1-2 Instruction hier, formation aujourd'hui

C'est vers les années 1950 que le terme " formation " commence à prendre de l'extension dans le discours français sur l'éducation. Apparu au douzième siècle, soit deux siècles avant le terme " éducation ", il finalise, en quelque sorte, le morcellement de la définition comme action des générations adultes sur celle des jeunes 21 . Il accompagne l’extension temporelle et spatiale des pratiques multiples de formation permanente. Il catalyse également des interrogations théoriques fondamentales, plus ou moins reliées aux recherches de pointe sur la morphogenèse. La formation déborde donc largement les apprentissages professionnels. Etymologiquement, ce terme renvoie à un processus vérificateur de mise ensemble, en sens, d’éléments et moments autrement séparés, certains auteurs le définissant même comme une fonction de l’évolution humaine.

Vers 1920, le mot formation est présent dans le vocabulaire sur l'apprentissage et, après la deuxième guerre mondiale, il prend progressivement la place des termes d'enseignement technique, d'apprentissage, d'instruction. Chez les sapeurs-pompiers du Grand Lyon, le remplacement du mot " instruction " par " formation " n'apparaît qu'en 1992.

Former: ce terme proche de créer, constituer, composer, concevoir. Si l'on considère une approche étymologique et sémantique, le formateur est donc celui qui donne forme, qui fait naître, qui organise, qui permet de contracter des habiletés, des habitudes, des manières. La formation initiale des sapeurs-pompiers est conduite de façon à ce que les stagiaires acquièrent certains gestes précis. Faire évoluer les comportements revient à essayer de fixer à l'enseignement une finalité qui dépasse la simple acquisition de connaissances; c'est ajouter à l'objectif du savoir celui du savoir-être, pour contribuer à l'acquisition d'une autonomie dans le geste et la manière d'apprendre. C'est également l'introduction, au-delà de la formation strictement individuelle, d'un souci d'éducation à la vie en collectivité et à la responsabilité sociale; la fonction de formateur est assurée par plusieurs sapeurs-pompiers professionnels, mais d'autres intervenants sont parfois présents: ainsi, un expert d'un domaine déterminé, qui vient occasionnellement mettre son savoir à la disposition d'un groupe. Il faut aussi ajouter que la formation mutuelle, où chaque participant apporte une partie du savoir, demeure nécessaire.

Le formateur est d'abord un praticien, qui doit effectuer un travail déterminé, destiné à faciliter des apprentissages en vue de leur utilisation dans un contexte social précis. Il est un agent de changement et il doit être porteur d'un projet. Pour atteindre ces objectifs, le système doit pouvoir diversifier ses modes d'action et introduire des notions de communication, d'écoute, de respect, de travail d'équipe, facteurs essentiels et obligés dans le métier de sapeur-pompier. Auparavant, les Formations Initiales d’Application étaient appelées « instructions », et s’apparentaient aux séances de données par l’armée . Le stagiaire exécutait sans possibilité de réflexion ou de demande d’explication. Les instructeurs étaient présents pour donner et faire répéter les manœuvres jusqu’à ce qu’elles se déroulent parfaitement, cela de façon mécanique pour le stagiaire..

A l'intérieur de la formation, la part de l'éducation grandit. C’est dire que la formation type »instruction militaire » tend à diminuer. Elle ne se transmet pas donc plus seulement par des séances d'instruction pure; elle s'inscrit aussi dans la durée; cela nécessite des instructeurs de qualité, motivés psychologiquement, aptes physiquement, et également des moyens adaptés.

La Formation Initiale d’Application des sapeurs-pompiers de seconde classe stagiaires est organisée en école départementale par le service départemental d’incendie et de secours, sous la responsabilité du directeur départemental de ces services. Sa durée est de seize semaines au moins, soit 560 heures. L’enseignement est modulaire et progressif. Ce choix a pour but de prendre en compte les connaissances précédemment acquises par chaque stagiaire soit au sein de son entreprise, soit au sein d’associations de jeunes sapeurs-pompiers, soit lors de l’accomplissement de ses obligations légales au sein de certaines unités, ( Brigade des sapeurs-pompiers de Paris, Marins-pompiers de Marseille, service de la sécurité civile,…), ou encore comme pompier volontaire. La progressivité de l’accroissement du savoir sous-entend que le module suivant n’est abordé que lorsqu’un a assimilé le contenu du module précédent. Il est donc indispensable de respecter scrupuleusement l’ordre d’enchaînement des séquences pédagogiques.

