III EME PARTIE
LA REFORME DE LA FORMATION ET LES AMELIORATIONS PROPOSEES

1 - BENEVOLAT ET VOLONTARIAT

«  Le devoir aussi bien que l'intérêt des hommes est de se rendre utile à leurs semblables. » 47 . Ce principe, tiré de l’œuvre d'Alexis de Tocqueville: «  de la démocratie en Amérique « , reflète, à notre avis, le comportement que chaque citoyen devrait, dans une démocratie, opter face à son prochain. Elle introduit également la notion de bénévolat. Celui-ci désigne une action sociale dans laquelle un acteur et un contexte vont pouvoir se rencontrer et adopter une situation de développement. Pendant de longues années, les pompiers ont été bénévoles. Aujourd'hui, ils sont devenus volontaires. Les bénévoles ne recevaient pas de rémunération pour leur action. En contre partie, les volontaires sont rémunérés par des « vacations » en fonction de la durée de l’intervention et du grade de chacun. Chaque année ce tarif est révisé. La majorité des personnes ne font pas de différences, et lorsque l'on parle des pompiers, on emploie le terme «  bénévole « . Pourtant, ce qui est indifférent aux uns ne l'est pas aux autres. En effet, les volontaires, qui se distinguent des professionnels, sont actuellement source de discussions, de conflits et de problèmes à caractère humain, dont les solutions ne sont et ne seront pas faciles à mettre en place. Ces deux termes, qui correspondent à deux situations différentes sur divers points, ne sont pas clairement et totalement définis par le ministère lui-même.

A l'orée du vingt et unième siècle, pour essayer de clarifier la situation des pompiers volontaires, il convient en premier lieu de définir exactement les deux termes, d'expliquer les raisons de cette évolution et enfin de trouver la solution d'avenir pour qu'une osmose réelle et viable existe entre volontaires et professionnels.

Il ne faut surtout pas oublier que cette profession est née grâce à un esprit de dévouement et de solidarité et que, sans la volonté et le bénévolat de certains, ce métier ne serait peut-être pas ce qu'il est aujourd'hui. Nous pouvons considérer qu'une personne est bénévole lorsqu'elle effectue une action non rémunérée, sans contrainte et n'entraînant pas de sanctions si elle n'est pas effectuée. C'est un comportement altruiste qui, aujourd'hui, est un paradoxe face à une société capitaliste. En effet, par définition, le bénévolat demeure un acte totalement gratuit, désintéressé. C'est un choix personnel, qui demande de la disponibilité, un désir de communication et souvent une sensibilisation aux problèmes d'autrui. C'est pourquoi il se déroule généralement dans un milieu associatif. Nous essayons de rendre des services tout en défendant nos idées. Il est bon de signaler que la France est le seul pays où le bénévolat est parfois obligatoire d'un point de vue juridique. En effet, la loi oblige les associations loi 1901 à but non lucratif à être administrées par des bénévoles. Cependant, la notion de désintéressement est parfois relative, car un bénévole peut obtenir des gratifications sous certaines formes : valorisation personnelle, pouvoir grandissant, voire prestige. Cette activité peut responsabiliser et professionnaliser la personne et cela peut entraîner à plus ou moins long terme la perte du bénévolat, car le bénévole peut arriver, à la suite de la réussite grandissante de son action, à créer un emploi et ainsi à perpétuer son action mais, cette fois-ci, rémunérée, comme le montrent certaines associations loi 1901, qui fonctionnent bien et engagent un de leurs bénévoles en tant que salarié. Aujourd'hui, il existe ce que nous pourrions appeler le degré de contrainte et d'institutionnalisation du bénévolat car la société demande de plus en plus de solidarité avec les personnes démunies, qui sont, hélas, de plus en plus nombreuses. Le bénévole est-il contraint d'effectuer des actes gratuits? Si oui, il rentre bien dans la définition du bénévolat ; sinon, il n'effectue plus un geste totalement bénévole. Cela provient peut-être du fait que nous sommes dans une société industrielle capitaliste, où les valeurs marchandes sont de rigueur. Cette société développe l'intérêt personnel, la compétition vis à vis de ses semblables alors que, paradoxalement, elle veut promouvoir des valeurs de solidarité et d'humanisme tirées de la religion ou de la démocratie. L'éthique bénévole doit passer par un comportement personnel et intériorisé.

Lorsqu'une personne choisit librement d'effectuer, pour une certaine communauté, une action rémunérée, même faiblement, celle-ci ne peut plus être appelée «  action sociale bénévole « ; nous rentrons alors dans le cadre du volontariat. Or «  Volontaire « : ce terme, proche du mot anglo-saxon «  volunteer « , n'est pas, à notre avis, tellement approprié aux sapeurs-pompiers. En effet, il évoque une histoire très militaire. Souvenons-nous des « volontaires de la guerre de Corée « ,...Les exemples sont nombreux. Or, un pompier volontaire a choisi d'être pompier: personne ne l’y force: il veut aider son prochain, faire preuve d'altruisme, de courage et de dévouement. Il choisit ce métier par vocation, comme les instituteurs, les infirmières,...L'émission «  52 sur la une «  du lundi 8 septembre 1997 de Jean Bertolino sur les pompiers de Paris montre des exemples de jeunes gens qui veulent le devenir pour aider les autres et ne pas rester égoïstes. Mais il est vrai, en cette fin du vingtième siècle, que le chômage représente un problème réel et demeure une des préoccupations des français. La vocation n'est plus le facteur primordial pour trouver un emploi. Il suffit de voir le nombre de candidats qui se présentent aux concours administratifs, tel celui-ci, pour se rendre compte que la sécurité de l'emploi est la priorité. Cela est désolant mais représente une triste vérité de notre société en cette fin de siècle.

