4 ANALYSE

Nous constatons clairement que les phénomènes qui concernent le contexte géographique , la répartition des effectifs, des ressources, des risques et des hommes, sont des freins à l'accomplissement des missions des sapeurs-pompiers. Il convient de trouver des solutions car, à tous ces facteurs, il faut ajouter la formation du personnel. Comment trouver du temps pour la mettre en place, sans sacrifier la capacité opérationnelle? L'après 1988 et l'avant 2000 représentent donc une période de transition importante. Lorsque nous analysons le rôle joué par la Sécurité Civile et ses deux sous-commissions, il apparaît évident que les agents qui travaillent dans le bureau formation ne sont pas en mesure de remplir correctement leurs tâches, ces dernières étant trop nombreuses et eux en nombre insuffisant. De plus, les deux bureaux travaillent séparément; ainsi, la coordination de la gestion de la formation dans son ensemble reste lacunaire. Cela implique que la Sécurité Civile ne remplit pas sa mission de planification et d'impulsion à l'échelon national. Du point de vue de l'uniformisation nationale, cela entraîne des difficultés mais, en contre-partie, de la créativité et, il faut le reconnaître, une certaine performance. Il est cependant dommage de devoir constater que chaque corps veut garder ses idées ; c’est à dire que ceux qui ont formé leur personnel en fonction de leurs propres besoins ne se sont pas consultés. Lorsqu’un pompier demande une mutation, il trouve des techniques de travail totalement différentes. Son adaptation est parfois difficile. De plus, cela entraîne une forte dépense d'énergie et de financement, pour arriver pratiquement à la même finalité. Par exemple, il existe de nombreux règlements de manœuvres qui diffèrent suivant les départements. Leur réunion aurait certainement permis un gain de temps et d'argent. De même, si nous prenons l'exemple du règlement des manoeuvres-incendie du Grand Lyon, il est différent de celui du Règlement d'Instruction et de Manœuvres National, ( ce dernier représente la réglementation nationale des missions des sapeurs-pompiers communaux. Edité en 1953, il est sur le point d'être remplacé par les fascicules de formation.). Lors d'un concours ou d'une mutation, les pompiers sont dans l'obligation de tout réapprendre. Cette aberration va même plus loin lors de stages d'officiers sous-lieutenants, pendant lesquels ces derniers manœuvrent à Lyon avec ce fascicule réservé exclusivement au corps et qui est distribué à tous les stagiaires. L'inspection technique de la Sécurité Civile n'utilise donc guère sa compétence en la matière. Vu la panoplie de risques existant à l'heure actuelle, il est facile de comprendre l'utilité d'uniformiser la formation au plan national.

L'analyse du schéma des écoles montre l'inégalité de la répartition géographique sur le territoire et, par conséquent, l'inégalité de la répartition fonctionnelle des tâches entre les différents échelons. Les anomalies de ce système pyramidal sont certaines. Les écoles départementales sont absentes dans vingt départements. Les stagiaires effectuent leur formation directement dans les centres de secours ou, parfois, dans un autre département, si leur corps d'appartenance dispose du financement adéquat. La zone nord et la zone Ile-de-France ne sont pas pourvues d'E.I.R, alors que la zone sud-est en comprend deux, celles de Lyon et de Valabre. Celle-ci est un cas particulier. En effet, créée en 1967, elle avait pour première vocation la formation à la lutte contre les feux de forêts. Son évolution en centre inter-régional s'est produite au fil des années. En 1988, les stages " feux de forêts " n'ont représenté que 32% de la totalité des stages dispensés; or le centre n'est pas adapté financièrement et humainement à la formation de nombreux stages autres que ceux-ci. Son rôle devra donc, dans les années suivantes, être transformé, car il fait également double emploi avec l'E.I.R de Lyon, qui représente le siège central de l'état-major de la zone de défense sud-est. En outre, la distinction entre une école départementale et un C.I.S.A n'est pas très claire, car certaines écoles non inscrites parmi les C.I.S.A possèdent l'agrément de la Sécurité Civile pour préparer les stagiaires aux certificats. En réalité, nous ne trouvons pas de différences entre ces deux organismes.

Les E.I.R, quant à elles, ne remplissent pas leur mission première, qui est la formation de haut niveau. Elles regroupent trois échelons scolaires, écoles supérieures de Nainville, inter-départementales et inter-régionales et ainsi, proposent toutes sortes de formations, à tous les niveaux d'échelons. L'exemple des E.I.R de Lyon et Bordeaux est caractéristique car, en 1988, elles ouvrent 30% des formations qui sont normalement de la compétence du niveau départemental et inter-départemental, et non de celle d'une E.I.R. Cela tient généralement à des raisons pratiques: regroupement des formations, utilisation du même matériel pour tous les niveaux d'une même formation,...Mais le gros problème est celui d'une confusion entre les dépendances physiques et matérielles d'une école vis à vis du C.S.P de son lieu d'implantation. En ce qui concerne les communautés urbaines, Lyon demeure le siège de l'école de la communauté urbaine, avant d'être véritablement une E.I.R!