Chaque année, l’école des sapeurs-pompiers ouvre un ou deux stages, en fonction des besoins de ce type et essaie d’être performant, de façon à donner une formation optimale aux futures pompiers. La progression pédagogique évolue chaque jour. Adopter une pédagogie « type » n’est pas forcement évidente et réalisable dans cette corporation. En effet, le constat des formations antérieures, au sein du corps de Lyon par exemple, montre que le sapeur-pompier est généralement excellent dans le domaine de la technicité mais présente des lacunes, faute certainement de formation adéquate, dans sa pédagogie, c’est à dire dans sa manière d’enseigner.

En résumé, le programme s’articule de la façon suivante :

  • Le secourisme : il comprend le passage de trois diplômes :
    • AFPS : attestation de formation aux premiers secours
    • CFAPSE : certificat de formation aux activités de premiers secours en équipe
    • CFAPSR : certificat de formation aux activités de premiers secours routiers

Le programme de ces formations est enrichi par des cours théoriques et pratiques adaptés spécialement aux sapeurs-pompiers, cours donnés généralement par des intervenants extérieurs, médecins, moniteurs de secourisme. Le but de ce supplément est l’apport d’un surplus d’information aux stagiaires, vu que le secourisme prend une part de plus en plus importante dans les missions qu’ils doivent remplir.

  • Le sport : à raison d’une heure minimum par jour, réparti en différentes disciplines :
    • Athlétisme,
    • Natation,
    • Musculation.

Ces dernières sont dispensées tout au long de la semaine.

  • Les manœuvres : disséminées chaque jour, elles sont travaillées et refaites de nombreuses fois, de façon à ce que chaque stagiaire les connaisse par cœur ; aucune hésitation n’est autorisée.
  • Les théories : les cours théoriques sont donnés par les formateurs de l’équipe. Ils sont généralement répartis en fonction des spécialités et des affinités de chacun. Chaque stagiaire reçoit une documentation en complément du cours, qui lui permet de se constituer un classeur de travail.
  • Les contrôles : des contrôles de connaissances sont mis en place régulièrement sous forme de questionnaires ; à choix multiples, écrit d’une durée d’environ une heure, avec une dizaine de questions ou oral. Les notes obtenues ne sont pas prises en compte pour l’examen final. Elles peuvent cependant rattraper un stagiaire absent ou malade lors de l’examen.
  • L’examen final : il conclut la formation initiale. Les stagiaires doivent obtenir la moyenne pour être considérés comme aptes au métier de sapeur-pompier professionnel

Lorsqu’elle est méthodique et complète, elle correspond à un enseignement de la pratique de la profession. Elle s'impose comme une action essentielle, qui intègre notamment l'éducation, l'instruction, l'enseignement, mais ne s'y réduit pas. Cet axe sémantique comprend une autre unité de sens, un autre sème constitutif, celui de l'intégration, de la totalisation, de la globalisation, de l'unification, c'est à dire de la création par réunion d'éléments. Elle ne se construit pas à partir de rien, c'est une mise en rapport qui la constitue. Les éléments sont placés en contact et il faut essayer de gérer des problèmes qui raidissent les uns, stimulent les autres. La formation initiale d’une durée de quatre mois doit être obligatoirement suivie par celui qui a réussi au concours d’entrée pour être affecté à un corps. Le programme essaie de faire intégrer de nombreux éléments aux futurs sapeurs-pompiers. L'aspect technique, sans être écarté, est reconsidéré dans sa globalité, afin d'être inséré dans une pédagogie formatrice et réfléchie. Le sapeur-pompier doit comprendre et analyser le geste qu'il va accomplir, et non plus l'exécuter de manière mécanique, comme cela lui a longtemps été appris. Jusqu’en 1992, lors de ce stage, alors nommé instruction, les jeunes recrues apprenaient mécaniquement les gestes du métier. L’analyse et la réflexion n’étaient pas autorisées. Nous devions répéter le même geste jusqu’à ce que nous sachions le faire, cela sans réfléchir. Dorénavant la formation prend ainsi le pas sur l'instruction et permettra, dans l'avenir, une progression indispensable. Pour cela, il deviendra essentiel de former des formateurs, et non plus de solliciter des personnes fortement compétentes du point de vue technique mais néophytes dans les domaines de la formation et de la pédagogie.

