6.1 Les systèmes de classification traditionnels remis en cause

Au fil des années, les grilles de classification sont apparues insuffisantes avec l’apparition de nouveaux emplois, la modification de la hiérarchie des emplois. Les disparités croissantes ont rendu difficiles les enquêtes de salaires et les comparaisons internes à la profession. Les salariés qualifiés ont des difficultés à évoluer professionnellement. La remise en ordre des classifications en 1970 et l’accord de classification du 21 juillet 1975 ont montré la nécessité de rénover les accords PARODI 349 . Pourtant cette remise en ordre se pose à nouveau avec les grilles de classification à critères classants. Le rejet dont fait l’objet le taylorisme rend douteuse la notion même de poste de travail et toute méthode de classification qui repose sur elle. Pourtant, de nombreuses pratiques de gestion des ressources humaines s’appuient, toujours, sur des systèmes de classification basés sur les analyses et l’évaluation des postes de travail. Néanmoins, les évolutions des entreprises nous obligent à remettre en question l’objet de l’évaluation qui prévaut jusqu’à présent. L’approche méthodologique de l’évaluation et de la classification deviennent, aujourd’hui, insuffisantes.

Peut-on conserver la référence à l’emploi ? Doit-on segmenter les emplois en activités multiples pour donner de la souplesse aux grilles de classification après avoir rendu l’organisation flexible ? Jusqu’où peut-on aller dans la prise en compte de l’individu dans un système de classification qui se veut aussi une protection collective ? Peut-on tenir compte de la situation de travail particulière ? Devons nous prendre en compte les compétences réellement possédées et non des compétences requises pour tenir un emploi précis ? Que faisons-nous des compétences potentielles ? Et pourquoi ne pas prendre en compte les compétences personnelles qui n’ont rien à voir avec la fonction occupée ? Doit-on reconnaître ce que le salarié sait faire ou simplement ce que sa fonction implique qu’il sache  350  ? 

C’est l’emploi qui est qualifié dans les systèmes de classification traditionnels, la qualification de la personne étant ignorée ou plutôt « elle n’intervient que selon un principe d’ajustement [...] la personne doit seulement s’ajuster à l’occupation de cet emploi » 351 .

Les nouveaux modèles productifs remettent en cause les caractéristiques du modèle taylorien:

  • - l’existence de plusieurs « one best way » est aujourd’ hui intégrée ;
  • - le caractère procédural est source de rigidités inadaptées ;
  • - le caractère individuel se heurte aux interdépendances et sous estime les synergies éventuelles ;
  • - la stabilité n’est plus garantie dans un environnement technologique et économique mouvant 352 .

Dès lors que ces caractéristiques sont remises en cause, les grilles de classification perdent de leur efficacité et ne répondent plus aux besoins nouveaux des entreprises et des salariés. C’est bien d’un besoin dont il est question pour les entreprises comme pour les hommes lorsque nous parlons de compétence. Les questions se posent, alors, de l’identification de ces compétences, lesquelles retenir, comment les évaluer. Pouvons nous envisager une classification de ces compétences ?

Le concept de compétence ne relève pas uniquement du désir d’innover en formulant des nouvelles idées. Selon Donnadieu et Denimal (1994) 353 , nous tentons souvent de réintroduire sous un autre nom et sous une autre approche les vieux concepts aux contours connus et rassurants. Et cela d’autant plus que les nouvelles démarches sont loin d’être claires et d’avoir fait leurs preuves. Les pratiques de gestion des ressources humaines doivent se renouveler dans un contexte incertain et une approche différentes de cette gestion que note Thévenet(1999) 354 . Cet auteur observe que nous passons de la gestion du personnel à la gestion des personnes. Pour cela, il trouve le concept de ressources humaines insuffisant pour quatre raisons:

  • - c’est la personne qui devient source de performance et non ses seules compétences. L’entrée des émotions dans la réflexion des Directeurs des ressources humaines, traduit la prise en compte des personnes 355  ;
  • - les reconfigurations actuelles de la fonction valorisent trois processus : l’adéquation qualitative et quantitative permanente de l’emploi impliquant une attention soutenue portée aux personnes, le management des savoirs et la personnalisation des processus d’apprentissage, la motivation et l’engagement personnel des salariés ;
  • - le développement de l’individualisation remet en question les relations managériales et les attitudes personnelles vis à vis des autres ;
  • - les tensions sur le marché du travail imposent une prise en compte plus forte des personnes 356 .

