I ERE PARTIE
DE LA PREHISTOIRE A 1980

1 LES BALBUTIEMENTS DU FEU

Au commencement : la peur ! Le premier homme s'enfuyait au contact du feu dévastateur. Il ne recherchait pas sa chaleur; contre le froid, il se couvrait de peaux d'animaux. Puis, un jour, surmontant sa peur, il toucha les tissons ardents, en prit et les emmena dans sa caverne.

Il y a 500 000 ans, le feu servait déjà à procurer cette chaleur et cette lumière aux hommes préhistoriques et constituait également pour eux une protection contre les animaux. Cependant, chasseurs mais essentiellement nomades, ils rencontrèrent d'abord un problème important : le transport du feu. S'ils ne voulaient pas dépendre de ceux qu' allumait la nature, ils devaient trouver les moyens de le transporter sans qu'il s'éteigne. Lorsqu'ils changeaient de campement, il fallait entretenir soigneusement cette flamme, ce qui n'était pas tâche aisée. C'était, en quelque sorte, le premier balbutiement de la formation. Il fallait apprendre aux autres membres du clan les premières techniques de conservation de la flamme, car elle conditionnait la survie de la tribu. Aujourd'hui encore, ce transport est indispensable à celle de certaines peuplades africaines, par exemple les Pygmées du Congo. Ils vivent en villages mobiles, et le feu est leur bien le plus précieux. Ils le transportent à l'abri des intempéries, dans de petits troncs d'arbres, où sont sculptées des niches pour abriter les braises. Vu qu'il est symbole de puissance et objet de convoitise, la lutte pour sa sauvegarde donnait lieu à de nombreuses et terrifiantes bagarres. Cette période est à l'origine des nombreux cultes du feu, de l'idée mystique du feu éternel, idée que nous approfondirons plus tard en référence aux Vestales, qui ont grandement marqué l’histoire du feu, dont la continuité et l'influence n'ont jamais pu être ébranlées au fil du temps et subsistent encore aujourd'hui.

Ce n'est qu'à l'époque néolithique, environ 10 000 ans avant Jésus-Christ, que l'homme apprend à allumer lui-même le feu et, ainsi, gagne une certaine autonomie. Sa première formation prend naissance, il commence à dompter la technique de l'allumage. L'origine de la découverte des propriétés du silex demeure encore incertaine; plusieurs théories sont avancées, mais l’une d’elleS soutient qu’elle est due au hasard, au détour d'un jeu : c'est en frappant des silex les uns contre les autres que la première étincelle aurait vu le jour. Naît ensuite l'idée d'utiliser une mèche pour capter ces étincelles, puis celle de souffler pour attiser ce feu. Pour d'autres, celui-ci est un lointain héritage des Archanthropiens, qui les premiers auraient su le conserver, puis le produire et, enfin, vers 400 000 ans avant Jésus-Christ, l'intégrer à l'habitat. L'homme du paléolithique en découvre les applications techniques : traiter le silex en le chauffant, transformer les ocres et s'éclairer avec des lampes. En effet, ils possédaient une parfaite maîtrise de l'éclairage. Les membres des tribus apprennent consciencieusement ces techniques. Dans les grottes ornées, les torches ont laissé de longues traînées noires le long des parois, et nous retrouvons de nombreux brûloirs. Ce sont des blocs de pierres naturelles, volontairement creusées pour contenir des brindilles ou des mèches qui trempaient dans la graisse animale. Les Magdaléniens les agrémentèrent de gravures. Cette période de la préhistoire a été définie grâce aux vestiges découverts dans la caverne de la Madeleine, en Dordogne.

Malgré cette maîtrise, la peur que le feu inspire est toujours présente et vivace. La sorcellerie et les idées religieuses vont trouver là, par la suite, un terrain idéal. L'homme possède la sensation de toucher au fruit défendu, de commettre un péché, et il s'en culpabilise. La légende de Prométhée l'illustre parfaitement : ayant volé le feu aux Dieux pour le donner aux hommes, il est puni par ceux-ci. Le châtiment de son crime est affreux. Attaché à un rocher par Zeus, il est voué à avoir le foie éternellement déchiqueté par un aigle, son foie repoussant à chaque fois. L'histoire de la culture de l'homme est donc imprégnée de sa volonté de dominer le feu mais, en imposant sa loi à la nature, il craint en permanence le châtiment de Dieu pour ces actes sacrilèges. L'apparition des premières civilisations va permettre l'évolution et une meilleure surveillance du feu. Il devient obligatoire de se former et de former ses compatriotes pour canaliser cette source de chaleur qui, non maîtrisée, peut engendrer de terribles catastrophes. Dans les cavernes, il ne cause pas de grands dégâts; seules les peaux et les fourrures sont roussies, les murs couverts de suie.

