la mise à disposition du bien ou du service qu’ils viennent sanctionner. Rappelons ici que l’argent échangé entre les participants au Crédit Agricole n’a pas de valeur de rétribution : il constitue le bien lui-même. Ces remerciements difficiles à rattacher à la transaction ou à la clôture de l’interaction font donc leur apparition sur les sites où la rétribution financière est obligatoire : le tabac-presse et la librairie-papeterie-presse, ainsi que La Poste dans une moindre mesure car seule une partie des interactions – celles en rapport avec les timbres, enveloppes, et envois divers par courrier – font l’objet d’une compensation financière.

Ces problèmes de découpage séquentiel rencontrés au fur et à mesure soulèvent la question de la pertinence de ce découpage : si les interactions de commerce et de service se composent effectivement de séquences encadrantes à fonction d’ouverture et de clôture et d’un corps abritant la transaction, pourquoi ne se laissent-elles pas appréhender facilement ? Est-ce faire fausse route que d’envisager les interactions de commerce et de service comme étant composées de trois séquences majeures ? Il serait, en effet, possible de considérer ces interactions comme une seule séquence transactionnelle à laquelle les rituels d’accès seraient intégrés. De ce point de vue, il serait cependant difficile de rendre compte des interactions dans lesquelles le rituel d’ouverture ou le rituel de clôture n’est pas actualisé. Des analyses effectuées ainsi que des problèmes de répartition en séquences rencontrés, il ressort que le script de l’interaction de commerce et de service comprend obligatoirement une séquence transactionnelle. Autour de cette séquence transactionnelle peuvent venir se greffer des séquences démarcatives qui débordent de la transaction mais font partie intégrante de l’interaction. L’interaction de commerce et de service peut donc parfois se limiter à l’actualisation de la séquence transactionnelle, ou bien être développée par l’actualisation de rituels d’accès, le passage d’une séquence à l’autre s’effectuant de manière plus ou moins floue. Les interactions questionnées ici comprennent, pour la plupart, ces trois séquences, mais il ne faut cependant pas généraliser l’actualisation des séquences encadrantes à toutes les interactions de commerce et de service : le script de certaines d’entre elles ne prévoit pas de séquences démarcatives (cf., par exemple, les demandes d’itinéraires aux TCL auquel le corpus de Mena (2000) donne accès).