1.2.2 Le passage d’une logique de postes à une logique de compétences

Par la formation « Elévation des compétences », la société X concrétise les orientations stratégiques qu’elle s’est fixées, c’est à dire le développement de l’autonomie et de la polyvalence des salariés, le nouveau rôle d’animateur et de formateur des cadres et de l’encadrement dans l’évolution des compétences des salariés. Nous sommes en présence d’une nouvelle organisation du travail et de nouvelles compétences émergentes mises en œuvre. L’organisation cible définie et recherchée par la direction est celle « d’équipe autonome » 76 s’organisant autour de compétences complémentaires servant le collectif de travail d’une part et d’autre part développant une auto formation interne au collectif permettant le développement des compétences individuelles.

Nous avons défini dans le paragraphe 1.2.1 la notion de compétence individuelle telle que la conçoit la société X. Nous analyserons dans les chapitres 2 et 3 les multiples facettes que recouvre le concept de compétence. L’autonomie dont il est question ici n’est que partielle et n’intègre que certaines phases de l’ensemble du processus de fabrication. En effet, ce qui est demandé à l’équipe autonome, c’est de monter les outillages sur la machine à forger, pouvoir effectuer un certain nombre de réglages afin de commencer la production des pièces, assurer le suivi de production en terme d’auto contrôle, pouvoir intervenir sur des pannes machines élémentaires ( topo maintenance ), vérifier que le processus de fabrication ne dérive pas dans le temps grâce à des indicateurs statistiques ( SPC ) et lorsque la production est terminée, savoir démonter les outillages et nettoyer l’ensemble du poste.

Le schéma suivant (Figure 1-17) synthétise les opérations effectuées par « l’équipe autonome » :

Figure 1 - 17 : les opérations réalisées par l’équipe autonome
Figure 1 - 17 : les opérations réalisées par l’équipe autonome

Les effets que nous avons pu constater au niveau des compagnons et de l’équipe de travail sont :

Au terme de la formation en 1996, les transformations sont inachevées puisque les équipes autonomes et en particulier la réintégration des régleurs dans les équipes productives ne se sont pas encore généralisées. Toutefois, des progrès importants sont constatés dans ce sens.

Sur le terrain nous avons observé des signes encourageants comme le remplacement de l’opérateur par le régleur sur une opération de forge. Le compagnon d’origine étrangère, qui jusque là ne s’occupait que du four, conduit la machine à forger. Nous avons observé également la prise en charge des contrôles et de l’entretien de premier niveau par les compagnons. Le cas des équipes du secteur grenaillage est un exemple concret d’une évolution vers « l’équipe autonome ». L’équipe organise aujourd’hui son travail sur la base d’indicateurs de performance que les compagnons ont eux-mêmes mis en place. Ces indicateurs permettent par exemple de contrôler la quantité de grenaille consommée ou encore enregistrer le nombre de panne machine intervenu au cours d’un cycle de travail. De nouvelles compétences ont émergé pour les salariés car la formation, par la stimulation des connaissances de base que chacun possède plus ou moins déjà, leur permet de comprendre et d’acquérir de nouveaux actes opératoires. De plus l’organisation du travail ouvre davantage le champ de leurs interventions en y intégrant de nouvelles compétences effectuées jusque là par d’autres.

L’opération « Elévation des compétences » a permis de réaliser dans une même dynamique :

Depuis 1996, nous observons une progression significative des salariés sur le plan individuel et collectif. La figure 1-18, ci-après, présente les travaux réalisés aujourd’hui par un compagnon en comparaison à ce qu’il lui était demandé auparavant.

Figure 1 - 186 : la comparaison des travaux du compagnon
Ce qui était demandé à l’ouvrier du secteur forge, coefficient 170, dans la société X, en 1995 Ce qui est demandé aujourd’hui à ce même ouvrier, en 1999
Formation exigée :
Niveau du certificat professionnel, un an après le premier cycle du second degré ou CAP
Les travaux à exécuter :
Forger les lopins
Surveiller le bon fonctionnement de la machine
Signaler toutes les anomalies
Vérifier ponctuellement par échantillonnage la conformité des pièces.
Produire des pièces
Rédiger des documents, fiches de suivi, de procédure, comptes-rendus d’incidents
Exploiter les documents d’atelier, les fiches de fabrication, les gammes, les fiches d’auto-contrôle, les tableaux graphiques
Remplir les tableaux de contrôle statistique ( SPC )
Savoir diagnostiquer une anomalie
Intervenir si l’incident est mineur
Alerter si la panne est importante

De même le questionnaire 77 distribué à la fin de la formation en 1996 est riche d’enseignements sur la perception qu’ont les compagnons des effets de la formation sur leur propre comportement personnel et professionnel.

Une analyse comparée des missions principales d’un contremaître niveau III échelon 3 coefficient 285 de la classification UIMM dans la société X telles que nous les avons vues précédemment et après la formation font apparaître les changements intervenus au niveau de ses responsabilités. C’est ce que nous montre la figure 1-19 ci-dessous.

Figure 1 - 19 : les missions du contremaître, en 1999
Ce qui est demandé aujourd’hui au contremaître de la société X
Manager une équipe :
définir les objectifs de travail et les communiquer à ses collaborateurs,
faire émerger les questions pertinentes ou les problèmes,
impliquer chaque membre de l’équipe dans la recherche de solutions aux problèmes posés,
appuyer et aider les personnes dans les phases de décision,
encourager les collaborateurs,
mener les entretiens d’appréciation et d’évaluation de son personnel.
Formateur interne :
former les personnes à la réussite,
évaluer les potentiels et les contraintes,
élaborer les objectifs de formation qui passe par la capacité à élaborer les contenus de formation,
animer des séances de formation,
former au poste de travail,
accompagner et transférer les compétences nouvelles,
fixer des objectifs d’apprentissage aux ouvriers.

Nous constatons des différences significatives lorsque nous comparons le travail organisé avant 1993 autour du couple homme / machine, dont l’objectif était de faire de la « tonne », avec le constat que nous faisons aujourd’hui. L’activité s’inscrivait alors dans une logique de postes aux définitions et prescriptions précises, le tout hiérarchisé à l’aide de la classification UIMM qui reconnaît les compétences requises.

Après avoir développé le passage progressif d’une organisation centrée sur les postes de travail à une prise en compte du potentiel des personnes, nous proposons à présent d’étudier l’évolution de l’encadrement et les cadres et plus particulièrement les agents de maîtrise et les régleurs.

Notes
76.

Equipe autonome : Définition extraite de la monographie de ARNAUD C., GENESTET V., JOUVENOT C.  « Faire évoluer ensemble les compétences et l’organisation ».

77.

Le questionnaire et les résultats se trouvent en annexe n° 11.