4.3.4 L’évolution des systemes de rémunération

A l’époque d’après-guerre, l’arbitrage entre le revenu et le temps libre est fait de façon quasi unanime en faveur du revenu. Peretti (2002) 245 souligne que les salariés des années 1950 et 1960 sont, dans leur grande majorité, faiblement qualifiés. Venus de la campagne suite à l’exode rural de l’après guerre, du foyer avec le développement de l’emploi féminin ou de l’étranger avec le phénomène d’immigration, ils occupent des postes peu différenciés dans un contexte d’organisation taylorienne. Les classifications donnent, pour chaque poste, un coefficient et les effectifs les plus nombreux sont concentrés sur des postes séparés par un faible écart de points. A l’époque, les ouvriers spécialisés sont largement majoritaires dans les usines. Leurs attentes à l’égard du travail à l’usine sont essentiellement alimentaires et le salaire constitue un élément important de la fidélisation dans un contexte de pénurie de main d’œuvre. Pour y répondre, les entreprises privilégient le salaire fixe et collectif et, pour fidéliser les salariés, elles développent les primes d’ancienneté et les avantages sociaux sur l’initiative de l’Etat ou des partenaires sociaux au niveau interprofessionnel de branche ou d’entreprise. Il n’y a pas de demande de salaire au mérite de la part des salariés et de leurs représentants. Les revendications syndicales portent sur le salaire. La pression sociale dans un contexte où le grain à moudre est abondant, favorise la croissance du pouvoir d’achat à travers l’octroi d’augmentations générales des salaires supérieures à l’inflation.

Progressivement la structure des effectifs et les aspirations des salariés changent (Peretti, 2002) 246 . Les « baby boomers » intègrent massivement les entreprises au cours des années 1960. Mieux formés par une scolarité obligatoire jusqu’à seize ans, mieux informés, bénéficiant déjà d’un certain confort, ils n’ont pas les mêmes attentes que leurs collègues plus anciens. Le salaire collectif et fixe ne répond plus tout à fait à la diversité croissante des postes de travail, ni à leur évolution rapide, ni aux attentes de personnalisation des salariés, qui aspirent à voir leur mérite pris en compte grâce à l’individualisation. Dans les années 1970, la fin d’une période faste de croissance pose le problème de la maîtrise des coûts salariaux. L’entreprise cherche à la fois le mode de rémunération qui incite le travailleur à accroître ses efforts et veut développer sa compétitivité et sa rentabilité. Dans le même temps, le passage d’une production de masse à une production devant répondre rapidement à une demande plus diversifiée, de nouvelles formes d’organisation du travail apparaissent dans les grandes entreprises. Elles font appel à une main d’œuvre plus qualifiée et plus polyvalente.

De 1974 à 1982, les politiques de rémunération des entreprises évoluent peu. Les augmentations générales indexées sur l’inflation restent en vigueur. Mais, dès 1983, la rigueur prônée et la désindexation qui l’accompagne favorisent le développement des pratiques d’augmentations individuelles. Le développement des augmentations individuelles s’accompagne d’un débat sur les critères à prendre en compte : faut-il récompenser le résultat passé, le résultat futur (potentiel et accroissement des compétences) ou le mérite (comportement, efforts) ? L’individualisation s’inscrit dans le cadre d’une rémunération fondée sur le poste et sur la performance dans le poste. Les fourchettes de salaires sont définies à partir d’une opération de qualification des postes (Peretti, 2002) 247 .

