En reprenant les propos de Francisco GOYA cité par Berry (2000) 34 ,nous pourrions dire que tout chercheur, lorsqu’il arrive sur le terrain, « c’est comme en parachute quand on a peu d’expérience: on contrôle mal l’endroit où l’on veut atterrir ». Cette image traduit bien les difficultés que va devoir surmonter le chercheur et l’accueil que les acteurs de terrain vont lui réserver. Ce ne fut pas notre cas car nous avions déjà une bonne connaissance du terrain et nous étions accepté par les acteurs de l’entreprise dans notre rôle de Directeur des ressources humaines. Cette acceptation est très importante quand on sait que, dans les organisations, les acteurs sont souvent allergiques aux observateurs externes.
Nos fonctions de Directeur des ressources humaines nous ont conduit à mener des actions de changement dans le cadre d’une stratégie d’entreprise en contact avec tous les acteurs de l’entreprise. Le recul nécessaire que nous devions avoir pour formaliser les résultats de nos travaux sous une forme scientifique nous a conduit à considérer que le succès d’une thèse de terrain n’est pas qu’une affaire de cognition mais aussi de relation, ce qui suppose que nous disposions d’une liberté suffisante par rapport aux canons méthodologiques pour pouvoir mener une thèse « dans le désordre ».
Notre démarche de recherche s’inscrit dans une approche de type recherche-intervention que nous avons signalée en introduction. Pour préciser et justifier notre approche méthodologique, nous rappellerons rapidement quels sont les éléments qui composent une démarche de recherche en Sciences de gestion, pour nous interroger ensuite sur ce qui différencie les méthodologies existantes. Cette analyse nous permettra d’identifier plus précisément les paramètres de la recherche-intervention qui constitue notre choix méthodologique.
L’objectif d’un projet de recherche est d’explorer, de décrire, de vérifier ou encore de maîtriser un phénomène (Evrard et al, 1993) 35 .Ce projet nécessite l’utilisation d’outils et de techniques de recherche qu’il faut mettre en place d’une manière organisée et préétablie. Igalens et Roussel (1998) 36 citent Wallace (1983) 37 quand il considère que cette organisation relève de la méthode qui est une mise en forme de la démarche scientifique.
Pour cela, trois règles doivent être respectées :
La méthode de recherche choisie dans l’approche de l’objet d’étude s’accompagne d’un mode de raisonnement permettant de construire progressivement un corps de connaissance sur cet objet de nature scientifique. Il existe deux modes de raisonnement qui accompagnent la démarche de recherche choisie : la démarche hypothético-déductive et la démarche logico-inductive. La déduction est un processus de recherche qui débute avec des analyses théoriques, traduites dans des hypothèses testables, pour ensuite les vérifier sur le terrain, à partir d’un échantillon représentatif. L’induction présume que l’on découvre sur le terrain des régularités à partir de cas particuliers. Le chercheur induit de ses observations une formalisation théorique pour construire une classification raisonnée des objets par l’expérience (Wacheux, 96) 39 . D’une manière générale, le raisonnement déductif va du général au particulier, alors que la démarche inductive traduit plus un effort pour progresser du particulier au général.
Nous pouvons schématiser les deux raisonnements de la façon suivante par la figure 0-4:
Par ailleurs, Thiétart (1999) 40 distingue quatre grandes étapes dans une recherche: la conception, la mise en œuvre, l’analyse et la diffusion des résultats. Or, les recherches de terrain ne se déroulent guère dans cet ordre : les lectures profitables se font rarement au début, les hypothèses défendues émergeant progressivement. La démarche y est inductive. (Berry 2000 ) 41 .
Toutes ces précisions développées nous permettent de clarifier notre cheminement. Notre pratique de Directeur des ressources humaines nous a amené progressivement à cerner les hypothèses qui devaient fonder les décisions d’actions pouvant répondre aux évolutions de l’entreprise où nous intervenions. Par la suite, ces hypothèses nous ont permis de mieux cerner notre objet d’étude en temps que chercheur. Notre démarche fut donc dans un premier temps logico-inductive. Nos itérations successives et permanentes entre le centre de recherche et le terrain, ont entraîné un raisonnement à la fois logico-inductif et hypothético-déductif.
Ce double mouvement de la pensée s’observe dans la démarche de recherche-intervention et plus précisément dans l’alternance des positions du chercheur que nous développerons à la sous-section 0.3.2.1. Nous allons aborder maintenant les principales méthodologies de recherche de terrain utilisées, avant de définir et positionner la recherche-intervention. Nous expliciterons ensuite notre choix méthodologique.
BERRY M., « Diriger des thèses de terrain », Annales des mines, Décembre 2000, pp. 88-97. op. cit.
EVRARD Y., PRAS B., ROUX E., CHOFFRAY J.M., DUSSAIX A.M., « Market, études et recherche en marketing, méthodes », Paris, Nathan, Collection : Connaître et pratiquer la gestion.
IGALENS J. et ROUSSEL P., « Méthodes de recherche en gestion des ressources humaines » Ed. Economica, 1998, 203 p. op. cit.
WALLACE M.J. « Methodology, research practice, and progress in personnel and industrial relations », Academy of management review, vol. 8, n° 1, p. 6-13.
IGALENS J. et ROUSSEL P., « Méthodes de recherche en gestion des ressources humaines » Ed. Economica, 1998, 203 p. op. cit.
WACHEUX F., « Méthodes qualitatives et recherche en gestion », Préface de ROJOT J., Ed. Economica, Paris, 1996, 290 p. op. cit.
THIETART R. A. « Méthodes et recherche en management » Dunod, 1999, op. cit.
BERRY M., « Diriger des thèses de terrain », Annales des mines, Décembre 2000, pp. 88-97. op. cit.