1.2.1 La formation « Elévation des compétences »

Nous avons été chargé, à partir de 1994, en tant que Directeur des ressources humaines, d’élaborer et de mettre en œuvre un plan de formation  « Elévation des compétences » appelé aussi « action de requalification » et basé sur la « pédagogie du dysfonctionnement ». Cette action a été conduite par la Maison de la Promotion Sociale (MPS) retenue par la Direction générale de la société X pour la connaissance et la pratique qu’elle a en matière de formation des personnes de faibles niveaux de qualification.

Avant de développer les éléments qui composent cette formation au sein de la société X, nous rappelons ici les bases d’une « opération de requalification » qui s’appuie sur les principes développés et mis en œuvre dans le cadre des missions « Nouvelles Qualifications » de Bertrand Schwartz, ainsi que la « pédagogie du dysfonctionnement » qui en découle.

Les bases retenues d’une « opération de requalification » sont :

  • l’absence de production de compétences sans mise en application dans la situation de travail. Afin que la formation débouche sur un réel développement des compétences, il faut qu’elle serve la situation de travail ;
  • l’absence d’acquisition de compétences sans positionner les formés en situation d’acteurs de leurs apprentissages. Les contenus de formation ne sont pas construits à priori mais au fur et à mesure pour répondre aux besoins exprimés par les participants dans leur confrontation à leur environnement de travail ;
  • il n’y a pas de production de nouvelles compétences sans transformation de l’organisation du travail. Si l’organisation ne facilite pas le réinvestissement de ce qui est appris, alors la dynamique de la formation va retomber ;
  • l’absence de transformation de l’organisation sans une participation de l’encadrement et des services périphériques. La construction d’une organisation plus impliquante pour chacun nécessite la collaboration de toutes les strates de l’entreprise.

L’intérêt d’une telle démarche est de centrer la formation sur les situations de travail tout en les transformant. Par la « pédagogie du dysfonctionnement » qu’elle sous-tend, élargie à tout ce qui fait « événement » dans les situations de travail, elle enrichit les compétences des participants en partant des problèmes rencontrés dans le travail et permet de mettre en œuvre les solutions préconisées et les compétences développées.

L’ambition de cette opération de requalification pour la société X est de réunir dans une même dynamique les dimensions économique, industrielle et sociale. Cette ambition part du principe que tout homme a un potentiel de pouvoir par les compétences qu’il possède. Son autonomie et son initiative augmentent lorsque son champ d’action est mieux structuré et plus organisé. Toute action ou tout changement nouveau, pour être durable, ne doit pas être subi mais compris et assimilé. Pour cela l’homme doit se l’approprier.

Nous avons analysé au paragraphe précédent les raisons qui poussent la société X à chercher à développer l’autonomie et la polyvalence de ses salariés.

Pour la société X, l’autonomie au poste de travail dans une organisation qualifiante 72 se traduit:

  • Pour les opérateurs :
    • par l’acquisition des connaissances de base (pratique de l’écrit, calcul de base) ;
    • par l’acquisition de clés de lecture de leur environnement économique ;
    • pour certains, par l’apprentissage de la lecture et de l’écriture.
  • Pour les régleurs et les agents de maîtrise:
    • par l’acquisition de méthodes de résolution de problèmes ;
    • par la formation aux techniques de communication ;
    • par l’amélioration des compétences techniques.
  • Pour les agents de maîtrise:
    • par l’appropriation de techniques d’animation de groupe
    • par la compréhension des phénomènes inter individuels de groupe

Ces axes de formation s’appuient sur la définition que donne la société X de l’autonomie au poste de travail et se traduit pour l’opérateur par :

  • aller chercher un bon de travail,
  • prendre ou lire des instructions,
  • faire le pointage informatique de la production avec le nom, la date, l’heure et la quantité,
  • interpréter un bon de travail,
  • interpréter un plan de contrôle et l’appliquer,
  • réaliser un montage et le réglage,
  • contrôler la première pièce,
  • faire un relevé de cotes,
  • savoir changer de série,
  • assurer une productivité 73 au poste de travail.

La démarche de formation vise une transformation vécue de l’intérieur et au quotidien. La figure 1-15, de la page, 67 illustre le déroulement du processus de formation, « la démarche opération de requalification », et montre qu’il existe une relation étroite entre la formation et la situation de travail, qu’un transfert direct des connaissances acquises se fait sur la situation de travail et que les contenus de formation sont redéfinis en permanence en fonction du développement des compétences des salariés.

La démarche de formation est marquée par quatre principes :

  • l’apprentissage du travail en groupe ;
  • l’analyse des problèmes et leur résolution ;
  • la négociation des propositions ;
  • le réinvestissement des acquis pour induire des micro-changements organisationnels.

La formation a démarré en octobre 1994 et s’est déroulée sur vingt mois jusqu’en juin 1996 représentant 13320 heures de formation. Elle s’est adressée à soixante dix ouvriers, quinze mensuels et cinq agents de maîtrise, soit un total de quatre vingt dix personnes. Parmi le personnel ouvrier, nous avons retenu, en priorité, le personnel se trouvant le plus en difficulté devant les évolutions.

45% de la population ouvrière est de faible niveau de qualification et pour la majorité, a abandonné la scolarité à 16 ans sans aucune formation initiale ni spécialisation professionnelle. Cette population représente une population à risques en termes de niveau de compétences exigé par de plus en plus de professionnalisme et les évolutions technologiques. C’est aussi une population à risques en terme d’employabilité.