Certaines, contemporaines, valorisent le groupe et en font un lieu important, voire le lieu privilégié, du travail scolaire et de l'apprentissage intellectuel. Ainsi en alla-t-il tout particulièrement de Roger Cousinet, qui définit ce qu'il appela " le travail libre par groupe ". Nous pouvons nous interroger sur cette pratique, sur son efficacité lors d'une formation de sapeur-pompier. En groupe, le travail vise l'obtention d'objectifs personnels, dont on estime cependant qu'ils seront mieux atteints s'ils sont poursuivis à plusieurs: chacun est censé bénéficier de la stimulation et des apports des autres. Lors des cours de secourisme, cette pratique existe puisque, en fin de parcours, chacun doit passer un examen individuel. Le travail de groupe vise l'obtention d'un résultat commun, l'élaboration d'une unique prestation, mais à laquelle chacun apporte son concours. Cette pratique est plus que courante car, lors d'une manœuvre, chacun a une tâche précise mais un but commun: sauver une personne ou un bien. L'objectif est donc propre à plusieurs et le produit qui en résulte est le fruit des apports de chacun. Le travail en équipe est un principe fondamental de cette formation pour les sapeurs-pompiers. Lors de cette dernière, l'encadrement enseigne l'idée de l'indispensable collaboration de tous à une oeuvre commune. Le travail en équipe ne supporte aucune défaillance. C'est pourquoi, plus encore que la compétence de chacun des membres, importe leur capacité à collaborer. Or loin d'être spontanée, la capacité de travailler en équipe relève d'une éducation.

«  On désigne par animation toute action, dans ou sur un groupe visant à développer la communication et à structurer la vie sociale en recourant à des méthodes semi-directives; c'est une méthode d'intégration et de participation « .

L'auteur, J.P Imhof, 22 ,rapporteur d'un colloque national sur l'animation en 1966, ajoutait: «  l'animation implique trois processus conjoints: un processus de dévoilement: créer les conditions pour que tout groupe ou tout individu se révèle à lui-même; un processus de mise en relation des groupes d'hommes entre eux ou avec les centres de décision, soit par la concertation soit par le conflit; un processus de créativité: par l'interrogation des individus dans le groupe avec l'environnement, l'expression, l'initiative et la responsabilité « .

La fonction animation est la fonction clef de la nouvelle éducation des adultes. C'est à partir et autour d'elle que toutes les autres doivent se regrouper. Elle correspond à plusieurs objectifs:

  • favoriser l'exercice de la responsabilité: si la notion d'adulte à un sens, c'est bien celui de l'exercice de sa responsabilité pleine et entière, personnelle et collective, qui doit être exercée face à la formation. Celle-ci étant un moyen privilégié d'entraînement à l'exercice de cette responsabilité.

L'animateur facilite le transfert de la responsabilité de la formation du formateur au formé. Il doit permettre un réel développement personnel. Il travaille en vue de:

  • organiser la liaison entre la formation passée et la formation présente, afin d'assurer la continuité, pour que les nouveaux apports soient intégrés ou partent des acquis antérieurs.
  • organiser la liaison entre les différents éléments d'une formation, afin de faciliter leur apprentissage, leur compréhension et leur maîtrise.
  • jeter les bases d'une formation ultérieure

Lors des formations des sapeurs-pompiers, il devient indispensable de tenir compte de ces éléments. Aujourd'hui, la pédagogie ne devient-elle pas une des grandes aventures de la modernité? La formation est partout. Dans le temps, elle est permanente, continue. Dans l'espace, elle est professionnelle, militaire, religieuse, scolaire.