Dejoux (2001) 357 note que la gestion des compétences est devenue incontournable en gestion des ressources humaines dans les années 1990 avec un renouvellement des outils. Pour cet auteur, le processus de gestion des compétences se construit à partir de la succession de trois étapes : l’évaluation, l’instrumentation et l’informatisation. L’efficacité du processus dépend de son intégration et de son acceptation au sein de l’organisation ainsi que sa référence à la culture de l’entreprise. La première phase consiste à recenser les compétences dans l’entreprise. Nous pouvons imaginer deux approches différentes :

  • - une approche par une évaluation exhaustive des compétences. C’est un inventaire des compétences individuelles et des fonctions comme, par exemple le répertoire français des emplois, la méthode ETED, le courant « Développement et Emploi », le modèle de Michel et Ledru. Des entreprises ont développé cette approche comme la Lyonnaise des eaux, ODA, la SNCF, ou encore Gaz de France.
  • - une approche par l’évaluation sélective qui consiste à évaluer les compétences stratégiques de chaque employé et de chaque fonction. Le cabinet HAY a développé ce type d’approche et des entreprises comme EDF, France Télécom, IBM, la SEITA, THOMSON et TFI l’appliquent.

A la suite de la phase d’évaluation, la gestion des compétences va exploiter les outils de gestion des ressources humaines existant en les transformant, et en développant sa propre instrumentation. Les outils renouvelés de la gestion des ressources humaines, par la gestion des compétences, sont, selon Dejoux (2001) 358 l’entretien annuel, les rémunérations et la formation. Nous pensons que les grilles de classification font partie de ces outils pour deux raisons :

  • - les salariés s’appuient sur la grille de classification pour revendiquer un statut social qui leur est reconnu ;
  • - les grilles de classification servent de support aux grilles de rémunérations et fondent le sentiment de justice et d’équité.

La finalité de la gestion des compétences est de proposer aux opérationnels des outils de gestion des ressources humaines directement applicables. Elle permet d’optimiser les compétences individuelles et d’assurer la gestion des compétences de tout le personnel de l’organisation. Cette gestion rend l’organisation réactive et souple face aux demandes ponctuelles provenant aussi bien de l’organisation elle-même que de l’environnement externe.

Comment mesurer la compétence ? Est-on capable d’apporter des réponses pratiques ?

Deux approches sont théoriquement possibles :

  • - cette mesure peut-être réalisée dans l’absolu, indépendamment de toute situation de travail et en considérant directement la personne. Cette approche est la plus ancienne. C’est la mesure « in vitro » ;
  • - la plus récente estime que la compétence est finalisée et ne peut s’apprécier qu’en référence à un cadre de travail. C’est la mesure « in vivo » pratiquée par Hewitt et sa démarche basic habilities 359 .

La mesure « in vitro » correspond à la théorie des aptitudes dans les années 1950 et la méthode des tests à laquelle on peut rattacher le concours ou l’examen et, à un moindre degré, l’essai professionnel. Nous rejoignons la notion de corps et de grade de la fonction publique. On retrouve cette notion dans les diplômes professionnels de certaines branches professionnelles. C’est le cas de l’accord de 1975 dans la métallurgie avec les seuils d’accueils 360 . L’un des critères retenus, dans la grille de classification, est la formation de base équivalent à un niveau de l’éducation nationale. Celui-ci permet, à un candidat, de prétendre à un coefficient minimum d’embauche comme par exemple :

  • - le CAP correspond au coefficient 170 ;
  • - le BP correspond au coefficient 215 ;
  • - le BT correspond au coefficient 215, puis 225 au bout de 6 mois ;
  • - le BTS ou le DUT correspondent au coefficient 255, puis 270 au bout de 6 mois et 285 au bout de 18 mois ;
  • - les ouvriers passent un essai professionnel.