En revanche, les problèmes apparaissent lorsque l'homme commence à construire des maisons de bois, combustible de base du feu. Certes, ces maisons sont isolées les unes des autres, pour limiter la propagation. La première mesure de prévention est, ainsi, très ancienne. Mais les premières civilisations sédentaires modifient ce comportement. La structure dense et compacte des villes et des villages va en effet favoriser cette propagation. C'est le début des premiers gros incendies, dont, aujourd'hui, quelques exemples sont connus ou, du moins, dont il reste quelques traces. L'incendie d'Ougarit, ville la plus riche du Proche-Orient, qui finit, sans doute, brûlée par les peuples de la mer en route dans le delta du Nil en 1191 avant Jésus-Christ; celui du palais de la capitale, Hattusa, en 1200 avant Jésus-Christ, ou encore celui de la ville Biblique de Jéricho, victime des guerres au treizième siècle avant Jésus-Christ, tout comme celui de l'ancienne ville royale de Hazor, proche de Jérusalem. Cependant, l'incendie le plus connu reste peut-être celui de Troie, célèbre à cause d’ Homère et de son Illiade. Les Grecs, grâce à la ruse du mythique " cheval de Troie ", réussirent à s'introduire dans la ville occupée depuis des années. Elle fut incendiée, pillée et entièrement détruite par eux. La réalité historique du mythe de la guerre de Troie est entérinée par les fouilles des archéologues Schlienrann et Dörpfeld. Ils ont découvert neuf villes superposées. La sixième couche, qui date du douzième siècle avant Jésus-Christ et correspond certainement à l'époque d'Homère, montre d'importantes et évidentes traces d'incendie.

Le feu provoquait alors des ravages désastreux, et déjà des mesures de protection furent mises en place. La formation des mesures de prévention voit le jour. Les premières, sans doute, le furent par le code d'Hammourabi. Ce dernier roi de la première dynastie de Babylone, au dix-huitième siècle avant Jésus-Christ, hérita d'un domaine restreint de six mille mètres carrés autour de la cité. Il part en campagne dès 1792 et, jusqu'en 1754 avant Jésus-Christ, va détruire les royaumes voisins, Larso, Mari et Eshinissa, battre les Elamites et constituer un gigantesque empire, qui comprend la basse et moyenne partie de la haute Mésopotamie. Administrateur minutieux, il tente d'enrayer le déclin qui frappe le pays de Sumer, victime des guerres et de la remontée des sels à travers le sol arable. Et c'est sans doute pour unifier la législation des cités du bas pays qu'il va publier un code, qui sera également un instrument de propagande royale. Ce texte, rédigé en akkadien, n'est pas seulement un recueil de décisions concernant un nombre limité de cas. Il constitue une source unique pour l'étude de la société, de l'économie et de la monarchie de la Mésopotamie du deuxième millénaire avant Jésus-Christ. Non seulement il fait connaître le statut juridique des différentes catégories qui composent la société mais il énonce également des mesures qui prévoient des peines pour le pillage des maisons incendiées. De plus, il comporte quelques instructions qui concernent la construction, par exemple le type de maisons, leur distance et l'épaisseur des murs. Cet exemple montre que la formation à la lutte contre l'incendie fait partie de l'histoire et que chaque siècle recèle des événements importants, qui vont dans le sens d'une évolution de celle-ci. Vers 1200 avant Jésus-Christ, dans l'empire d'Héthiter, des ordonnances traitent de la conduite à tenir en cas d'incendie. Une de ces dernières vise seulement et exclusivement les gardiens du temple et précise : " Fais très attention aux incendies. S'il y a une cérémonie dans l'enceinte du temple, surveille bien le feu. Dès que la nuit tombe, éteins soigneusement avec de l'eau ce qui couve encore ".

