Dans la plupart des moyennes et des grandes entreprises, la grille de classification est considérée comme le passage obligé pour valider les performances actuelles des salariés. Le thème des grilles de classification et des systèmes de rémunération que nous abordons ici n’est pas récent. Il a donné lieu depuis plus d’un demi-siècle, à une multitude de travaux émanant des milieux universitaires et des professionnels de l’entreprise. Pourtant, alors que la préoccupation des gestionnaires des ressources humaines se déplace incontestablement vers la connaissance des hommes, l’évaluation des emplois continue à se développer, comme s’il s’agissait d’une condition préalable à toute gestion rigoureuse.
Nous proposons deux explications à cela. La première se situe du côté de l’entreprise et la deuxième du côté des salariés :
Conçues à l’époque de l’Organisation Scientifique du Travail, les premières grilles de classification des emplois avaient pour but d’assurer un salaire équitable et juste (Peretti, 2002) 196 . Le modèle taylorien, tel qu’il a été conçu, donne la primauté à la classification du poste, alors que le modèle schumpeterien donne la primauté à la qualification de l’individu dans sa fonction. Schumpeter fut en effet le premier économiste à avoir mis en évidence la capacité de l’acteur économique à façonner lui-même son propre milieu (Donnadieu et Denimal, 1994) 197 . Par la suite, Perroux (1972) 198 a édifié le concept d’entreprise « unité active », fondé sur la pénétration de l’analyse économique par l’analyse du pouvoir (psychologie sociale). Une unité est dite active si, par son action propre et dans son intérêt propre, elle est capable de modifier son environnement, c’est à dire le comportement des unités avec lesquelles elle est en relation.
L’histoire des organisations nous a montré que Taylor repris par Fayol, Ford et Simon se sont appuyés sur les postes de travail pour concevoir le fonctionnement de l’entreprise. Pendant de nombreuses années, la logique de postes qui a sous-tendu la classification des emplois fortement inspirée du principe « à travail égal, salaire égal », a été renforcée par la démarche de rationalisation de l’Organisation Scientifique du Travail de F.W. Taylor.
Nous notons une exception à ce principe :
La fonction publique française admet les compétences personnelles, indépendamment de l’emploi tenu, si nous regardons le niveau des concours pour accéder à l’emploi. Le recours aux compétences requises dans les postes n’est pas un élément déterminant. C’est la réussite à un concours accessible aux candidats possédant un diplôme.
La classification est un objet complexe, interdisant de le penser uniquement sur des modalités techniques et instrumentales. Il existe également des éléments qui relèvent du symbolisme social. Nous savons que des emplois modestes exercés à proximité d’emplois prestigieux bénéficient d’une surqualification grâce à ce voisinage. Le cas des secrétaires illustre cette situation. La classification constitue un enjeu social important car les salariés y trouvent leur identité sociale ; c’est un atout pour la gestion du personnel. La classification attribue une valeur interne et externe aux emplois à laquelle les salariés attachent beaucoup d’importance. Cette importance, d’ordre socio-culturel, de l’activité exercée façonne l’identité sociale sur une échelle de valeurs par l’opération de qualification des emplois. La revendication des partenaires sociaux dans la société X, portant sur la reconnaissance des compétences nouvelles mises en œuvre, se fondait en partie sur cette identité sociale recherchée et qu’ils trouvaient jusqu’alors dans la grille de classification de l’Union des Industries Métallurgiques et Minières.
En matière de gestion du personnel, la classification est une opportunité d’actions pour les raisons suivantes :
Le professeur Lyon-Caen distingue trois principales fonctions des classifications sous l’angle juridique :
La société X, où nous sommes intervenu, possède une forte composante technologique qui lui permet d’utiliser sans difficulté le système de classification en vigueur. Elle s’est orientée progressivement vers une organisation du travail basée sur les compétences individuelles. L’évolution de la société X a transformé progressivement les contours des postes. Celle-ci a tenté de développer des compétences collectives en mettant en place des équipes autonomes. Nous constatons que la société X a pu se libérer de certaines exigences technologiques pour réaliser des actions de gestion des compétences. Celles-ci s’inscrivent dans le cadre de situations de travail. Le développement de l’autonomie et de la polyvalence a permis de réduire la spécialisation des salariés qui, comme nous l’avons signalé dans le chapitre 1, étaient attachés à une machine et connaissaient parfaitement les gestes à effectuer. De plus, l’introduction de robots de forgeage a facilité l’élargissement des activités à des technologies différentes et la mise en œuvre de compétences communes à plusieurs robots.
