1.2 Un processus de changement en cours

La solution d’une nouvelle restructuration accompagnée de licenciements est un acte de gestion mais, selon la Direction générale, ce n’est pas la seule solution possible et cela pour plusieurs raisons :

Malgré une conjoncture morose, un certain nombre de signes et d’analyses menées dans la profession laissent entrevoir une reprise probable de l’activité. De l’avis de nombreux acteurs de la profession, la compétitivité de la forge française dans un contexte de forte concurrence internationale, de rétrécissement des marchés et d’évolution vers des pièces de plus en plus techniques, dépendra de la capacité des entreprises à se maintenir à un niveau très professionnel. Dans ce contexte, l’enjeu formation est primordial.

Avec les exigences accrues de professionnalisme, la formation sur le tas ne suffit plus. Face à une reprise prévisible de l’activité, le capital humain de la société, bien que disposant d’un bon potentiel, risque de ne pas être à la hauteur des enjeux, notamment sur le plan de son énergie de mobilisation et de son degré d’adhésion aux objectifs de la société. Par ailleurs, les évolutions techniques et les exigences en matière de qualité rendent les emplois de plus en plus élargis aux contours flous.

Il est donc nécessaire que le personnel (re)découvre son potentiel et qu’il devienne plus autonome et polyvalent afin d’accroître sa réactivité face aux changements. La stratégie de la direction énoncée clairement en 1994 concernant le développement de son potentiel humain se traduit concrètement par des orientations nouvelles de l’organisation du travail.

Nous avons vu, dans le paragraphe précédent 1.1.4.2, que l’organisation d’un atelier, de manière générale, se composait d’un chef d’atelier, de deux contremaîtres, de régleurs, d’opérateurs de forge et de chauffeurs de fours. La société X se tourne alors vers une nouvelle organisation cible du travail par la recherche de l’autonomie et de la polyvalence individuelle et collective avec la notion d’équipe autonome.

La société adopte une position très claire: « Nous devons accroître notre compétitivité en formant notre personnel, sans exclure les moins qualifiés, à de nouvelles compétences », déclare le directeur général.

Cette compétitivité passe par un renouvellement des modes de communications existants, une autre organisation du travail et une reconnaissance des performances de chacun et des performances collectives.

Les objectifs humains sont recherchés :

Nous préférons utiliser le terme de « faible niveau de qualification » plutôt que « bas niveau de qualification » car il correspond à une relativisation de la réalité de l’activité de travail telle que ce personnel l’a vécue et la vit encore d’une part, et d’autre part renvoie au concept de qualification sur lequel nous reviendrons plus en détail dans le chapitre quatre.

Nous pouvons néanmoins dire que la qualification positionne un salarié en regard d’un emploi en termes de capacités à le tenir. Nous dirons qu’il est qualifié pour tenir tel ou tel poste de travail. Peut-on parler de bas niveau de qualification qui exprime plutôt la hiérarchisation d’un emploi sur une grille de classification, alors que le salarié a été reconnu apte à le tenir ?

Même si des salariés de la société X sont, pour certains d’entre, eux immigrés, et pour d’autres sortis très tôt du système scolaire, ils possédaient les compétences requises à l’époque où ils furent recrutés. Aujourd’hui, compte-tenu des évolutions techniques, informatiques, des contours de plus en plus vagues des emplois, ces mêmes salariés se retrouvent ‘dépassés’ sans avoir les moyens personnels et psychologiques de suivre seuls toutes les évolutions constatées qu’ils subissent.

Ce faible niveau de qualification s’explique par ailleurs par la division du travail qui entraîne une forte spécialisation des ouvriers sur leur poste de travail sans ouverture sur d’autres modes opératoires. La formation des individus se fait en général, jusqu’en 1994, sur le « tas » dans une logique de poste.

Ce faible niveau de qualification entraîne des dysfonctionnements 70 dans l’organisation en termes d’apprentissage individuel et collectif puisque cette spécialisation sur les postes de travail entraîne un manque de formation qui freine la possibilité de développement personnel et l’envie de vouloir apprendre. Cet état se concrétise par le manque de réactivité des ouvriers lorsqu’un incident survient dans le programme normal de production. Ceux-ci sont alors dépendants du processus de fabrication.

Par ailleurs, la notion d’équipe n’existe pas, ce qui ne facilite pas la recherche de solidarité entre les opérateurs lorsqu’une panne survient et ne crée pas les conditions d’une compréhension des échanges interpersonnels. Ces comportements en situation de travail entraînent une rigidité de la structure en terme de synergie, de souplesse et de réactivité vis à vis des fluctuations de production liées aux exigences des clients ou de mobilité interne lorsque des problèmes d’absentéisme de personnel se posent.

La relation « homme / machine » dans laquelle s’inscrivent les ouvriers vis à vis de leur poste de travail les rend dépendants de la hiérarchie et de l’encadrement intermédiaire que sont les régleurs, les agents de maîtrise et les contremaîtres. Les deux descriptions des postes d’opérateur de forge à froid et de conducteur de four CFI sont une illustration de cette dépendance vis à vis de la hiérarchie. Celle-ci se trouve en permanence sollicitée pour réguler parfois des pannes mineures. Elle pallie fréquemment au manque d’autonomie des opérateurs en réalisant elle-même un ensemble de tâches directement liées à la production.

Lors de l’implantation des outils de la démarche socio-économique réalisée par l’ISEOR 71 que nous développerons dans le chapitre suivant, nous avons pu recueillir les propos d’agents de maîtrise concernant cette dépendance :

‘« Quand le compagnon a démarré sa machine, le contremaître badge à la place de l’ouvrier »’ ‘« Comme la maîtrise fait du contrôle à la place des compagnons, elle n’a pas le temps de réaliser les plannings du lendemain »’ ‘«  La maîtrise fait au lieu de faire faire, c’est plus rapide » (exemple de la conduite de chariot automoteur). ’

Nous verrons au paragraphe 1.2.3 que le processus de changement en cours va transformer profondément le rôle de la maîtrise qui va devoir passer d’un rôle de commandement et de contrôle à une fonction d’animateur et de formateur. Le plan de formation qui sera défini doit permettre à chacun d’accéder à l’autonomie et à la polyvalence à son poste de travail. Les moyens qui vont être mis en œuvre pour réaliser les objectifs poursuivis sont la mise en place d’outils de formation indispensables au personnel que nous allons aborder dans la section suivante.

Notes
70.

Le dysfonctionnement ici représente l’écart entre les tâches réalisées sur le poste de travail et celles rendues nécessaires par l’évolution progressive du contenu de ce même poste.

71.

Un mini-diagnostic, réalisé par l’ISEOR,est abordé dans le chapitre suivant.