Ces lois permettent peut-être de montrer que certains peuples de cette époque possédaient déjà une connaissance " scientifique " très approfondie de la prévention contre l'incendie, ce qui dénote, à notre avis, un certain esprit rationnel et une certaine croyance dans l'esprit maléfique du feu, car ces ordonnances visaient essentiellement les gardiens du temple sacré. Pourtant, dans les civilisations occidentales, le rationnel n'est pas répandu comme il peut l'être actuellement. Les textes font plutôt référence à des formules magiques. Certains écrits cunéiformes de Mésopotamie, au huitième siècle avant Jésus-Christ, comme celui d'une incantation intitulée Namburdi, indiquent que celui qui accomplit le rituel qui va suivre est préservé de tout revers de fortune ainsi que des incendies : " Pour protéger l'homme de la malice du feu et de sa puissance, tu balayeras ton toit et tu l'aspergeras d'eau pure. Tu feras un sacrifice à Ea et Marduk, tu modeleras un homme en prenant de la terre et tu passeras devant cette statue en offrant de l'encens d'une main, et en tenant un flambeau de l'autre " 1 .

Entre les textes religieux, qui relèvent plus ou moins de la magie, et les règles pratiques de sécurité contre les incendies, il est donc possible de noter un certain parallèle. Jusqu'au Moyen-Age, la célèbre formule magique " SATOR-AREPO " possédait, disait-on, le pouvoir de protéger du feu. SATOR AREPO TENET OPERA ROTAS. Ce carré est doublement magique. Suivant sa disposition, il peut se lire de la même façon dans tous les sens. Mais il contient également un message secret, qui apparaît lorsque nous combinons les lettres différemment. Ce cryptogramme servait de signe de reconnaissance aux Chrétiens du premier siècle. Ils y retrouvaient l'Alpha et l'Omega. " Je suis le commencement et la fin de toutes choses ", ce texte encadrait le titre de la prière fondamentale de la nouvelle religion, inscrit sur une croix grecque. La traduction latine est la suivante: " le semeur maintient avec difficulté les roues ". Or, ce carré magique était déjà connu au quatrième siècle avant Jésus-Christ. Des papyrus-amulettes portés par les Egyptiens Coptes ont été retrouvés. A priori, ce carré a traversé plusieurs siècles d'histoire et sa signification a évolué au fil des années, ou bien sa traduction a été interprétée de façon différente. Son parallèle avec la magie est significative. En ce qui concerne la première représentation picturale de l'extinction d'un incendie, elle serait donnée par un bas relief en marbre, qui provient d'un palais de la ville de Ninive et est datée duseptième siècle avant Jésus-Christ. Ninive, capitale de l’Assyrie, est restée célèbre grâce à la Bible, particulièrement dans le Livre de Jonas. Tout d’abord village, qui naît au début du sixième millénaire de la première phase de néolithique local, puis véritable ville après 3500 avant Jésus-Christ, elle est incorporée dans l’empire Mésopotanien au vingt troisième siècle avant Jésus-Christ, fondée par la dynastie d’Akkod. Des inscriptions du dix-huitième siècle apprennent que Man-Iskka-Shou, troisième roi d’Akkad, a construit le temple appelé Emash-mash et peut-être également le palais. Ninive, entre 1792 et 1750 avant Jésus-Christ, est incorporée au royaume d’Hammourabi de Babylone, précédemment cité, et devient Assyrienne. Prise en 612 avant Jésus-Christ, par Cyaxore, roi des Médes, elle est pillée et entièrement incendiée.

L'empire Romain, réputé pour sa grandeur, mais également pour sa décadence rapide, va donner au feu un pouvoir immense. La formation, associée à la rigueur et à la stratégie, va constituer un pilier de la puissance romaine. Lorsque le Grec Erostrate met volontairement le feu au temple de Diane à Ephèse; il souhaite, par ce geste, entrer dans l'histoire. Il réussit, mais une interdiction fut prononcée, afin que personne ne soit tenté de l'imiter: interdiction formelle, sous peine de mort, de prononcer ou d'écrire son nom. La mythologie latine évoque Vesta, la déesse du foyer domestique, qui correspond à l'Hestia grecque. Vesta, d’origine indo-européenne représente la déesse du feu et du foyer. Cette origine serait prouvée par la comparaison avec la divinité l’Hestia, des Grecs, et l’Agui, de l’Inde. De plus, son invocation en fin de prière, lorsque cette dernière est adressée à une divinité, représente également un rite indo-européen. La déesse est le feu bienveillant et vivant et sa permanence est le symbole de la force et de la stabilité. Elle est honorée dans le culte privé, par l’intermédiaire du foyer familial qui ne doit jamais s’éteindre, et publiquement, dans les anciennes villes du Latium et à Rome, la cité étant considérée comme la demeure de tous les Romains, où son temple, Aedes Vestae, sur le forum, est le centre vital de la ville. La forme ronde de celui-ci, souvenir des premières huttes des habitants du Latium ou bien des foyers indo-européens disposés pour les sacrifices, le différencie totalement des autres sanctuaires dédiés aux dieux latins.