Aujourd'hui, le pompier volontaire est rémunéré et certains abusent parfois de cette situation. Il est en droit de recevoir une indemnité pour le temps passé lors des interventions et de sa formation, qu'il doit obligatoirement effectuer, généralement pendant ses périodes de congé. Cependant, pour que le volontariat subsiste et qu’il n’y ait pas de confusion avec le système du «  travail au noir « , il est clair que cela doit être clarifié, le métier de sapeur-pompier risquant de perdre ainsi sa crédibilité et une partie de son idéal, car le volontaire n'est plus, à cet instant, une personne faisant acte d'altruisme, de courage et de dévouement.

Une seconde source de conflits entre professionnels et volontaires tient à la formation et à son application sur le terrain. Une formation initiale de professionnel est d'une durée de cinq mois ; celle d'un volontaire de cinq jours ; et il en est de même pour les recyclages. Le nombre d'interventions effectuées par l'un et par l'autre est également différent. Il parait logique de tenir compte de ces éléments pour la finalité qui, en l'occurrence, est l'intervention proprement dîte. Seulement, les facteurs politiques et économiques font souvent abstraction des situations concrètes du terrain. Ces dernières demeurent des formations indispensables et formatrices. Une solution idéale devrait être envisagée rapidement, pour éviter que l’écart entre théorie et pratique se creuse davantage.

Il existe également une autre catégorie de pompiers: les permanents. Ces derniers ont vu leur statut élaboré et mis en place au bout de nombreuses années. Les permanents étaient généralement des employés municipaux recrutés pour deux types de travail, celui de la municipalité, ( services différents, assainissement, voirie,...) et celui de pompier. Le manque de rigueur de la réglementation et l'absence quasi totale de statut propre ont provoqué de nombreux abus et contournements. Certains, jonglant judicieusement avec la réglementation des pompiers professionnels et celle des pompiers volontaires, ne bénéficiaient que des avantages de ces deux corporations. De plus, le recrutement, en fonction des besoins et pour éviter celui, trop onéreux, d'un professionnel, était effectué par le Maire de la commune, sans concours au préalable. Aujourd'hui, le statut des permanents est régularisé, c'est à dire que les ex-permanents ont été intégrés d’une part, comme pompiers-professionnels, avec des grades correspondant réellement à leur formation professionnelle, généralement largement inférieurs à ceux qu'ils possédaient auparavant. En effet, ils n'avaient pas la possibilité de les justifier, sachant qu’ils étaient nommés par décision du Maire, qui choisissait lui-même les personnes à recruter. D ‘autre part, d’autres ont été « licenciés «  pour redevenir employés municipaux et, parfois, pompiers volontaires, suivant le désir de chacun.

L'entrée dans le troisième millénaire est marquée par un changement important de l'organisation des services incendie. La société évolue et les secours doivent suivre cette évolution. L'urbanisation grandissante développe la venue des personnes vers les villes et désertifie nos campagnes. Pourtant, chaque citoyen doit être secouru identiquement, que ce soit en temps ou en qualité, malgré les moyens employés, qui sont différents selon qu'il s'agit de zones rurales ou de grands centres urbains. C'est pour cela que, dans l'avenir, il va falloir distinguer deux types de pompiers: non pas des volontaires et des professionnels, mais des ruraux et des citadins.

Ayant été personnellement volontaire pendant deux ans dans un corps rural, professionnel dans une grosse agglomération pendant dix années et aujourd'hui professionnel dans un corps mixte, je voudrais effectuer une synthèse de mes expériences et étudier, avec un certain recul, les avantages et inconvénients de cette distinction.

Un village, voire une petite ville inférieure à dix mille habitants, ne peut, d'un point de vue économique, financer une équipe de sapeurs-pompiers. Ces derniers doivent être présents vingt quatre heures sur vingt quatre; or, après chaque garde de vingt quatre heures, quarante huit heures de repos sont nécessaires. Il faut un minimum de six personnes par garde pour armer un fourgon incendie. Cependant, elles peuvent être malades, en congé ou en formation, ce qui entraîne l'engagement de vingt quatre sapeurs au minimum, ( trois fois six, plus deux remplaçants par garde ). Il faut ajouter à cela deux responsables supérieurs. Il apparaît évident que les petites zones rurales doivent fonctionner avec des volontaires, surtout que le nombre d'interventions est parfois minime cinquante par an pour certaines bourgades ou employer des personnes à mi-temps, qui peuvent se remplacer par roulement, ou effectuer des heures de garde postée. C’est à dire qu’ils restent de permanence à la caserne, pour intervenir rapidement lors d’un appel de demande de secours. Cela est aussi un manière de conserver la valeur du «  volontariat «  en France.

