6.2 L’émergence de systèmes de classification des compétences

Les écarts entre les différentes méthodes évoquées, ne font pas apparaître des différences fondamentales. Nous pensons que les difficultés que nous observons dans la gestion des compétences relèvent plus de l’appréhension de la compétence et de la façon de l’évaluer. Nous avons rencontré ce type de difficulté lorsque nous avons évalué le poids des compétences recensées.

Comment peut-on réaliser un « meilleur » système de classification qui permette de rendre compte des situations de travail actuelles, fruits de nouvelles organisations du travail et de politiques de l’emploi plus élaborées 363  ?

L’approche traditionnelle rend compte de situations réelles et peut répondre à ce type de question, mais il est difficile de demander à une entreprise qui s’appuie, depuis plusieurs années sur le modèle taylorien, surtout quand elle évolue, de restituer fidèlement et objectivement, des emplois qui sont à contours variables, dans des situations de travail de plus en plus élargies.

Néanmoins, des expériences ont été menées et sont, en quelque sorte, des éléments de réponses dans le cadre d’une approche par les compétences : La démarche d’IECI Développement, celle de la classification Bien Tempérée, la méthode Basic Abilities, l’accord A CAP 2000, Ascométal-Allevard et notre propre approche au sein de la société X sont des exemples de démarches de gestion des compétences que nous proposons de présenter succinctement :

IECI Développement a mené une action de recherche et d’application, en 1982, au centre Peugeot-Mulhouse sur l’Impact Sociale et Organisationnelle des Automatismes (ISOAR), où la notion de cellule de production a constitué le fondement du système de qualification basé sur le potentiel des personnes plus que sur le classement des installations. Cette démarche prend en compte la notion de rôle, de compétence réelle, de capacité à intervenir en temps réel ou différé. Nous passons de la notion de poste à la notion de fonction. L’organisation du travail repose sur des cellules de production et sur la participation de chacun aux travaux en fonction de ses compétences personnelles. Les niveaux de compétences permettent d’identifier trois rôles entre lesquels les frontières sont mobiles : le pilote d’automatisme, le conducteur d’installation, l’agent de fabrication en unité automatisée qui couvre l’ancien champ allant de l’ouvrier spécialisé au contremaître. Le travail en équipe permet le recouvrement des rôles. Le rôle se définit par les notions de recouvrement et d’enrichissement, qui se substitut aux appellations d’emploi ou de poste. La nature de la tâche n’est plus seule discriminante pour différencier les compétences, c’est la capacité individuelle qui est à la base des critères et des outils de la classification et de la qualification, conçus par ISOAR 364 .

La classification Bien Tempérée d’Entreprise et Personnel a été mise en œuvre à Solac-Dunkerque, société du groupe Usinor-Sacilor en 1989. L’ensemble des activités pratiquées dans l’entreprise avait été identifié par la méthode d’investigation des activités appelée MIA. Ces activités ont été déclinées en savoir-faire et savoirs. C’est sur cette base qu’Entreprise et Personnel a conduit son expérimentation. Les activités ont été ensuite regroupées pour créer des emplois-types présentant des niveaux de compétences croissants.

L’accord A CAP 2000 (accord sur la conduite de l’activité professionnelle), signé fin 1990, dans la sidérurgie marque une étape importante dans la prise en compte des compétences des personnes et dans la recherche d’une classification appropriée. L’idée centrale est d’attribuer un niveau de classification en fonction d’une analyse des compétences personnelles, « des savoir-faire opérationnels validés », indépendamment des qualifications retenues pour tenir un poste de travail. Il s’agit de reconnaître les compétences individuelles, d’assurer un déroulement de carrière lié à l’acquisition de compétences nouvelles et d’aider les salariés à se positionner professionnellement pour prévoir leur évolution. La référence à l’accord national de 1975 dans la métallurgie « demeure une référence » mais des adaptations sont nécessaires.

La méthode Basic Abilities de Hewitt Associates, utilisée par la société ROHR France composée de quatre cent salariés de l’aéronautique en juin 1991, s’appuie sur une logique compétence. La méthode consiste à identifier, définir et à évaluer chacune des compétences nécessaires à l’exercice des fonctions de l’entreprise. Certaines compétences sont communes à plusieurs emplois. Il faut définir l’intégralité des compétences pour rendre compte de l’ensemble des situations de travail. On identifie ainsi entre cent cinquante à deux cent cinquante compétences de base dans des entreprises de quelques centaines à quelques milliers de salariés.