Si nous nous intéressons à la vie économique et sociale ainsi qu’au fonctionnement de l’entreprise, nous pouvons identifier quatre principaux cas de figure où le concept de classification est présent :
Nous avons constaté que, dans les entreprises soumises à une convention collective de branche et plus particulièrement dans le secteur métallurgique, la grille de classification est un outil de gestion pour positionner les compétences requises des salariés et déterminer les seuils de rémunérations.
La figure 4-4, ci-après, résume ces quatre paramètres que nous venons d’analyser :
Le centre d’étude de l’emploi distingue trois logiques d’usage des classifications en période de mutations technologiques (Peretti, 2002) 202 :
Dans les classifications neutralisées dans le changement, les règles ne sont pas modifiées mais contournées car la situation fait appel à d’autres outils de gestion. Ainsi, dans de grosses unités, la modernisation consiste à créer des îlots de production avec autonomie de gestion. Pourtant le « toilettage » des grilles de classification ne suit pas car les directions générales jugent le coût d’une nouvelle négociation trop élevé et évitent d’aborder la question des classifications.
Les classifications comme instrument de gestion se trouvent dans les entreprises pour qui les classifications relèvent des négociations de branche et donc s’imposent à l’entreprise. Face aux modernisations nécessaires, elles agissent au coup par coup et les remodelages sont effectués de manière presque inaperçue.
Les classifications comme instrument efficace mais non exclusif servent à rompre nettement avec l’existant, permettant de définir de nouveaux profils d’emplois. L’enjeu est de rendre compte de la réalité des postes, d’anticiper les évolutions éventuelles et de mobiliser le personnel autour de compétences à acquérir.
Une illustration nous est donnée par la convention collective de la papeterie et la refonte totale du système de classification des emplois dans une entreprise relevant de ce secteur.
Cette entreprise de la papeterie, d’envergure européenne, puisqu’elle compte plusieurs établissements dans des pays d’Europe autres que la France est soumise à la Convention collective de la branche en matière de classification. Celle-là comporte une grille de classification qui s’appuie sur les accords PARODI-CROIZAT élaborés après la deuxième guerre mondiale. Aujourd’hui, l’entreprise se trouve confrontée à une évolution de ses métiers par l’introduction de matériel automatique, de l’informatique et la création de nouveaux métiers. La grille de classification actuelle ne peut donc plus être utilisée pour rendre compte de ces évolutions. La branche professionnelle a pris conscience des limites du système et a demandé à tous ses adhérents de réfléchir à une nouvelle grille capable d’intégrer ces évolutions. Elle leur demande de ne pas s’engager dans une logique de compétences, préférant adopter une grille de classification plus adaptée que celle existante et reconnue par les partenaires sociaux comme juste et équitable. En effet, la position des partenaires sociaux est très réservée dans ce domaine et risque de déboucher sur des conflits.
La classification a donc pour but essentiel de rendre objectifs, cohérents et équitables les écarts de salaires. Pour que le système soit considéré comme équitable et objectif, il faut qu’il soit simple, que les critères, compétences et méthodes de mesures soient dépourvus d’ambiguïté (Romelaer, 1997) 203 . Mais, avant d’aborder les différentes recherches, méthodes et expérimentations menées dans ce domaine, nous nous sommes interrogés sur cette nécessité de classer.
PERETTI J.M., « Ressources humaines », Ed. VUIBERT, 7ème édition, 2002, 577 p. op. cit.
DONNADIEU G., DENIMAL P., « Classification, Qualification », Ed. Liaisons, 1994, 199 p. op. cit.
PERROUX F., « Pouvoir et économie », Dunod, 1972.
La catégorie ETAM correspond aux Employés, Techniciens et Agents de maîtrise.
Les données exposées sont tirées de DONNADIEU G., DENIMAL P., « Classification, Qualification », Ed. Liaisons, 1994, 199 p. op. cit.
Les données exposées sont tirées de DONNADIEU G., DENIMAL P., « Classification, Qualification », Ed. Liaisons, 1994, 199 p. op. cit.
PERETTI J.M., « Ressources humaines », Ed. VUIBERT, 7ème édition, 2002, 577 p. op. cit.
ROMELAER P., « Classification du personnel » in Encyclopédie de gestion, Ed. Economica, 2ème Ed., 1997, 3519 p., pp. 325-341.