Par son conservatisme rigoureux, le culte rendu à la divinité met l’accent à la fois sur la pureté originelle de la déesse et sur la puissance tutélaire et redoutable qu’elle représente dans le destin de Rome : son temple ne contient pas de représentation figurée, suivant en cela les habitudes primitives de la religion Romaine, (le feu à lui seul matérialise sa présence). Elle n’est pas servie par des prêtres masculins mais par le collège des Vestales, dont la chasteté garantit la protection accordée par la déesse de la ville. A la différence des autres divinités latines, elle exige de ses prêtresses de se consacrer absolument à son service. Il est interdit à quiconque, à l’exception du grand pontife et des vestales, de pénétrer dans le temple de Vesta. L’interdiction est cependant levée pour les matrones lors des vestalia.

Le feu perpétuel, s’il s’éteint par la négligence d’une vestale, doit être rallumé non à partir d’un autre foyer, mais en frottant des morceaux d’un arbre «  félix « . L’eau, élément contraire au feu, ne doit pas être conservée dans le temple ; les vestales sont obligées d’aller puiser à la fontaine des Camènes près de la porte Capène, celle qui leur est nécessaire, Dans la partie la plus secrète du temple, le Pénus, étaient conservés les talismans, garants de la puissance romaine, qui n’existaient sans doute pas primitivement, mais qui furent déposés au cours des âges. Ces fétiches sont difficiles à répertorier, car leur efficacité tenait dans le profond secret qui les entourait. Les anciens croyaient qu’ils comprenaient la palladium, le sceptre du roi Priam, un phallus, les mystérieux pénates du peuple romain, rapportés de Troie par Enée selon la légende.

Cette alliance de Vesta et des pénates semble confirmée par le fait qu’à Lavinium, métropole de Rome, se trouvaient associés une Vesta et des pénates auxquels, chaque année, les consuls romains, à leur entrée en charge, offraient un sacrifice. Même s’il est difficile de déterminer avec certitude ces différents talismans, ils tendent à assimiler le culte de Vesta à celui qui était tenu dans chaque famille.

Les cérémonies en l’honneur de Vesta sont peu nombreuses : le premier mars, début de l’année primitive, le feu du temple est rallumé solennellement. Les fêtes en l’honneur de Vesta, les vestalia, se déroulent au mois de juin, du 7 au 14. Le 9, Le temple est donc ouvert exceptionnellement aux matrones, ces femmes mariées qui entrent pieds nus afin de faire des libations. Le 15, le temple est solennellement balayé et le stercus, (fumier), symboliquement expulsé. Ce dernier provient des ânes qui, exempts de travail car ils auraient préservé Vesta des ardeurs de Priape, portent autour du cou des guirlandes de pains en hommage aux boulangers et aux meuniers. Parmi les divinités romaines, Vesta fut une des seules à garder fidèlement les traces de cultes primitifs, et peu d’innovations sont à noter au cours des siècles. D’ailleurs à ce sujet, l’hellénisation de la religion romaine n’eut que peu d’effet sur Vesta, puisque la déesse grecque correspondante, Hestia, était une divinité abstraite.

L’empereur Auguste introduisit une innovation dans le culte en installant dans sa maison du Paladin une statue et un autel de Vesta et en unissant le culte et la déesse à celui des pénates ; Livie, comme la plupart des impératrices par la suite, fut assimilée à Vesta. Le culte officiel de la déesse se maintint jusqu’à la fin du quatrième siècle.

Les Romains faisaient remonter l’institution des collèges des vestales à Numa ou à Romulus, bien que, pour beaucoup, la mère de Romulus fût elle-même une vestale. Ces prêtresses, dont la chasteté et la virginité sont les garants mystiques et indispensables de la stabilité du culte de Vesta, occupent une place primordiale dans la religion traditionnelle, aux côtés des flamines et des pontifes. Ce sont les seules femmes qui, dès les origines de la ville, remplissent un sacerdoce officiel et, pour leur permettre de se consacrer uniquement à la garde du feu sacré, un traitement leur est versé par l’Etat. Au nombre de six, ayant à leur tête la grande vestale, et sous la tutelle du grand pontife, elles habitent pendant toute la durée de leur sacerdoce l’atrium de Vesta, à côté du temple de la déesse et de la Regia. Le soin qui préside à leur choix témoigne de la pureté absolue requise par leur fonction. Elles sont prises par le grand pontife, qui les choisit parmi les fillettes âgées de six à dix ans, sans aucune tare physique, et dont les parents, encore vivants, n’ont pas exercé de métiers infamants : tenanciers, gladiateurs, marchands de femmes,…

