2. Perspectives

Consciente du caractère quelque peu artificiel du découpage opéré entre les composantes structurelles, rituelles et thématiques des interactions de commerce et de service, j’aurais souhaité trouver une méthode d’approche qui parvienne à faire l’économie d’un tel découpage et autorise un rendu simultané de ces trois composantes dans une seule et même perspective. Un travail de thèse représente une fin en soi mais non un aboutissement : les questions et les problèmes qui ont surgi au cours de cette étude en sont les témoins car chaque problème résolu, même partiellement, débouche sur d’autres questionnements. Il est donc tout à fait envisageable que ce rendu simultané des composantes structurelles, rituelles et thématiques s’offre un jour à moi ou à tout autre chercheur épousant les mêmes intérêts.

L’acte de langage de remerciement, ainsi que les multiples problèmes de traitement qu’il a soulevés, mériterait une investigation plus approfondie, et pas seulement dans les interactions de commerce et de service. La complexité inhérente à son fonctionnement ne se cantonne certainement pas au contexte transactionnel. La meilleure chance d’apprivoiser cet acte de langage et d’en saisir les règles d’emploi ainsi que les valeurs à lui attribuer réside dans un travail multipliant les occurrences ainsi que les contextes d’emploi. Peut-être cet acte de langage se laisserait-il ainsi mieux approcher…

Dans une tout autre perspective, les échanges médiatifs engagés entre les commagents et leurs ordinateur et caisse enregistreuse pourraient faire l’objet d’une attention particulière, surtout au niveau de l’impact que cette interaction subordonnée entre le commagent et sa machine peut avoir au niveau de l’interaction principale entre le commagent et le cliager. Dans certains cas, le silence donne naissance à un module conversationnel entre le cliager et le commagent qui se trouve alors engagé simultanément dans deux interactions. De quelle manière le commagent parvient-il à gérer en même temps les deux interactions ? N’y a-t-il pas quelques ratés dans l’une ou l’autre des interactions ? Quelle est la raison sous-jacente au choix effectué par les participants de rester silencieux durant ce laps de temps ou de combler le silence par un module conversationnel ?

Par ailleurs, l’une des principales insatisfactions liées à l’élaboration de cette recherche concerne l’échec du traitement des indices de contextualisation véhiculés par la prosodie. L’étude des « bonjour » en ouverture d’interaction l’a montré : ces indices revêtent une importance qui ne peut être négligée du point de vue de la pragmatique puisqu’ils peuvent modifier les valeurs d’un acte de langage ou lui attribuer d’autres valeurs qui viennent se greffer sur les premières. Les difficultés liées aux conditions d’enregistrement in situ semblent difficiles à dépasser : l’utilisation de filtres, telle que je l’ai tentée, tronque les indices prosodiques en les déformant ou en les atténuant. Seules des données recueillies dans un environnement sonore sain permettraient d’accéder à ces indices prosodiques. Comment empêcher les participants de manipuler de l’argent ou d’utiliser leurs imprimantes ? Quant aux reconstitutions en chambres sourdes, elles sont exclues dans la perspective situationnelle défendue ici. Seule une avancée des techniques de filtrage permettra d’avoir un jour accès à ces indices prosodiques.

L’autre regret majeur est de ne pas avoir pu rendre compte de l’établissement premier du lien et de la construction d’une histoire conversationnelle entre les participants. J’aurais aimé avoir accès à l’épisode initial d’une histoire conversationnelle en contexte transactionnel et aux épisodes médians de manière à comprendre comment cette histoire conversationnelle se construit et évolue. Est-ce le commagent ou le cliager qui prend l’initiative de passer d’une histoire transactionnelle à une histoire conversationnelle en développant un module conversationnel ? Quelle est la réaction du partenaire d’interaction ? Ce pas en avant est-il accepté spontanément ou négocié ? Seuls des enregistrements pratiqués dans des conditions différentes – enregistreur placé sur le cliager à chaque rencontre – pourraient donner un accès à toutes ces informations sur la construction du lien social.

Enfin, la complexité de fonctionnement du bureau de poste qui se rapproche du commerce par certains aspects puis du service par d’autres aspects ne peut que faire penser à l’intérêt d’une perspective comparative intra-culturelle puis interculturelle dans le cadre de la pragmatique contrastive. L’existence de cette catégorie d’interactions hybride entre les interactions de commerce et de service est-elle spécifique au bureau de poste étudié ? Au cas des bureaux de poste français ? Peut-elle s’étendre à d’autres sites ?