Ce tournant économique des années 1980 a eu des conséquences importantes sur la gestion des rémunérations dans les entreprises, celles-ci étant obligées de revoir les composants de leurs systèmes. De nouvelles pratiques de rémunération se développent sur le concept d’incitation à côté de celui des augmentations individuelles. Quel est le pouvoir incitatif de la rémunération ? Il trouve ses fondements dans le domaine psychosociologique de la stimulation et l’incitation plutôt que dans ceux de la motivation et la satisfaction. En effet, des variations comportementales professionnelles visibles immédiates apparaissent dans une logique d’incitation et de contribution (Zardet, 1997) 248 .Un participant ne maintiendra durablement sa participation que dans la mesure où, selon son propre système d’évaluation et des possibilités de choix qui lui sont offertes, les avantages qu’il en retire seront égaux ou supérieurs aux contributions qui sont attendues de lui. Si les circonstances changent à l’intérieur ou en dehors de l’organisation et viennent altérer négativement l’équilibre contributions / incitations, il revient aux responsables de prendre l’initiative d’une modification des activités et / ou des modalités de fonctionnement pour rétablir un équilibre favorable(Desreumaux, 1998) 249 . Cet échange se traduit le plus souvent par une individualisation des rémunérations et des modalités de différenciation salariale sur un même poste de travail qui se présentent sous des formes variées :

L’individualisation présente quatre originalités :

Mais l’individualisation pose très tôt trois problèmes :

Ces nouvelles pratiques de rémunérations ont en commun la fixation de nouveaux objectifs de limitation des hausses de salaires et de remise en question de la prime d’ancienneté. Celle-ci correspond initialement à une évolution de l’efficacité de l’homme au travail et à un accroissement de sa contribution productive en relation directe avec son expérience professionnelle. Elle est un facteur puissant de fidélisation du salarié à l’entreprise qui y voit un capital financier qu’il peut perdre lorsqu’il part de l’entreprise Les organisations syndicales y voient un facteur d’équité et les patrons un facteur de paix sociale. La convention collective de la métallurgie attribue une prime d’ancienneté calculée sur un pourcentage de la rémunération minimale hiérarchique. Celui-ci est de 1% par an à partir de trois ans d’ancienneté dans l’entreprise jusqu’à un plafond qui est de 15% au bout de quinze ans d’ancienneté.

Nous constatons que jusque dans les années 1980, les entreprises rémunéraient principalement le poste ou la fonction. Selon les enquêtes d’Hewitt Associates, environ 80 % de la rémunération avait une dimension collective. La personnalisation ne représentait que 20 % de la rémunération. La personne était généralement prise en compte à travers la compétence mesurée par l’ancienneté, la qualification ou le diplôme.

Tout au long des cinquante dernières années, depuis que la loi du 11 février 1950 a établi la liberté des salaires, les politiques de rémunération des entreprises ont évolué pour s’adapter aux exigences d’un contexte renouvelé. Le cas de la France illustre la contingence des pratiques de rémunération à l’égard des changements de l’environnement et de l’organisation du travail. A la fin des années 1980, la possibilité de fonder le système de rémunération sur le poste est partiellement remise en cause. Dans les années 1990, les politiques de rémunération doivent intégrer l’impact des restructurations et le dynamisme du marché du travail 251 .

Les années 1983 à 2000 sont marquées par un profond renouvellement des politiques de rémunération et des pratiques comme nous le montre la figure 4-9.

Figure 4- 9 : les années 1983 à 2000
Figure 4- 9 : les années 1983 à 2000
Notes
245.

PERETTI J.M., « Ressources humaines », Ed. VUIBERT, 7ème édition, 2002, 577 p. op. cit.

246.

Les développements sont empruntés à PERETTI J.M., « Ressources humaines », Ed. VUIBERT, 7ème édition, 2002, 577 p. op. cit.

247.

PERETTI J.M., « Ressources humaines », Ed. VUIBERT, 7ème édition, 2002, 577 p. op. cit.

248.

ZARDET V., « Systèmes et politiques de rémunération du personnel », in Encyclopédie de gestion, Ed. Economica, 2ème Ed., 1997, 3519 p., pp. 3225-3247. op. cit.

249.

DESREUMAUX A., « Théorie des organisations » Ed. Management, 1998, 218 p.

250.

PERETTI J.M., « Ressources humaines », Ed. VUIBERT, 7ème édition, 2002, 577 p. op. cit.

251.

PERETTI J.M., « Ressources humaines », Ed. VUIBERT, 7ème édition, 2002, 577 p. op. cit.