La durée de leur sacerdoce est fixé à trente ans ; dix ans d’apprentissage, dix ans d’exercice et dix ans où elles instruisent les nouvelles. Après quoi, elles peuvent, en retournant à la vie laïque, se marier. Elles jouissent de privilèges qui témoignent de l’importance que leur accorde la cité et qui les distinguent nettement des autres femmes romaines. En contre-partie, les châtiments qu’elles encourent lorsqu’elles oublient leurs devoirs, par exemple laisser éteindre le feu sacré, sont terribles car elles sont battues de verges par le grand pontife ou emmurées vivantes à la porte de la Colline dans le Campus sceleratus. Leur présence est nécessaire à un certain nombre de rites funéraires et de fêtes de fécondité, où leur intervention est le signe du caractère essentiel accordé à Vesta dans la conservation de Rome. La communauté des vestales, par ses exigences de pureté et par la vénération qu’elle inspirait, a toujours joui d’une condition exceptionnellement privilégiée dans la vie religieuse romaine, et son prestige fut constant sous la République et sous l’Empire.

Les Romains ne lésinaient pas. Ils considéraient l'incendie volontaire comme un crime, qui devait être puni sévèrement par la peine de mort. Le pyromane était revêtu de la " lunica molesta ", tunique en lin ou en corde trempée dans du goudron, de la cire ou de la poix, puis il était brûlé vif en place publique. Cependant, ce ne sont pas les pyromanes qui ont représenté le plus grand danger pour les villes romaines, mais la structure même des villes, qui a souvent été à l'origine des conséquences désastreuses du feu. En effet, les maisons, bâties en terre glaise ou en bois, étaient dotées de toitures en paille, puis en chaume. Elles étaient accolées les unes aux autres et souvent dans un état lamentable. Le tout formait des ruelles étroites et sinueuses et représentait généralement le centre-ville des cités romaines.

A priori, les premières grosses tentatives d'extinction d'incendie sous l'empire Romain ont débuté dans des camps militaires basés en Provence. Nous retrouvons d'anciens légionnaires sapeurs-pompiers militaires aux environ du premier siècle avant Jésus-Christ. A Rome, un service de surveillance composé d'esclaves était chargé d'assurer la protection. Cela était dû à l'initiative de riches particuliers. C'est sous le règne de Crassus, en 70 avant Jésus-Christ, que furent inventées les premières formations de lutte contre l'incendie. Cependant, cela n'était sans doute pas désintéressé. En effet, à cette idée d'autoprotection il associa un sens peu scrupuleux des affaires. Lorsqu'un incendie se déclarait, il se déplaçait avec une cohorte d'esclaves et rachetait la maison en flammes à bas prix. Lorsque le marché était conclu, les esclaves éteignaient le feu. Devenu propriétaire, il leur faisait reconstruire la maison et la louait ensuite à un prix exorbitant, souvent à l'ancien propriétaire. Cette façon d'agir était typiquement romaine: les affaires et l'esprit de conquête avant tout. A ce stade, l'intérêt personnel passait avant l'idée d’une formation pour l'extinction des incendies.

En 24 avant Jésus-Christ, Marcus Egnatius Rufus, directeur de la police, reprit une partie de l'idée de Crassus, sur les ordres de l'Empereur Auguste. Il créa une équipe de sapeurs-pompiers composée d'esclaves et de quelques mercenaires grecs. Rufus était réputé pour être un très bon chef et, grâce à ses prouesses de commandements, il obtint rapidement de bons résultats et sa popularité grandit de jour en jour. Fort de ce succès, l'Empereur Auguste, également soucieux d'améliorer sa réputation, décida de reprendre l'idée de Rufus à son compte. C'est ainsi que, en 22 avant Jésus-Christ, il créa une équipe de sapeurs-pompiers de nuit, toujours composée d'esclaves, environ six cents, sous l'ordre d'un sénateur. Malgré cela et vu l'ampleur de l'augmentation des incendies à Rome, cette mesure demeura insuffisante. Une nouvelle organisation s'avérait obligatoire.

