6.4.2 Les différentes formes de rémunération

Les formes et les objectifs des systèmes de rémunération ont évolué tout au long du vingtième siècle. La rémunération à la pièce est probablement le plus vieux système ayant existé avant que s’installe la notion de salaire de base. Les anciennes pratiques de rémunération ne peuvent fonctionner de manière durable et satisfaisante que dans un contexte de croissance forte et d’inflation modérée. Ce qui fut le cas pendant la période des trente glorieuses. Le salaire de base est attaché, dans les années 1950, à la conception taylorienne de l’étude des temps et de l’analyse du travail qui permettent l’attribution, à chaque poste de travail, d’une rémunération différenciée. La création des grilles de classification, à partir du recensement des postes existants et de la description de poste, permettant de fixer des taux horaires, se retrouve dans chaque pays. En France, ces grilles sont réglementaires (arrêtés Parodi de 1945) puis conventionnelles dans le cadre de la loi du 13 février 1950. La loi de mensualisation du personnel ouvrier permet, ensuite, d’instaurer un salaire mensuel de base.

La qualification d’un salarié exprime sa capacité à occuper un poste, d’un niveau donné et, positionné sur une grille de classification d’entreprise ou de branche. La qualification traduit la bonne adéquation du salarié à son poste en même temps qu’elle détermine plus ou moins directement son salaire. Deux postes de travail de même niveau de qualification doivent en principe être rémunérés de façon identique, à moins que le salarié ne soit payé en fonction du rendement dans son poste, sur des objectifs de production préalablement établis. Pour répondre aux attentes des salariés, les entreprises privilégient le salaire fixe et collectif. Il n’y a pas revendication de rémunération au mérite de la part des salariés ou leurs représentants. Sa mise en œuvre serait peu compatible avec l’organisation du travail.

Soubie (1984) 377 souligne qu’à partir des années 1980, où la croissance est ralentie et l’inflation forte, l’emprise de l’Etat se heurte à la volonté des entreprises qui sont tentées d’avoir plus d’autonomie même si cela constitue un excellent alibi pour freiner les hausses de salaires. Cette autonomie entraîne un changement de problématique des rémunérations qui s’observe dans le discours des acteurs sociaux et dans la multiplication des expériences. Dans la plupart des entreprises, nous observons une régression du salaire au rendement. Il est jugé peu adapté à une production moins standardisée lorsque le travail ne se ramène pas à une gestuelle répétitive (Stankiewicz 1999) 378 . C’est l’homme qui fait le poste, dans le cadre d’une organisation moins prescriptive (Zarifian 1999) 379 . Le poste s’organise autour de l’individu. En fonction de ses compétences et des besoins de l’organisation, le salarié se voit confier de nouvelles missions. Le poste a des frontières mouvantes, des contours flexibles en fonction des qualités de celui qui l’occupe. Il en résulte la nécessité d’instaurer et d’élargir pour chaque poste la fourchette de rémunération correspondante.

Donnadieu(1997) 380 note qu’à partir de 1985, ce changement répond à une nécessité économique et les outils de la rémunération ne sont plus adaptés. Les formes de rémunération doivent évoluer et deux directions se dessinent :

Ces directions se concrétisent par la recherche des nouveaux objectifs de rémunération suivants :

Donnadieu et Denimal (1994) 383 s’interrogent sur ce que doit payer l’entreprise au plan individuel. Ils proposent deux réponses :

Dans les années 1960-1970, le salaire individuel et de son évolution reposaient sur des éléments concrets, mesurables comme la qualification du poste ou l’ancienneté dans le poste ou dans l’entreprise.

Aujourd’hui, la rémunération prend de plus en plus en compte la compétence du salarié ou ses performances. Brillet (1997) 384 note que la reconnaissance des compétences constitue un déterminant essentiel de l’individualisation. Dans ce dernier cas, sa rémunération dépend des résultats obtenus en fonction d’objectifs préalablement fixés.

Nous pouvons noter quatre originalités actuelles de l’individualisation :

Les modalités de l’individualisation peuvent prendre différentes formes comme les hausses individuelles, le contrat d'activité périodiquement négociable, instrument du management socio-économique, que nous avons défini dans le chapitre 2.

Nous voyons apparaître de nouvelles pratiques de rémunération basées sur le concept d’incitation. Le contrat d'activité périodiquement négociable est un outil incitatif dans la mesure où il stipule dès le départ les règles du jeu d’amélioration de la performance et de la qualité du fonctionnement, les moyens adéquats pour atteindre les objectifs définis, les règles d’évaluation de fin de période et le niveau des avantages salariaux supplémentaires octroyés en fonction des résultats atteints par chacun 385 .

Les primes de rendement collectif permettent de rémunérer les performances d’une équipe tout en améliorant le mode de fonctionnement du groupe. En effet, le rôle incitatif des primes de rendement facilite la mise en commun des compétences individuelles au service d’objectifs communs.

L’intéressement vise à récompenser les résultats globaux de l’entreprise. Nous pensons que le versement différé de la prime d’intéressement le rend peu attractif pour deux raisons :

Nous avons constaté, au sein de la société X, que lorsque la rémunération est associée aux actions à mener, les salariés collaborent plus activement et atteignent généralement les résultats recherchés. Nous avons, également constaté, lors de la formation « Elévation des compétences », que les salariés avaient des réticences à mette en œuvre les nouvelles compétences acquises. Nous expliquons ce constat par le fait qu’il n’y a pas de reconnaissance à court terme des efforts fournis par les salariés pour mettre en œuvre de nouvelles compétences.

