4.2.3.2 Les méthodes analytiques ou critérielles

L’origine américaine des méthodes analytiques et de ses développements se situe au début du vingtième siècle avec les travaux de l’American Management Association. Le « job evaluation » qui prend acte des travaux de l’Organisation Scientifique du Travail les intègre dans les systèmes d’administration du personnel et notamment dans les grilles de classification et de rémunération. Les critères prennent en compte les connaissances professionnelles et aussi l’exigence physique, les conditions de travail et les risques professionnels. Les critères de classification ont été introduits en France avec la télémécanique vers la fin des années 1940 et une grille définitive fut élaborée en 1952. En 1966, l’emploi de méthodes « universelles » d’évaluation du type méthode HAY se généralise. Celles-ci procèdent à une évaluation « a posteriori » issue de la cotation des postes réellement existants et analysés (Donnadieu et Denimal, 1994) 222 .

Dans le courant des méthodes analytiques, des chercheurs ont proposé de retenir un seul critère. Le critère unique de la « période d’autonomie » d’Elliott Jaques est jugé équitable par les intéressés avec une échelle de rémunération vers la fin des années 1950. La «Période d’autonomie» est située entre la réalisation de la tâche et son contrôle. En 1970, Patterson et Husband élaborent la méthode des « bandes de décisions » qui ne prend en compte que le niveau des décisions à assumer.

Ces méthodes, peu utilisées au moment de leur conception, ne le sont plus aujourd’hui car elles ne résolvaient pas la question du choix du critère à utiliser et n’allaient pas dans le sens d’une plus grande acceptabilité sociale.

Les critères multiples sont de nature à rassurer les intéressés par leur complémentarité et par leur rôle de ‘check list’ risquant moins d’occulter certains composants de l’emploi. Le principe de base qui préside aux choix des critères est triple :

Les méthodes analytiques structurent les emplois à partir d’un ensemble de critères qui permettent d’analyser les exigences des emplois concernés. Elles procèdent par classement ou rangement. Les critères retenus servent à la fois à la définition des emplois-repères, la hiérarchisation des emplois se faisant par rapport à ceux-ci, et à l’analyse et la cotation des emplois, le classement des emplois se faisant par rapport à cette cotation. Parmi les méthodes analytiques, citons :

Entre 1953 et 1957, ces chercheurs s’appuient sur le courant scientifique de la théorie de l’information de Shannon, impulsé en France par Ombredanne et Faverge, pour l’analyse du travail. Ils rejettent la théorie des aptitudes, l’idée centrale étant de considérer le travail comme un échange continuel d’informations entre celui qui effectue le travail et tout ce qui l’entoure (Bocquillion, 1986). 226 Ils donnent une nouvelle représentation de l’homme au travail.

Selon Taylor, le travail est défini en temps et mouvements. Au sein de la société BERLIET, le travail est défini en opérations de traitement de l’information. Pour Milox et Bocquillion, la qualification du travail est liée aux opérations mentales, effectuées par l’ouvrier, qui se décomposent en :

La nature de l’information et son traitement deviennent les éléments centraux de la qualification. Ces éléments sont appréciés suivant leur degré de perfectionnement du mode d’expression et de l’expérience acquise 227 .

Au cours des années 1960-1970, les postes de travail correspondent de moins en moins aux nouvelles exigences de production. A partir de 1970, nous assistons à une mutation dans le contenu et le fonctionnement des systèmes que nous venons de voir. Les grilles PARODI qui sont les plus utilisées, fondées sur une énumération des dénominations des postes et de leur contenu, cèdent progressivement la place à des grilles fondées sur des critères classants. En effet, le système de classification PARODI rend difficile la classification des nouveaux emplois. L’idée vient alors de se doter de grilles plus souples. On opte pour des grilles de classification à critères classants. Les critères classants se rapportent tous à l’emploi, la notion de poste gardant toute sa pertinence. L’Union des Industries Métallurgiques et Minières réfléchit à une classification des emplois à partir de critères multiples et élabore la grille de classification en 1975 où technicité, autonomie de décision, responsabilité et type d’activité sont retenus comme critères d’évaluation. L’accord national de l’Union des Industries Métallurgiques et Minières de 1975 fait office de précurseur en la matière. Il constituera une référence dans le cadre du courant devenu aujourd’hui majoritaire. La note d’application de l’accord spécifie que « la hiérarchie des salaires découle de la hiérarchie des emplois auxquels ils sont affectés. On ne saurait prétendre qu’une classification hiérarchise directement des personnes en fonction de leurs seules aptitudes ».