Vers l'an six, Auguste met en place sept équipes de mille deux cents esclaves affranchis, chargées de la surveillance, sous le commandement d'un capitaine de cavalerie. Il divisa la ville de Rome en quatorze secteurs. Cette sectorisation, aujourd'hui encore, reste efficace dans les grands immeubles, où l'évacuation des personnes reste difficile. Chaque cohorte était logée dans une caserne et assurait la surveillance de son propre secteur. Elle comprenait sept centuries d'environ cent quarante hommes, commandées par un capitaine. Chacune possédait des instructions précises: les porteurs d'eau, les arroseurs, les porteurs de couvertures; à cette époque, le feu était souvent, faute d'eau en grande quantité, combattu à l'aide de couvertures, de chiffons ou d'éponges pour l'étouffer. Cependant, cela servait plus à la protection des personnes contre les effets du feu qu'à son extinction. Une fois trempées dans l'eau, ces couvertures étaient étendues sur les toits des maisons menacées, afin d'éviter la propagation par les étincelles. Cette méthode, assez efficace, fut maintenue jusqu'au Moyen-Age, ou lorsque les tuiles remplacèrent le chaume. Les responsables de l'éclairage, les destructeurs de murs des maisons, ( les murs devaient être écroulés afin de créer des pare-feu naturels ), et enfin quelques médecins qui portaient secours aux blessés participaient également aux luttes contre l'incendie. Pour aider les vigiles à effectuer leur travail, du matériel était associé. De cette époque datent les premiers syphons, qui étaient, en quelque sorte, des pompes manuelles à incendie, des seaux, des couvertures, des échelles, des crochets de démolition, ainsi que de nombreux petits outils, scies, hâches, cognées, marteaux,...

Pourtant, en l'an soixante quatre, à l'époque de l'Empereur Néron, un gigantesque incendie se déclare. Au vu de l'ampleur qu'il prenait, Néron a, semble-t-il, donné l'ordre de placer des pare-feu en faisant détruire toutes les maisons qui entouraient les quartiers embrasés. La reconstruction ne se fit pas au hasard. La prudence et la sagacité furent de rigueur. Le nouveau plan de Rome prévoyait de grandes et larges artères et l'alignement des maisons et des façades fut équipé de murs protecteurs, c'est à dire qu'elles devaient être construites dans un matériau réfractaire au feu et respecter une certaine hauteur réglementaire.

Tous ces exemples démontrent que l'Empire Romain avait non seulement pressenti les dangers de l'incendie mais élaboré des mesures de prévention, surtout en ce qui concernait l'architecture des villes. Les premières équipes de sapeurs-pompiers avaient vu le jour et commençaient à être organisées et à se former, malgré le manque d'équipement adapté à l'extinction des feux. L'Empire Romain est donc un passage clef de l'histoire de la lutte contre l’incendie et de la formation correspondante et représente une période d'avancée importante quant aux moyens et actions de prévention. Nous pouvons considérer que les Romains ont été les premiers à se rendre compte du danger. L'esprit de conquête et de destruction qui les animait a certainement joué un rôle important dans leur réflexion sur les techniques de guerre. En effet, lorsqu'on est capable de stopper ce puissant ennemi qu'est le feu, on l'est aussi de stopper l'adversaire, et réciproquement... Ils ont su lutter partiellement contre le feu, mais surtout l'utiliser pour consolider leurs conquêtes en détruisant par le feu!

Cependant tout à une fin et, lorsque la décadence de l’empire Romain s'amorce, les vigiles vont disparaître et, avec eux, tout l'acquis en matière de formation, de lutte et de prévention contre l'incendie. A cette chute, il convient d'ajouter les différentes migrations des peuples aux quatrième et cinquième siècles, qui finissent de faire disparaître tout le travail réalisé auparavant.