Les compétences sont regroupées en quatre catégories :

La méthode Basic Abilities présente un caractère complet, détaillé et riche de l’information accumulée sur l’ensemble des fonctions. La méthode BA introduit une rupture méthodologique sur la base d’une analyse des compétences et non plus du travail, mais la classification conséquente reste celle des emplois tenus.

La mise en œuvre d’un système de gestion intégrée des compétences a été réalisée en 1995 dans l’entreprise sidérurgique Ascométal Allevard. Poussé vers une grande flexibilité, cet établissement, de six cent salariés, appartenant au groupe Usinor-Sacilor a conduit les dirigeants à s’orienter vers un système de gestion des compétences. Une articulation entre les postes maintenus et les compétences des individus, désormais évaluées et rémunérées, mise en place. D’un côté, nous avons les postes qui servent à organiser le travail et les affectations, chaque opérateur étant habilité à tenir tel ou tel poste ; de l’autre, les compétences mesurées et certifiées par rapport à des emplois-repères, fondent les rémunérations et les actions de formation.

Nos propres travaux réalisés dans la société X font suite au souhait de la direction de repenser l’organisation du travail sur la base de l’autonomie et de la polyvalence des salariés. Cela nous a conduit à identifier les compétences effectives mises en œuvre dans un atelier et de repérer l’articulation de certains des composants de ces compétences pour pouvoir les hiérarchiser. Nous avons utilisé la grille de compétences de l’ISEOR pour recenser l’ensemble des opérations réalisées dans l’atelier. Nous avons procédé ensuite à une décomposition de ces compétences en connaissances de base, aidé par la hiérarchie de l’unité. Puis, suivant la complexité de mise en œuvre de ces connaissances, nous avons plus établir un classement des compétences. L’objectif poursuivi était de pouvoir ainsi repérer les compétences nécessaires sur chaque poste de travail afin de les hiérarchiser. Cette hiérarchie des postes de travail a été rapprochée de la grille de classification de la métallurgie en vigueur dans la société pour répondre à la demande des représentants du personnel.

Nos travaux ont montré qu’il est possible de compléter la grille de classification à critères classants par une grille de classification des compétences au niveau de l’entreprise. Cette grille peut être propre à l’entreprise et admise par les salariés.

A la lumière de toutes ces expériences, les deux questions, que nous posons, sont les suivantes :

Peut-on se passer de toute référence à l’emploi tenu pour déterminer les qualifications ? Une mesure des compétences utilisables, sinon utilisées, peut-elle se suffire à elle-même 365  ?

Il ressort de ces différentes analyses, que les expériences qui ont été menées ont le souci d’identifier les compétences et sont relatives aux connaissances et aux capacités mises en œuvre par les personnes. Elles restent cependant dans le cadre des emplois tenus, qu’ils soient segmentés ou élastiques. Nous réintroduisons la variable du poste de travail au moment de l’évaluation qui conduit à la classification. Nous pensons que cela s’explique probablement par un souci de prudence vis-à-vis d’une logique de poste dominante ‘qui a fait ses preuves’. La démarche est également liée aux aspects juridiques qui entourent les grilles de classification traditionnelles. Notre position fut identique, au sein de la société X, où après avoir identifié et hiérarchisé les compétences, nous les avons rapprochées de la grille de classification existante reposant sur des critères classants à partir des postes de travail.

Cette réflexion met en avant les contraintes que la mise en place de tels systèmes sous-tend et que nous abordons dans le paragraphe suivant.

Notes
363.

DONNADIEU G., DENIMAL P., « Classification, Qualification », Ed. Liaisons, 1994, 199 p. op.cit.

364.

DONNADIEU G., DENIMAL P., « Classification, Qualification », Ed. Liaisons, 1994, 199 p. op.cit.

365.

DONNADIEU G., DENIMAL P., « Classification, Qualification », Ed. Liaisons, 1994, 199 p. op.cit.