0.3.1.1 Les méthodologies de recherche dans le cadre général des Sciences de gestion
Il existe de nombreux travaux qui remettent en question la vision que l’on a de la science comme étant l’observation méthodique mais passive de l’action des gestionnaires. Il suffit de porter un regard sur les différentes méthodologies d’intervention qui ont été appliquées au cours du temps :
Grounded theory methodology (Glaser et Strauss, 1967), cooperative inquiry (Heron, 1971), action science (Argyris, Putmann, Smith, 85), recherche ingéniérique en gestion (Chanal, Lesca, Martinet, 1997), recherche-action diagnostique (Koenig, 1997), méthodes de structuration des problèmes (Rosenhead, 1989), sciences de l’aide à la décision (Roy, 1992), recherche-intervention en Sciences de gestion (Hatchuel, Molet, 1986) etc…pour n’en citer qu’une partie.
Toutes ces démarches ont en commun l’ambition de générer à la fois des connaissances pratiques utiles pour l’action et des connaissances théoriques plus générales. Le lien méthodologique entre connaissances théoriques et connaissances pratiques n’existe que s’il y a coopération entre le chercheur et l’organisation et si l’objectif est de produire une connaissance valide à la fois scientifiquement et pratiquement.
Nous pouvons retenir quatre principes communs aux démarches scientifiques d’intervention :
- principe n° 1 : l’objectif est de comprendre en profondeur le fonctionnement du système, de l’aider à définir des trajectoires possibles d’évolution, de l’aider à en choisir une, à la réaliser et en évaluer le résultat ;
- principe n° 2 : la production de connaissances se fait en interaction avec le terrain, le chercheur est inclus dans le dispositif de recherche ;
- principe n° 3 : le chercheur parcourt différents niveaux théoriques : le niveau théorique opératoire est celui des théories intermédiaires qui permet à la fois un dialogue avec le terrain et un dialogue avec les théories générales ;
- principe n° 4 : l’intervention sur la réalité justifie son caractère normatif par référence à des principes scientifiques (recherche de la vérité) et démocratiques (égal respect des acteurs) (David, 2000)
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Ces principes se retrouvent parmi les démarches d’intervention, dont quatre parmi les plus importantes, que nous allons comparer :
- l’action research (Lewin, 1951);
- l’action science (Argyris, Putnam, Smith, 1985);
- la science de l’aide à la décision (Roy 1992) ;
- la recherche intervention (Hatchuel, Molet 1986, Hatchuel, 1994).
- « l’action research »
Cinq principes fondent « l’action research » :
- elle implique des expériences de changement sur des problèmes réels au sein des systèmes sociaux. L’un des objectifs est d’apporter une assistance aux acteurs ;
- elle suppose des cycles itératifs d’identification du problème, de planification, d’action et d’évaluation ;
- le changement envisagé implique une rééducation dans les façons de penser et d’agir (normes et valeurs exprimées dans l’action) ;
- elle interroge le statu quo à partir d’une perspective démocratique, participatif avec les acteurs de l’organisation. Il faut donner aux acteurs les moyens de préparer collectivement le changement ;
- elle contribue simultanément aux connaissances fondamentales en sciences sociales et à l’action en société dans la vie quotidienne.
- l’Action science est une démarche scientifique « militante » : le chercheur adopte des positions d’autonomie, de participation et de réflexion critique pour l’action. La production de connaissances est au service de l’action et part du terrain. Ces connaissances sont contextuelles et non déduites de théories normatives générales. L’action science utilise des construits théoriques et met en avant l’accent sur les significations et la logique de l’action plus que sur les régularités qui se dégagent des évènements contingents. Les normes de validation sont établies « chemin faisant » par un apprentissage en double boucle. L’action science cherche à engager les acteurs dans une auto réflexion publique dans l’intention de transformer leur monde.
La démarche suivante rompt avec les approches qui travaillent sur des formulations de problèmes à un seul critère et à ne pas confondre avec l’idée de « science de la décision » qui est plus normative.
- La science de l’aide à la décision utilise des modèles formalisés multicritères différents des modèles de la démarche classique qui n’utilise qu’un seul critère. Les modèles organisationnels proposés sont associés à l’aide à la décision. La démarche est ouverte sur une exploration collective de l’existant et de ses transformations possibles. L’ancrage démocratique met en jeu une négociation coopérative où le groupe est consulté pour la mise en œuvre du modèle. La production de connaissances est utile à l’action où les acteurs sont mieux informés et plus conscients des pièges de la connaissance. (David,2000)DAVID A., « Le terrain est-il modélisable ? Faisons le point sur…les méthodes de recherche en management », Article au congrès ASAC-IFSAM, 2000, Montréal, 19 p. op. cit..
Cette rapide analyse de ces trois types d’intervention montre un effort de compréhension, de la part du chercheur, du système qu’il étudie, avec une volonté d’aider les acteurs du système par un apport de connaissances sur le système. Ces types d’intervention se traduisent au minimum par une observation de ce qui se passe sur le terrain, et peuvent faciliter la conception et à la mise en œuvre de changements concrets au sein des organisations étudiées.
Nous notons cependant l’absence d’une interaction entre le chercheur et les acteurs et d’une volonté résolument transformative du mode de fonctionnement du système à partir de cette interaction. Nous trouvons cette dimension dans la recherche-intervention que nous développerons dans la section 0.3.2.