La culture romaine a cependant laissé quelques traces. A son contact et à celui des enseignements tirés des migrations, le peuple germanique va considérablement évoluer et, après des années d'errance, commencer à s'installer et à se fixer dans les anciennes villes romaines, qui comportent sécurité et protection, du fait de leur architecture réfléchie et intelligente. Mais le problème des incendies va réapparaître rapidement. En effet, toutes les mesures de prévention ont disparu; nous retombons dans le phénomène post-romain. Lorsque une seule maison prend feu, cela embrase tout le quartier. A cette époque, la cheminée n'est pas connue, les feux sont allumés à même le sol, dans un âtre. La fumée s'évacue seulement par une ouverture primaire, pratiquée directement dans le chaume du toit. Les maisons sont pratiquement toutes en bois, bien serrées les unes contre les autres, formant ainsi des ruelles étroites. Lorsque un incendie se déclare, les habitants sont complètement démunis et restent impuissants devant le sinistre. La formation à la maîtrise du feu a, à cet instant, totalement disparu. L’on ne possède aucune organisation et l’on est dépourvu d'équipements adéquats. La conclusion est que notre histoire est remplie de récits spectaculaires et dramatiques d'incendies parfois gigantesques, et ce surtout au Moyen-Age, aux douzième et treizième siècles. Cette époque reste également célèbre par le développement de la magie vis à vis du feu. L'homme, se sentant démuni face à lui, donc face à la nature, cherche refuge ou explication dans l'au-delà. Une pléthore de formules magiques va ainsi naître. Parfois, la croyance est poussée plus profondément: le feu possède une âme et une âme doit être nourrie. Les gens apportaient ainsi des offrandes, telles que de la farine, du pain, des coquilles d’œufs. En nourrissant le feu, ils pensaient qu'ils apaiseraient son appétit et que, ainsi, il ne viendrait plus manger leurs habitations.

Au feu, on associait la foudre, envoyée par des sorcières qui habitaient dans les nuages, transportaient le feu du ciel et le lançaient sur la terre. Pour lutter contre ce fléau, chasser ces mauvais esprits, les villageois faisaient retentirent des cloches bénites. La tradition Chrétienne considérait les incendies comme un châtiment de Dieu, que seule la prière pouvait éviter. Avec le développement du christiannisme, des coutumes ont disparu; cependant, celles païennes sont restées nombreuses. Parfois, elles ont mêmes été reprises plus tard par la tradition chrétienne. Les païens croyaient en quelque sorte aux sorciers car ils pensaient que certaines personnes avaient le pouvoir d'imposer leur volonté au feu. Ce n'est pas sans rappeler les peuples Indiens d'Amérique ou les peuplades d'Afrique noire, qui vénéraient leur sorcier. Chaque village possédait le sien, qui était le seul à connaître " les moyens de lutte " contre les fléaux de la nature, tels que le feu. Par divers procédés "magiques", ces sorciers chassaient les mauvais esprits et conjuraient le sort, en vue d'éloigner ce feu qui provoquait d'énormes ravages parmi les tribus. Au Moyen-Age, le pouvoir de le conjurer était aussi attribué aux juifs et aux gitans. L'image de ces derniers est la traditionnelle veillée autour du feu de camp. Dans la religion Catholique, le cierge Pascal, symbole du pouvoir du feu, est vénéré depuis toujours. Il représente un moment fort de l’année liturgique. Le feu était tellement présent dans la vie quotidienne que son image est conférée aux prêtres et aux saints dans l'univers des Chrétiens, par exemple la légende de Saint-Forian, patron protecteur du feu, qui date de l'époque romaine. Commandeur des légions à Lorch-sur-Enns, il s'est opposé aux persécutions des derniers Chrétiens sous le règne de l'empereur Dioclétien, en aidant les légionnaires à s'enfuir. Pour ce geste, il fut condamne à mort et noyé dans l'Enns.

Avec le temps, la superstition gagne du terrain. L'utilisation d'amulettes ou de formules sacrées destinées à se protéger du feu se développe largement dans de nombreux pays. Plusieurs objets en tous genres voient le jour et sont mis en vente sur les marchés. Censés protéger les habitations contre les incendies, ils permettaient surtout à certains commerçants peu scrupuleux de gagner énormément d'argent, le maintien des croyances, des superstitions, faisant leur bonheur. A ce stade, la notion de formation demeure inexistante.

Cependant, au bout de quelques temps, les hommes du Moyen-Age, malgré les croyances religieuses et les superstitions, commençaient à se rendre compte du peu d'efficacité de ces pratiques. Cette compréhension, faible, au début, mais grandissant peu à peu au fil du temps, a sans doute permis de relancer l'idée de prévention. On ne savait pas arrêter rapidement et correctement un incendie, mais on connaissait quelques techniques qui, héritées de l'époque romaine et transmises essentiellement de bouche à oreille, avaient, par le passé, fait leurs preuves. On supposait également qu'une bonne organisation et une lutte vigoureuse permettaient de limiter les dégâts. On se rendit aussi compte que la plus grande source de danger provenait des feux allumés dans les âtres à l'intérieur des maisons. Il fallait donc contrôler cela. Les premières mesures datent, semble-t-il, du neuvième siècle dans le royaume Franc. Une loi exigea un " couvre-feu " obligatoire. Les habitants devaient chaque soir recouvrir leur âtre à l'aide d'une trappe, en bois d'abord puis, par la suite, en fer. Parallèlement, des mesures furent prises en matière de construction, essentiellement sur les matériaux réfractaires au feu, que l'on devait utiliser pour les habitations. Par exemple, à Lübeck, à la suite d'un important incendie, en 1176, les toits de chaume furent interdits. La propagation du feu fût telle qu'elle ravagea des dizaines d'habitations. Lübeck connut un nouvel incendie en 1276 et, cette fois, seules les briques furent autorisées pour la construction.