Figure 1 - 15 : la démarche de requalification
Figure 1 - 15 : la démarche de requalification

La conception et la réalisation de la formation se sont déroulées en trois phases :

  • une première phase de contractualisation (l’étude préalable) qui a pour but d’informer la direction, l’encadrement et les partenaires sociaux sur les objectifs de cette formation,
  • une deuxième phase de préparation de l’opération (l’étude exploratoire) qui repère les aspects caractéristiques des relations de travail dans l’entreprise,
  • la réalisation de l’action - formation, dont l’objectif est d’obtenir une élévation individuelle et collective des compétences rendant les salariés et les équipes plus autonomes et plus polyvalents.

La deuxième phase exploratoire a fait ressortir plusieurs points importants pour comprendre les enjeux de la formation:

  • une volonté forte de la direction de s’engager dans l’action ;
  • l’existence d’importants gisements de productivité plus ou moins identifiés et qui sont à relier aux très nombreux dysfonctionnements observables dans l’atelier de forge ;
  • une perte de repère des compagnons et en particulier une mise en exergue des incohérences du système de rémunérations ;
  • des peurs et des réticences exprimées par certains opérateurs « On va nous en demander plus pour pas un rond » ;
  • une communication inter-services à améliorer.

La phase exploratoire n’a pas préparé à l’action mais elle a aidé à la constitution des groupes et l’identification de points de blocage éventuels.

C’est ainsi que sept groupes d’opérateurs ont été crées, soit soixante dix compagnons parmi lesquels nous trouvons ceux qui sont le plus en difficulté par rapport aux évolutions envisagées. Un tiers d’entre eux sont des immigrés. Chaque groupe correspondait à un type d’activité particulier réalisé dans un atelier ou un service et représentait un collectif de travail. Le niveau des participants n’a pas été pris en considération pour la constitution des groupes. Un groupe de régleurs a été constitué avec trois groupes de forgerons, un groupe d’outilleurs du pré montage des outillages, un groupe du four CFI / grenaillage et un groupe de l’atelier « outillage à main ». Les sept groupes ont fonctionné en parallèle suivant les principes d’une action de requalification, cités précédemment, en abordant la résolution de problèmes rencontrés sur leur lieu de travail.

Afin de suivre les progrès réalisés par les salariés en formation, des grilles d’apprentissage 74 ont été mises en place dans les ateliers concernés. Ces grilles sont composées d’indicateurs portant sur les connaissances mises en jeu dans les groupes de résolutions de problèmes. Il a été, également mis en place des grilles de tutorat 75 pour les personnes ayant des difficultés d’expression en français.

Dans un premier temps, sur une période de six mois, les groupes se sont réunis à raison d’une demi-journée par semaine pendant le temps de travail et ensuite une demi-journée tous les quinze jours. Des groupes d’alphabétisation sont venus se greffer parallèlement et en alternance avec les groupes de résolution de problèmes. Un dispositif de régulation a été mis en place représenté par la figure 1-16.

Figure 1 - 16 : le schéma de régulation
Figure 1 - 16 : le schéma de régulation

Un premier niveau de régulation se situait dans les groupes de résolution de problèmes avec les animateurs.

Un deuxième niveau de régulation consistait en une réunion de fin de journée avec le N + 1 qui réagit au compte rendu fait sur le travail réalisé dans le groupe et répond aux questions posées par les formés.

Un troisième niveau ou « groupe de suivi technique » se réunissait tous les mois pour faire le point sur l’état d’avancement de l’opération, réglait les difficultés de fonctionnement au fur et à mesure de leur émergence, favorisait le réinvestissement concret des solutions élaborées par les groupes. Il était composé des trois formateurs, de la chargée de mission, du responsable de production, des chefs d’ateliers et du responsable des méthodes et enfin les agents de maîtrise.

Un suivi opérationnel était assuré hebdomadairement entre le responsable de production et la maîtrise d’atelier qui correspond au Niveau 4 de régulation. Une réunion mensuelle (Niveau 5 de régulation) entre les formateurs et la chargée de mission permettait d’assurer la cohérence pédagogique. Enfin, un niveau 6 de régulation permettait à un groupe de pilotage de se réunir tous les 3 mois pour recentrer l’orientation stratégique de l’action.

Notes
72.

AMADIEU J.F. et CADIN L.  «  Compétence et organisation qualifiante »Ed. Economica 1996, p. 69-70

Le concept d’organisation qualifiante, pour ces auteurs, traduit une organisation :

- qui utilise les compétences et les développe.

- qui est capable d’évoluer en fonction des compétences qui la composent et qui permet des apprentissages en situation de travail.

- qui fonde la gestion des carrières et des salaires sur les compétences individuelles et non sur les postes occupés.

- qui accepte de recevoir l’assentiment des salariés.

73.

Ici, la productivité au poste de travail équivaut à réaliser des travaux de topo-maintenance de premier niveau, c’est à dire, repérer au démarrage de la machine les travaux à effectuer à partir de documents écrits, faire des relevés de température, de contrôle, de niveau, signaler en donnant le maximum d’informations les anomalies ou les corrige si elles sont peu importantes.

74.

Un modèle de grille d’apprentissage est en annexe n° 9.

75.

Un modèle de grille tutorat est en annexe n° 10