Au niveau national, il existe également quelques ambiguïtés. L'école nationale supérieure des officiers sapeurs-pompiers n'est pas autonome; elle représente simplement une unité pédagogique et sa situation n'est pas clairement définie. Dans cette même école, il existe en réalité deux structures différentes: Nainville-les-Roches et le C.N.I.P.C.I, ou la répartition des rôles est confuse.

Le recrutement des sapeurs-pompiers professionnels ou volontaires, ajouté à la non existence d'un statut particulier propre à la spécificité des sapeurs-pompiers, autorise un certain nombre d'ambiguïtés et d'interprétations anarchiques. Lorsqu'un sous-lieutenant ou un capitaine réussit au concours d'admission, quel que soit ce dernier, interne, externe ou de promotion sociale, il est inscrit sur une liste d'aptitude et cherche lui-même un emploi. Même s'il appartient à un corps, il n'est pas forcement recruté par celui-ci. Quand il trouve un poste, il est stagiaire pendant douze mois, avant d'être titularisé. Pendant cette année, il est susceptible de recevoir une formation à l'école supérieure des officiers de Nainville-Les-Roches. Mais aucun texte réglementaire n'édicte l'obligation de formation; aussi certains sont-ils titularisés alors qu'ils n'en n'ont effectué aucune ou ont échoué à celle de Nainville!

Si nous comparons le schéma de formation des sous-lieutenants et celui des capitaines, nous constatons qu'ils sont analogues et comportent une certaine logique. En effet, un officier recruté sur titres bénéficie des connaissances théoriques et techniques alors qu'il ne possède pas d'expérience professionnelle et, à l'inverse, celui qui est recruté au titre de la promotion sociale, ou sur épreuves pour le lieutenant qui veut devenir capitaine et justifie de quatre ans de services effectifs, possède l'expérience mais pas toutes les connaissances générales et techniques.

En contre-partie, la logique paraît absente de certains recrutements. Les candidats titulaires d'un baccalauréat sont extérieurs à la profession. Les fonctionnaires de l'Etat et les sous-officiers militaires n'ont pas à justifier de diplômes. De même pour les capitaines: les titulaires d'un diplôme universitaire de technologie, d'un brevet de technicien supérieur ou d'une licence et sous-lieutenants recrutés sur titre peuvent se présenter immédiatement au concours de capitaines, sans se préoccuper de conditions d'âge ou d'ancienneté. Ce sont donc des candidats sans expérience professionnelle et déjà nommés dans un emploi d'officier. Cela entraîne une certaine confusion; les sous-lieutenants ne se forment pas pendant leur année de stage, mais se préparent au concours de capitaine! Il en est de même des catégories qui autorisent les sapeurs-pompiers des deux grades ayant trois ans d'ancienneté à se présenter au concours sur épreuves; cela ne découle d'aucune logique. Soit ils ne sont titulaires d'aucun des diplômes exigés, ( D.U.T, B.T.S ou licence pour les capitaines et baccalauréats pour les sous-lieutenants ), soit, s'ils en possèdent un, ne satisfont pas aux conditions d'âge à respecter pour être candidats aux concours sur épreuves. Enfin, il faut noter que tous les lauréats des concours sur titres ne possèdent ni pratique ni expérience professionnelle. Pourtant, ils sont susceptibles d’occuper un poste à hautes responsabilités comme, par exemple, celui de chef de corps. Vu qu'ils ne connaissent pas le métier, n'est-il pas difficile, aberrant et, parfois, dangereux de diriger les secours lors d'interventions?

En résumé, nous constatons l'incohérence du fonctionnement du système du recrutement des officiers volontaires. De surcroît, aucune condition d'aptitudes physiques et aucune formation du même type que celle des professionnels à l'école supérieure de Nainville-Les-Roches ne sont demandées. Sur le terrain, l'hétérogénéité, du point de vue de l'organisation et du contenu de la formation initiale au grade de sapeur, est de rigueur. Chaque département fait ce qu'il veut en fonction de ses besoins, de ses idées. En général, seuls quelques grands départements, tels l'Isère, le Vaucluse, la Haute-Garonne ou le Rhône, effectuent de réelles et bonnes formations, celle des professionnels demeurant complète et performante vis à vis de celle des volontaires.

Si les différences de ressources et la politique locale jouent un grand rôle dans cette hétérogénéité, il faut constater que les lacunes de textes réglementaires en représentent la seconde cause. En effet, seuls le B.N.S et le B.N.S option réanimation sont demandés pour devenir pompier professionnel, la connaissance du R.I.M n'étant pas obligatoire. Nous arrivons ainsi à la conclusion suivante: un candidat peut être pompier professionnel en étant simplement secouriste. De même pour les volontaires: les textes n'exigent aucune qualification. Le B.N.S option réanimation est seulement demandé pour l'avancement au grade de sapeur deuxième classe. Cela entraîne qu'un candidat pompier volontaire peut rester trois ans « sapeur deuxième classe », puis, par ancienneté, être nommé première classe et exercer le métier sans aucune formation! A ce sujet, il est intéressant de rappeler que les volontaires représentent 90% des effectifs. Un volontaire peut ainsi être " pompier " sans être ni sapeur, ni secouriste! Heureusement, de nombreux corps possèdent un encadrement sérieux et compétent; la formation sur le tas peut ainsi permettre d'acquérir un niveau convenable de connaissances et de compétences.