A cette époque, un peu partout en Europe, des mesures commencèrent à être adoptées: En Italie en 1086, dans la ville de Merano, où une ordonnance institua des corporations responsables du service incendie; en 1189 en Angleterre, dans la ville de Londres, avec des règlements relatifs à la mise à disposition des équipements anti-incendie. Ils indiquent que locataires et propriétaires doivent se répartir les charges, c'est à dire que les premiers doivent fournir des échelles et les seconds les tonneaux d'eau. Cela correspond à des moyens précaires mais montre que la peur du feu est toujours présente dans les esprits. Les pouvoirs publics, souvent impuissants, sont dans l'obligation d'essayer de trouver des parades. Pour cela, ils pensent que tout le monde doit lutter contre ce fléau et, en instituant ordonnances ou décrets, veulent responsabiliser toutes les personnes. En fait, cela correspond en quelque sorte à une formation publique. Ce phénomène entraîne, entre le douzième et le quatorzième siècles, une intensification de la réglementation relative aux incendies. Généralement, trois points essentiels sont abordés; l'alerte, les mesures qui permettent le respect de l'ordre public et les instructions pratiques de lutte anti-incendie:

  1. L'alerte : Dès qu'une personne voit un incendie, elle doit crier « au feu ». Chaque veilleur de nuit doit faire des rondes régulières et donner l'alarme en agitant des cloches dès qu'il en aperçoit un début. Aussitôt, les gardes doivent souffler dans leurs cors. Par la suite, ces derniers seront remplacés par les tambours militaires, puis par le tocsin.
  2. Le respect de l'ordre public : La fermeture immédiate des portes de la ville est instituée. Certains habitants doivent revêtir une cuirasse et se rendre sur les remparts. Tout commerce doit cesser sous peine d'amende et toute personne prise en train de commettre un pillage ou un vol pendant un incendie est condamnée à mort et exécutée en place publique.
  3. Instructions pratiques : Les artisans, tels les maçons ou les menuisiers, doivent venir avec leurs outils. Les jardiniers, marchands de vins et porteurs sont chargés d'acheminer l'eau. Les habitants, qui ont reçu des seaux en cuir, doivent les apporter et les utiliser. Cela renforce l'idée de la théorie sur la formation publique émise dans les années 1100 par les pouvoirs publics. A cette époque, le Maire est le seul responsable du bon déroulement des opérations. Différents règlements de ce type sont également adoptés dans d'autres villes européennes, par exemple à Augsbourg en 1276, à Vienne en 1278, à Munich en 1370. En France, notamment à Paris, des textes similaires sont promulguées en 1371. Ils n'étaient pas toujours bien connus de la population, surtout dans les grandes villes, car ils étaient simplement affichés contre les murs des mairies ou des églises et n'étaient lus qu'une seule fois par an, au cours d'un rassemblement général où, bien entendu, tout le monde n'était pas présent. A cette époque, beaucoup étaient illettrés et ne lisaient donc pas les affiches. Il faut attendre l'arrivée de l'imprimerie, au milieu du quinzième siècle, pour rendre plus aisée la divulgation de ces règlements. Nous pouvons même dire que l'imprimerie va permettre l'apparition d'une deuxième génération de textes, qui entraînera, par la suite, d'énormes progrès dans la lutte anti-incendie, surtout dans les villes d'Allemagne qui, il faut le reconnaître, ont toujours eu une certaine avance dans ce domaine par rapport aux autres villes Européennes. En ce qui concerne les autres continents, nous ne possédons pas de documents assez précis. Il faudrait pouvoir consulter les grandes bibliothèques des villes étrangères. Notre étude sur l'historique des sapeurs-pompiers ne concernera donc que les pays Européens.
Notes
1.

La religion Romaine-LE GLAY (M)