1.3. Isolation des composantes transactionnelles et relationnelles

Deux problèmes en relation avec l’isolation des composantes transactionnelles et relationnelles doivent être clairement distingués dans la mesure où ils constituent deux axes classificatoires distincts. Le premier a trait à la superposition de ces deux composantes quand le second concerne l’amalgame des unités transactionnelles et de la politesse qui les accompagne. Ainsi, au sein d’une même séquence, les composantes transactionnelles et relationnelles sont si étroitement liées qu’il est parfois délicat de les différencier. Dans certains cas, la superposition de la transaction et d’un module conversationnel interdit toute séparation nette entre les deux composantes, principalement dans les interactions où la transaction se déroule gestuellement alors que le canal verbal est monopolisé par le développement des thèmes conversationnels. Les interactions dans lesquelles la transaction se déroule sur le mode gestuel ne peuvent être restituées que par la prise en compte des gestes praxiques. La présence de telles interactions transactionnelles réaffirme la nécessité de considérer les activités non-langagières intervenant dans le déroulement de l’action : une étude exclusivement langagière de ce type d’interactions laisserait à penser qu’elles relèvent d’un détournement de cadre – comme les interactions rapportées par Doury (2001) et Vosghanian (2002) – et qu’il s’agit d’interactions purement conversationnelles se déroulant dans un milieu institutionnalisé.

Outre la possibilité de rendre compte de la totalité des activités langagières et non-langagières pertinentes dans la perspective des scripts, l’étude menée ici met en évidence certaines propriétés communes aux actes de langages et aux gestes praxiques. En effet, l’analyse des activités langagières, et des actes de langage en particulier, constitue un lieu d’implications d’une richesse inépuisable aidant à la compréhension de la communication humaine et des activités accomplies par les interactants. Cependant, les actes auxquels ils ont recours dans le but d’opérer une transformation sur autrui ont un fonctionnement complexe puisqu’il a été utile de distinguer des valeurs illocutoires, conversationnelles et relationnelles afin de les appréhender. Cette opération a, par ailleurs, permis de souligner une fois encore l’importance du contexte : un même acte de langage peut se voir attribuer des valeurs illocutoires, conversationnelles et relationnelles différentes en fonction du participant qui l’utilise, du cotexte ou du contexte. Parallèlement, l’analyse des gestes praxiques qui ne sont pas codés de manière systématique mais acquièrent leur sens en contexte démontre qu’ils peuvent se voir attribuer des valeurs gestuelles, communicatives et relationnelles similaires. Ces valeurs analogues confèrent aux actes de langage et aux gestes praxiques la possibilité de se regrouper et de s’organiser en échanges et les dotent d’un pouvoir d’action les uns vis-à-vis des autres. Dans le cas d’une histoire transactionnelle bien rôdée, les participants ont même la possibilité d’écarter les actes de langage et d’accomplir la transaction uniquement par le biais des gestes praxiques, réservant ainsi le canal oral au module conversationnel et à la poursuite de leur relation sociale et de leur histoire conversationnelle.

Cet amalgame de la transaction et du module conversationnel modifie, bien évidemment, le déroulement de l’interaction, principalement lorsque la transaction se réalise sur le mode gestuel et que le canal verbal est réservé à la conversation. Le script se réalise en totalité, mais une ou plusieurs étapes ne sont pas matérialisées verbalement. Les chevauchements de la transaction et du module conversationnel sont attestés au tabac-presse et à la librairie-papeterie-presse, ainsi qu’à La Poste dans quelques cas.

L’actualisation de ce type de transaction gestuelle est contraint par la relation qu’entretiennent les participants – histoires transactionnelle et relationnelle (cf. 1.4 ci-dessous).

L’autre problème posé par les composantes transactionnelle et relationnelle concerne leur amalgame à certains moment-clés de la transaction. L’acte de requête du cliager, par exemple, fait partie intégrante de la transaction et contribue même à son bon déroulement. Il a pourtant été démontré par le travail descriptif que cette requête est fréquemment transformée par des modifications internes ou externes qui n’ont d’autre valeur que relationnelle. Il n’est cependant pas toujours aisé de distinguer ces composantes : une requête formulée de manière directe et quelque peu abrupte par la seule mention du remerciement peut, selon les sites, être considérée comme une petite impolitesse, ou au contraire comme un FFA visant au respect du principe d’économie discursive et temporelle (principe de célérité). Indépendamment de ces considérations, la comparaison de l’actualisation de ces éléments sur les cinq sites reste un axe classificatoire pertinent.

Les formulations indirectes de la requête sont attestées en tant que manière privilégiée de formuler une demande à la mairie, au Crédit Agricole et à la librairie-papeterie-presse. Au tabac-presse, en revanche, ce sont les requêtes directes qui sont majoritairement employées par les cliagers. La Poste se retrouve une fois de plus avec un statut intermédiaire : formulations directes et indirectes de la requête sont attestées dans des proportions si proches qu’il est impossible de faire figurer ce site dans l’une ou l’autre des deux catégories. Le classement de la librairie-papeterie-presse dans la même catégorie que le Crédit Agricole et la mairie mérite quelques éclaircissements. L’hypothèse interprétative la plus probable consiste à admettre qu’à partir du moment où la quasi-totalité des articles se trouve en libre-service à la disposition du cliager, le fait de devoir formuler une requête le met dans une situation délicate où il se voit contrait d’admettre qu’il n’a pas su trouver lui-même ce dont il avait besoin. Une différence avec les requêtes attestées à la mairie et au Crédit Agricole apparaît néanmoins : les cliagers utilisent la stratégie indirecte figurant parmi l’une des plus directives puisqu’elle est non seulement orientée vers le récepteur, mais relève également d’un trope illocutoire.

Le problème de classement des unités en unités transactionnelles ou relationnelles concerne également le remerciement : s’il vient effectivement sanctionner un acte en rapport avec la transaction (mise à disposition du bien, paiement, rendu de monnaie, etc.), sa valeur n’en reste pas moins relationnelle. Indépendamment du participant qui l’énonce, on compte 2.43 remerciements par interaction à la librairie-papeterie-presse, 2.07 à la mairie, 1.9 à La Poste, 1.73 au tabac-presse, et 1.63 au Crédit Agricole. Il est cependant difficile d’interpréter ces résultats de manière à en faire un axe classificatoire car le nombre de paramètres qui entrent ici en jeu est conséquent. En premier lieu, le fait qu’il y ait ou non une séquence de paiement modifie le nombre de remerciements qui peuvent potentiellement être actualisés par le commagent après réception de l’argent. Il en va de même pour les situations nécessitant ou non un rendu de monnaie : en cas de rendu de monnaie, le cliager peut lui aussi énoncer un remerciement à réception. De la même manière, l’absence de rémunération pour le bien ou le service exerce une influence sur le nombre de remerciements. Mais de quelle manière ? S’il est clair que le commagent sera dispensé de remerciement, le cliager doit-il remercier davantage à réception du bien ou du service gratuit ? Le fait-il ? De plus, la présence massive de vœux énoncés par la commagente de la librairie-papeterie-presse en clôture d’interaction influe directement sur le nombre de remerciements formulés par les cliagers. Enfin, comme il a été démontré, la proximité des participants au tabac-presse les autorise à un certain relâchement dans les routines. Mais ce relâchement s’exerce-t-il sur le remerciement ? Le problème, maintes fois rencontré, quant à l’interprétation du remerciement et de ses valeurs, ressurgit ici.