En ce qui concerne les grosses agglomérations, le centre-ville doit posséder une ou plusieurs casernes de pompiers, où le personnel soit nombreux et formé pour répondre aux multiples urgences. Seules des équipes de professionnels sont capables d'assurer ce rôle et de tenir des gardes. En contre-partie, pour les villes jouxtant les grosses agglomérations, le problème est différent. En fonction du nombre d'interventions et des risques présents, selon qu’il s'agit d'une zone industrielle avec des usines de pétrochimies, ou simplement d'un lotissement de maisons individuelles, le nombre de pompiers professionnels peut être plus ou moins important. La mixité est un moyen qui leur permet de posséder une bonne équipe de secours, avec un coût réduit pour les contribuables. Un groupe d'une vingtaine de professionnels et d'une quarantaine de volontaires est suffisant: les premiers, possédant une formation et une expérience plus rigoureuses et plus approfondies, encadrent et forment les seconds. Une étude récente montre qu’un volontaire reste moins de cinq ans sapeur pompier, du fait de la durée grandissante et obligatoire de la formation, du caractère également de plus en plus obligatoire des gardes postées et de la disponibilité vis à vis des employeurs. La future refonte de la filière des agents de la fonction publique territoriale est certainement mise en place pour contrer ce phénomène que les pouvoirs publics n’avaient pas prévu, dans leur idée de développement maximum du volontariat. En effet, depuis quelques années, ce développement est mis en avant, le nombre de professionnels non seulement n’étant pas augmenté mais, au contraire, enregistrant une légère diminution. Cependant, à la suite des éléments vus précédemment, les volontaires sont en perpétuel renouvellement ; leur formation a ainsi un coût plus élevé que prévu. La future refonte de la filière, qui doit être mise en place au premier janvier 2002 et prévoit notamment de faire passer à l’ancienneté, et non plus par concours, sous certaines conditions, les caporaux au grade de sergents, puis à celui d’adjudants, doit entraîner une motivation nouvelle. Cela doit également permettre aux professionnels d’encadrer les volontaires qui, dans l’avenir, posséderont seulement une solide formation de base avec, pour recyclage annuel, quarante heures réparties en modules de deux heures. Les sujets principaux, secourisme et incendies sont révisés accompagnés de cours théoriques ou pratiques. Cela en fonction de la demande des agents ou d’événements particuliers. Tout ceci, va entraîner la réduction des gros centres et le développement de centres mixte, qui deviennent de plus en plus performants et indispensables du fait de leur facilité de gestion et de la diminution du délai d’intervention. En fait, cette solution est, en quelque sorte, un retour aux sources. Nous avions noté, dans notre étude historique, que la mixité a été, pendant de longues années, le seul moyen de lutte contre les incendies. Ne dit-on pas que l'histoire est un perpétuel recommencement?

Cependant, un risque demeure. Par souci d'économie, un professionnel coûtant beaucoup plus cher qu'un volontaire, les villes de taille moyenne ou limitrophes d'une ville plus importante, qui ne peuvent financer un service incendie de professionnels dans sa totalité, vont choisir d'engager seulement un ou deux professionnels et beaucoup de volontaires. Cela a le désavantage de relancer et de prolonger la polémique entre professionnel et volontaire. Il conviendra alors aux pouvoirs publics de s'engager sur un choix ferme et de régulariser tous ces types de situations, dans l'intérêt général, aussi bien pour les pompiers, las de ne pas posséder de situation et de statuts fixes, que pour tous les citoyens, qui sont en droit de demander un service de secours égalitaire, performant et rapide. Les derniers dispositions ministérielles démontrent que la mixité sera certainement la solution choisie dans l'avenir lors de l'entrée dans le troisième millénaire. L'exclusion des volontaires ou , a contrario, la diminution des professionnels sont une aberration. L'évolution de l'individualisme et la crise des valeurs, tendances actuelles de notre société, ne peuvent pas se passer des uns ou des autres, sous peine de provoquer un déséquilibre du service public ou la fin de la valeur sociétale qu'est le volontariat.

Aujourd'hui, force est de reconnaître que l'élan civique et citoyen ne constitue plus un impératif pour les technocrates. Cependant, dans les campagnes, volontaires ou professionnels doivent être capables d'effectuer le même geste pour sauvegarder la vie des victimes. En contre partie, il n'est pas possible de demander à un volontaire d'être transformé en plongeur sub-aquatique ou équipier de cellule mobile d'intervention chimique ou radiologique. Le récent drame du tunnel du Mont-Blanc a largement montré que certaines interventions ne peuvent être traitées que par des spécialistes, formés et aguerris. Les demandes de secours étant continuellement en augmentation, la professionnalisation garantit la rapidité et l'efficacité et devient une exigence. Mais le volontariat est une complémentarité indispensable, dès que nous nous éloignons d'une agglomération urbaine importante.

Notes
47.

de la démocratie en Amérique, page 92, A. de TOCQUEVILLE