5.4 Notre définition de la compétence individuelle

Nous considérons que la compétence n’existe que par les résultats obtenus par un individu dans une situation de travail. Ceux-ci doivent être conformes aux objectifs qui lui sont réclamés à un moment donné de la vie de l’entreprise. Les orientations stratégiques de l’entreprise sont elles-mêmes conditionnées par les contraintes extérieures qu’elle subit et qu’elle doit intégrer pour conserver sa place sur le marché concurrentiel international. La mise en œuvre des compétences devient un enjeu stratégique pour le devenir de l’entreprise.

Cette affirmation s’applique tant pour la mise en œuvre des compétences individuelles que pour les compétences collectives. La compétence est donc contingente et mise en œuvre dans un contexte spécifique.

Nous avons constaté au sein de la société X que les compétences articulent quatre dimensions d’égale importance. Nous avons démontré, dans les chapitres I et II, que ces quatre dimensions étaient mises en oeuvre dans le développement de la polyvalence des salariés, les prises d’initiatives qui leur sont réclamés dans le repérage de dysfonctionnements et la recherche de solutions, les données intellectuelles mises en œuvre dans les activités de contrôle (auto-contrôle), de suivi des process de fabrication (SPC) ou encore de l’identification des pannes et de leur niveau de gravité. Les résultats obtenus sont issus de l’articulation de ces quatre dimensions relevant à la fois de l’individu et de l’organisation.

La grille de compétences nous a permis d’avoir une approche du potentiel évalué. Celui-ci met en évidence la relation de cause - la mise en œuvre des compétences - à effet - les résultats obtenus par l’action évaluée en termes de performance, dans la fonction. Cette analyse nous a permis de repérer les différents niveaux de compétences acquises par les salariés.

La compétence s’appuie sur des connaissances professionnelles, elle est synonyme de savoir. L’éducation nationale joue un rôle important dans cet aspect. Mais elle n’est pas le seul élément, l’expérience professionnelle, l’apprentissage et la formation continue contribuent aussi à enrichir cette connaissance professionnelle. Nous nous sommes appuyés sur ce type de connaissances pour déterminer les actions de formation à mettre en place et développer l’autonomie et la polyvalence des salariés.

La compétence est faite de savoir-faire opérationnels qui englobent un ensemble de connaissances, de capacités d’actions, de comportements structurés et mobilisés en fonction de buts déterminés. Cette dimension de la compétence à été mise en œuvre dans la réalisation des objectifs de réductions des dysfonctionnements.

La compétence est aussi une affaire de démarches intellectuelles dans la mesure où elle exprime cette capacité à résoudre efficacement des problèmes dans un contexte organisationnel donné. La méthode de résolution de problèmes et le repérage des dysfonctionnements, au sein de la société X, se sont appuyer sur cette composante.

Zarifian (1996) 345 parle d’une intelligence individuelle et collective des situations productives saisies dans l’ensemble de leur complexité pour définir la compétence. L’acteur est fait de savoirs cognitifs dans le champ des connaissances professionnelles et des savoir-faire opérationnels, et de savoirs non cognitifs auxquels appartiennent les affects, le caractère, les fonctions psychologiques qui lui permettent d’appréhender les situations de travail, de les comprendre pour agir. Cela fait de la compétence une variable possédant une face visible avec les capacités, les attitudes, le savoir et une face cachée avec les traits de personnalité, la motivation, l’image de soi et le rôle social que l’on tient.

La société X a considéré la compétence individuelle comme le levier d’action sur lequel elle pouvait fonder les décisions stratégiques arrêtées. L’objet d’analyse de la société s’est progressivement déplacé du poste de travail à l’individu que nous le montre la figure 5-3 ci-après :

Figure 5- 3 : La logique de poste et la logique de compétence
Figure 5- 3 : La logique de poste et la logique de compétence

La compétence ne se réduit pas à la seule dimension structurelle mais elle correspond également à une action que nous définissons comme la mise en situation, opératoire et finalisée par rapport à une situation de travail ou un projet d’entreprise. Tel est le cas, dans la société X, où les acquis de la formation ont été transférés sur le terrain pour résoudre effectivement un certain nombre de dysfonctionnements préalablement identifiés. Cela nous permet de dire que la compétence s’inscrit aussi dans un processus de construction permanente qui lui donne une durabilité. En effet, en utilisant des compétences acquises antérieurement, les salariés s’adaptent à de nouvelles situations. Par ailleurs, certaines compétences facilitent l’acquisition de nouvelles. Le processus de formation, mené au sein de la société X, a permis aux participants d’acquérir des savoirs cognitifs qu’ils ont utilisés pour développer de nouvelles compétences professionnelles.

Enfin, être compétent pour effectuer un travail donné nécessite que la compétence soit apprise par le biais d’un processus d’apprentissage, qu’il soit individuel ou collectif. Les compétences s’acquièrent et se transmettent par les apprentissages et la formation. « Elles doivent être transférables d’une situation de travail à une autre…Elles doivent faciliter les développements individuels » 346

La dernière dimension que nous retenons de la compétence est son intérêt économique. Nous admettons son utilité aussi bien pour l’employeur que pour le salarié. En effet, elle permet à l’employeur de disposer d’une plus grande souplesse d’action dans l’organisation du travail, ce que nous avons constaté dans le développement de la polyvalence des salariés. L’entreprise peut optimiser ainsi les compétences disponibles en fonction de ses choix stratégiques. Elle permet, également, d’améliorer les performances économiques de l’entreprise comme nous le montrent les actions de réduction des dysfonctionnements engagées après la formation « Elévation des compétences » et la mise en œuvre de compétences nouvelles pour les salariés à travers de nouveaux modes opératoires.

Pour les salariés, cela représente une valorisation de leurs compétences acquises hors du contexte professionnel, et leur permet d’enrichir leur capital personnel de compétences. Nous avons pu entendre un certain nombre d’intervenants extérieurs dire, de la société X, qu’elle accomplissait un travail citoyen dans la mesure où les salariés retrouvaient une autonomie dans leur vie personnelle. Ils ont retrouvé une autonomie dans la lecture de documents, dans les échanges monétaires, dans la gestion courante de leurs affaires, etc.

Les salariés développent, également, une plus grande employabilité et ont le souci de gérer leur trajectoire professionnelle de façon proactive et volontariste.

La définition que nous donnons de la compétence, dans le contexte spécifique de la société X, correspond à un ensemble de connaissances, de savoir-faire et de comportements structurés en fonction des buts poursuivis par la société, dans un type de situation donnée. Cette notion regroupe le savoir, le savoir-faire et le savoir être. Nous parlons de compétences utilisées et validées.

Notes
345.

ZARIFIAN PH., « Deux défis pour la gestion des ressources humaines », Article paru dans pôle info, édité par le pôle productique Rhône-Alpes, n° 40, janvier 1996.

346.

GILBERT P, THIONVILLE R., « Gestion de l’emploi et évaluation des compétences » ESF, 1990.