La question que nous pouvons nous poser concerne la signification du terme «  formation « , qui tend à supplanter «  éducation «  ou «  enseignement «  mais également «  instruction et apprentissage «. Du point de vue sémantique, former, c'est transmettre des connaissances, avec le souci de développer la personnalité, en y articulant théorie et pratique. La formation implique une transformation de la personne dans ses multiples aspects, affectif, cognitif et social, et par rapport à des apprentissages de savoirs, savoirs-faire, savoirs-être. Il s'agit donc d'un changement qualitatif dans une logique de structuration.

Former, c'est induire des changements de comportements, de méthodes, de représentations et d'attitudes. Le formateur, pour une meilleure efficacité, doit comprendre dans quel type de changement il doit se situer, compte-tenu de la situation: cette notion est difficile à appréhender, surtout pour la personne qui n'a pas été sensibilisée à la notion de formation: c'est le cas typique des sapeurs-pompiers qui encadrent une formation initiale. La transmission du savoir renvoie à la notion d'enseignement, qui désigne de façon générale les techniques et les instructions par lesquelles les connaissances théoriques et pratiques indispensables au fonctionnement ordonné d'une société sont transmises par un adulte d'une génération à ceux de la génération suivante. Si la transmission du savoir est incluse dans l'enseignement, le libre épanouissement de la personnalité va alors se situer du côté de l'instruction, de la pédagogie, de l'éducation ou de la formation, suivant l'époque dans laquelle nous nous trouvons. La formation ne va plus se limiter à une simple acquisition de connaissances déterminées; ainsi, les cours théoriques que reçoivent les pompiers lors de leurs divers stages de formation. Mais son rôle va être de préconiser un emploi actif de connaissances, ainsi qu'une acquisition active de nouvelles connaissances. Nous entrons dans un domaine que nous pourrions dénommer : apprendre à apprendre, soit pour les pompiers: formation de formateurs. Ces derniers contribuent à la construction de compétences professionnelles déterminées, auxquelles les sujets doivent être formés, pour ensuite former à leur tour. Nous sommes au cœur de l'objectif principal d'une formation initiale. Elle possède une visée pratique dominante. Elle est entièrement ordonnée à produire des compétences précises mais limitées, dont l'usage sera déterminé puisque les sujets sont précisément là pour les acquérir. Le formateur doit posséder un regard sur le futur terrain d'exercice de la compétence. Pour cela, il lui est essentiel de disposer d’ un modèle de formation, centré sur cette acquisition de compétence ainsi que sur l'évolution de la personnalité.

Auparavant, la transformation d'un enfant en adulte passait par « une certaine éducation basée par des principes et/ou des valeurs « c'était le transfert du savoir et du savoir-faire. Actuellement, les sapeurs-pompiers appellent cela la formation initiale. Cela représente la formation de base, perfectionnée aujourd'hui par des formations complémentaires. La loi Delors, du 16/07/1971, a permis d'organiser la formation professionnelle continue dans le cadre de l'éducation permanente ou, du moins, sa naissance sur le plan symbolique et culturel, voire d'une première ébauche d'analyse juridique ou sociologique. Ce « savoir » de nos ancêtres est désormais conçu comme une formation initiale. Mais cette éducation, que nous pouvons définir comme pratique conductrice de comportements du citoyen et de développements culturels associée à la fonction professionnelle productrice de compétences attendues, est en pleine évolution et, au fil des années, la première pratique tend à dominer la seconde. L'éducation associée à la formation devient éducative au vrai sens du terme, comme la majorité des pratiques sociales. Cependant, elle demeure dirigée par la conception de la société en référence à laquelle elle propose un projet. Ainsi, c'est lors des transformations sociétales que l'énoncé de leur nécessité est le plus manqué. De même que l'évolution des deux derniers siècles permet à la formation de construire sa raison d'être, l'avènement de la démocratie ainsi que le développement de l'économie sont les nouveaux modèles qui structurent les rapports sociaux de la fin du millénaire.

Notes
21.

dictionnaire encyclopédique de l’éducation-page 438

22.

Extrait « colloque national de l’animation » 1966