La mesure « in vivo » apprécie la compétence par l’observation des comportements en situation de travail. L’analyse porte sur la durée pour recueillir des faits significatifs ainsi que sur les performances par rapport aux objectifs fixés. Cette analyse est facilitée en s’appuyant sur des compétences génériques 361 reliées à des comportements observables. Des questions subsistent sur la possibilité de fournir des référentiels suffisamment rigoureux pour guider l’action et suffisamment clairs pour être intégrés dans le dialogue social et admis par le corps social. La réponse à ces questions est une condition à l’extension de la « gestion des compétences ». Ces repères exigent que la démarche d’évaluation, pour être efficace, intègre les critères suivants :

  • - elle doit être simple et légère permettant sa mise en œuvre rapide par l’entreprise elle-même ;
  • - elle doit être adaptable et ajustée « sur mesure » à l’entreprise ;
  • - elle doit être participative en recherchant le consensus entre tous les acteurs de l’entreprise : les intéressés, les représentants du personnel, les syndicats, la Direction des ressources humaines ;
  • - sa compatibilité avec les conventions collectives de branches ou d’accords d’entreprises doit être recherchée dans le respect des obligations juridiques en matière de classification.

L’entreprise qui décide d’adopter ce type de démarche doit veiller également à l’aspect financier du choix de la méthode en tenant compte du coût d’intervention d’un consultant extérieur, des coûts internes et des moyens consacrés à l’opération 362 .

Nos travaux réalisés, au sein de la société X, s’inscrivent dans cette démarche. L’élaboration d’une classification des compétences a demandé un recensement, dans un premier temps, de toutes les compétences disponibles dans le secteur concerné. Nous avons consulté les acteurs pour valider nos résultats. Notre démarche s’est appuyée sur la connaissance que nous avions de la société X et des obligations législatives en matière de classification.

Notes
349.

PERETTI J.M., « Ressources humaines », Ed. VUIBERT, 7ème édition, 2002, 577 p.op.cit.

350.

DONNADIEU G., DENIMAL P., « Classification, Qualification », Ed. Liaisons, 1994, 199 p. op.cit.

351.

ZARIFIAN P., VELTZ P., « De la productivité des ressources à la productivité par la production », Revue française de gestion, janvier-février 1994, n° 97, pp. 59-66. cité par PERETTI J.M.

352.

Ibid.

353.

DONNADIEU G., DENIMAL P., « Classification, Qualification », Ed. Liaisons, 1994, 199 p. op.cit.

354.

THEVENET M., « Le retour du travail et la fin de la gestion des ressources humaines », in Revue française de gestion, n° 126, nov-déc., 1999, pp. 5 à 11, cité par PERETTI J.M.

355.

THEVENET M., « Le travail : que d’émotions ! », in Revue française de gestion, n° 126, nov-déc., 1999, pp. 140 à 152, cité par PERETTI J.M.

356.

PERETTI J.M., « Ressources humaines » Ed. Vuibert, 7ème Ed., 2002, 577 p. op. cit.

357.

DEJOUX C., « Les compétences au cœur de l’entreprise » Ed. d’Organisation, 2001, 348 p. op. cit.

358.

DEJOUX C., « Les compétences au cœur de l’entreprise » Ed. d’Organisation, 2001, 348 p. op. cit.

359.

DONNADIEU G., DENIMAL P., « Classification, Qualification », Ed. Liaisons, 1994, 199 p. op.cit.

360.

Les seuils d’accueil de la métallurgie sont en annexe n° 31.

361.

Terme emprunté à DONNADIEU G. et DENIMAL P. qui correspond à une connaissance, une expérience, une attitude, toujours relié à un comportement observable.

362.

Nous avons extrait notre développement de G. DONNADIEU ; P. DENIMAL ; « Classification, Qualification, De l’évaluation des emplois à la gestion des compétences » 2ème Ed. Ed. Liaisons, 1994, 199 p. op. cit.