D'autres aberrations apparaissent dans ce système. Tout d'abord, l'irrégularité du recrutement annuel. Les départements qui engagent un ou deux sapeurs assez rarement sont obligés de les former sur le tas. Si une concertation entre plusieurs départements limitrophes existait, ils pourraient être recrutés en même temps et la possibilité de leur offrir une formation pourrait s'envisager. Le contenu de la formation initiale diffère également suivant le département et selon s'il s'agit de volontaires ou de professionnels. Enfin, un dernier problème réside dans l’évaluation. Généralement, l'évaluateur avait fait aussi office de formateur, ou bien c'est l'appréciation du chef de corps du lieu de la formation qui permet d'obtenir le diplôme qui la sanctionne. Si le corps d'appartenance a un réel besoin d'une personne diplômée, la réussite est facilitée.

La formation des lieutenants, quant à elle, semble correcte et complète: pourtant, elle n'apparaît pas satisfaisante aux yeux des élèves et, surtout, des chefs de corps. Cela tient tout simplement à ce qu'elle se veut trop ambitieuse pour des stagiaires dont le niveau scolaire de base est très hétérogène. Il parait difficile de transmettre en quelques semaines toutes les connaissances nécessaires à une carrière longue de quarante années, excepté les sept semaines de début de stage, qui essaient de recadrer les stagiaires; les vingt suivantes ne tiennent pas compte du parcours antérieur de chacun. Le but est de former des chefs polyvalents. Or, nous avons constaté que la profession elle-même est très polyvalente, le métier étant une activité peu ordinaire, qui se situe dans un environnement humain et administratif complexe. Les matières enseignées, environ une trentaine, sont également extrêmement diversifiées et il apparaît malaisé, par exemple, d'initier à la psychologie en quelques heures.

Il convient, à cela, d'ajouter que le diplôme décerné en fin de formation ne possède aucune portée, car le stagiaire est déjà recruté dans un corps et, avec ou sans diplôme, sera titularisé. Aucune réglementation n'indique la liaison entre titularisation et réussite au diplôme. Enfin, l'école de Nainville-Les-Roches ne possède ni de matériel sapeur-pompier, ni d'aire de manœuvres; les cinq semaines de formation de la phase «  A « , sont donc exclusivement théoriques. Or, nous savons parfaitement que la théorie, dans le métier, est souvent loin de la réalité du terrain.

Les résultats est que les stagiaires deviennent des officiers moitié-opérationnels, moitié-gestionnaires, mais en aucun cas véritablement compétents dans la totalité. La formation des capitaines professionnels présente les mêmes inconvénients que celles des sous-lieutenants professionnels et volontaires. De plus, elle est restreinte: seulement quatorze semaines au maximum et six au minimum. Cela provient du fait que celle des sous-lieutenants est, comme nous l'avons vu prècedement, programmée pour toute la carrière d'un officier, celle de capitaine demeurant complémentaire. Les capitaines nouvellement recrutés sont appelés à tenir des rôles de commandements, avec ou sans formation. Les capitaines sur titre n'ont pas besoin de passer un concours ou un examen; un diplôme inscrit sur la liste nationale est suffisant. Cette dernière est réactualisée chaque année par une commission, en fonction des besoins au niveau national. De même pour les capitaines volontaires : aucune formation n'est prescrite par les textes, excepté un stage, dont le contenu n'est pas indiqué! En résumé, un volontaire peut être recruté et obtenir un poste de commandement à responsabilité importante, tel celui de chef de corps d'un C.S.P, en possédant seulement un diplôme universitaire. Il peut ainsi ignorer la totalité des rudiments du métier.

La formation liée à l'avancement appelle aussi des remarques intéressantes. En effet, trois années d'ancienneté sont demandées pour accéder au grade de caporal professionnel. Or, le service national ainsi que l'ancienneté dans la fonction publique territoriale sont pris en compte. Cela entraîne la nomination à ce grade, en même temps que la titularisation, au bout d'une année seulement. Nous sommes en présence d'un avancement indiciaire, et non plus d'un grade qui correspond à de réelles fonctions. De plus, vu le nombre de grades, cela entraîne automatiquement un antagonisme entre ceux de la fonction réelle et ceux de la grille indiciaire. La hiérarchie entre un sapeur de seconde classe, un sapeur de première classe, un caporal et un caporal chef n'est plus évidente. Il en est de même pour les sergents chefs et les adjudants chefs. Un sous-lieutenant est différent d'un lieutenant simplement parce qu'il désigne un élève officier puisque, lorsque il est titularisé, il est nommé automatiquement lieutenant.

L'incohérence de ce système est flagrant. Chaque grade doit correspondre à une fonction ou à une responsabilité définie clairement, le tout sanctionné par une formation adéquate et par un changement d'indice approprié, ce qui n'est pas toujours le cas.