La grille de l’Union des Industries Métallurgiques et Minières décrit les tâches. Cette description sous-entend la nature des compétences requises. Néanmoins, c’est le poste qui est évalué et non les personnes qui les tiennent. La conception de la grille de l’Union des Industries Métallurgiques et Minières trouve son origine en 1968, suite au constat de GRENELLE. Les négociations ont duré sept ans. En 1972 l’Union des Industries Métallurgiques et Minières propose un modèle de classification qui servira dans l’accord final. L’accord de classification des emplois est conclu le 21 juillet 1975 et s’applique encore aujourd’hui. L’accord de l’Union des Industries Métallurgiques et Minières est un des premiers accords de branche à appliquer les critères classants d’autonomie, de responsabilité, de type d’activité et de connaissances requises pour l’élaboration des niveaux de la grille. Les quatre critères utilisés sont les mêmes pour toutes les catégories de salariés : ouvriers et E.T.A.M 228 .Les quatre critères servent à définir les cinq niveaux de la grille de classification. Ainsi, pour chaque niveau,

La grille de classification de l’Union des Industries Métallurgiques et Minières a servi de base à d’autres conventions collectives comme celle de l’industrie des tuiles et des briques, où la dissociation entre les exigences du poste et les capacités personnelles est nette. Les exigences du poste sont repérées par le degré d’autonomie et de responsabilité. Les capacités personnelles sont évaluées en regard du niveau de diplôme, des compétences acquises au cours de l’expérience et de la formation professionnelle, ainsi que la maîtrise du poste.

L’accord de la métallurgie reste une référence fondamentale. C’est une contribution à la généalogie des pratiques actuelles de gouvernement des individus dans l’entreprise (Pezet, 2000). 230

D’autres méthodes ont été expérimentées sur la base soit d’un élargissement des fonctions soit de la prise en compte des compétences des salariés, car l’évolution des emplois nécessitait de revoir la place du poste de travail dans l’élaboration des systèmes de classifications traditionnels.

Notes
222.

DONNADIEU G., DENIMAL P., « Classification, Qualification », Ed. Liaisons, 1994, 199 p. op. cit.

223.

DELHOMME F. mémoire pour le DESS Droit et relations sociales dans l’entreprise « Les classifications professionnelles, un référentiel commun au cœur des relations entre l’entreprise et ses salariés. Quelle légitimité et quelle place stratégique occupent-elles ? », Grenoble, 2001, 74 p. op. cit.

224.

PEZET E., « Négociation et gouvernement d’entreprise », Entreprise et Histoire, 2000, n° 26, pp. 74-88.

225.

PEZET E., « Négociation et gouvernement d’entreprise », Entreprise et Histoire, 2000, n° 26, pp. 74-88.

226.

BOCQUILLION M., « Perspectives nouvelles dans l’évaluation des emplois. L’apport des approches socio-technique et socio-économique », Thèse pour le doctorat de Sciences de gestion, Lyon,2, février 1986, 740p.

227.

Ibid.

228.

La catégorie ETAM correspond aux Employés, Techniciens et Agents de maîtrise.

229.

Un exemple de grille d’analyse, par niveau et par échelon, est présenté en annexe n° 29, pour les ouvriers.

230.

PEZET E., « Négociation et gouvernement d’entreprise », Entreprise et Histoire, 2000, n° 26, pp. 74-88.