Dans les années 1990, certaines entreprises choisissent de payer également la performance future en prenant en compte les compétences (Marbach 1999) 386 . La compétence est plus attachée aux individus qu’aux postes. « Le poste semble laisser la place à la compétence qui dès lors devient l’un des déterminants des pratiques de salaires » (Brillet 1998) 387 . Le contexte français se prête au développement de la rémunération des compétences (R.D.C.) avec le développement du management participatif, l’évolution rapide des organisations et du contenu du travail, la montée du besoin de qualification et la nécessité du développement des compétences. La R.D.C. rémunère davantage la compétence individuelle que collective.

Le passage de la qualification des personnes à la valorisation des compétences représente un changement majeur dans l’évolution des pratiques de rémunérations (Zarifian 1988) 388 . Lorsque l’entreprise adopte une logique de compétences, c’est souvent sa politique de rémunération qui servira de révélateur. En effet, Sauret (1993) 389 souligne que « la rupture par rapport à un fonctionnement taylorien se fait par l’abandon de la rémunération du poste tenu, c’est à dire à partir du moment où il est admit que la compétence exercée dans un métier donné peut varier d’un individu à un autre que l’on entre dans une autre logique de gestion. Encore faut-il que l’organisation le permette en identifiant les métiers et les emplois de manière précise avec un contenu susceptible de varier selon à la fois les souplesses de l’organisation et les capacités des personnes qui les tiennent »

Nous pensons que le changement du système de rémunération est une preuve du passage d’une gestion des emplois à une gestion par les compétences.

Depuis vingt ans, les enseignants chercheurs en gestion des ressources humaines s’intéressent de façon croissante au domaine de la rémunération. Les résultats empiriques montrent que les entreprises qui optent pour des modes flexibles d’organisation du travail mettent en place des systèmes de rémunération fondés sur les compétences (Osterman 1994, Lawler et al 1992) 390 . Pour les populations cadres, 22 % des grandes entreprises, françaises déclarent pratiquer la rémunération liée à la compétence. 25 % de ces entreprises pratiquent ce mode de rémunération pour les populations non cadres (Sire 1998) 391 . Selon les conclusions de l’enquête Towers Perrin, conduite en 1997 auprès de trois cent trois entreprises européennes, ce chiffre s’élève à 29 %, toutes populations confondues (Sire et Remblay 1999). 392

Les changements observés, dans les politiques et les pratiques de rémunération, se sont accompagnés du développement de recherches sur presque toutes les composantes de la rémunération.

Pour Lawler (1990) 393 , la rémunération des compétences encourage l’apprentissage des savoirs transversaux. Selon Barrett (1991) 394 elle est davantage compatible avec des styles de management participatifs et innovants. Pour d’autres chercheurs elle aurait une influence sur le développement, l’acquisition de compétences, la polyvalence, développant ainsi la flexibilité de l’organisation (Sire et Tremblay 1999 ; Amadieu 1995, Donnadieu et Denimal 1993 ; Lawler et Ledford 1992 ; Lawler 1990) 395 . Nous présentons les résultats de recherches portant sur les composants de la rémunération et leur utilisation.

Notes
377.

SOUBIE R., « Observations sur l ‘évolution des politiques de rémunération », Droit social, Décembre 1984. cité par DONNADIEU G., « Du salaire à la rétribution », Ed. Liaisons, 3ème Ed. actualisée et enrichie, 1997, 238 p.

378.

STANKIEWICZ cité dans PERETTI J.M., ROUSSEL P. « Les rémunérations », Série Vital Roux, Ed. Vuibert, 2000, 378 p.

379.

ZARIFIAN cité dans PERETTI J.M., ROUSSEL P. « Les rémunérations », Série Vital Roux, Ed. Vuibert, 2000, 378 p.

380.

DONNADIEU G., « Du salaire à la rétribution », Ed. Liaisons, 3ème Ed. actualisée et enrichie, 1997, 238 p.

381.

ZARDET V., « Systèmes et politiques de rémunération du personnel », in Encyclopédie de gestion, Ed. Economica, 2ème Ed., 1997, 3519 p., pp. 3225-3247. op. cit.

382.

ZARDET V., « Systèmes et politiques de rémunération du personnel », in Encyclopédie de gestion, Ed. Economica, 2ème Ed., 1997, 3519 p., pp. 3225-3247. op. cit.

383.

DONNADIEU G., DENIMAL P., « Classification, Qualification », Ed. Liaisons, 1994, 199 p. op. cit.

384.

BRILLET F., « Les déterminants des pratiques salariales », Thèse de doctorat en Sciences de gestion, IAE de Tours, cité dans PERETTI J.M., ROUSSEL P. « Les rémunérations », Série Vital Roux, Ed. Vuibert, 2000, 378p.

385.

ZARDET V., « Systèmes et politiques de rémunération du personnel », in Encyclopédie de gestion, Ed. Economica, 2ème Ed., 1997, 3519 p., pp. 3225-3247. op. cit.

386.

MARBACH V., cité par DEJOUX C., « Les compétences au cœur de l’entreprise » Ed. d’Organisation, 2001, 348 p. op. cit.

387.

BRILLET F., « Eclatement et cohérence des recherches salariales », in Ressources Humaines et gestion éclatée, Ed. Economica, p 373-404. cité dans PERETTI J.M., ROUSSEL P. « Les rémunérations », Série Vital Roux, Ed. Vuibert, 2000, 378p.

388.

ZARIFIAN PH., cité dans PERETTI J.M., ROUSSEL P. « Les rémunérations », Série Vital Roux, Ed. Vuibert, 2000, 378p.

389.

SAURET CH. « Compétences et classifications. Va-t-on vers une meilleure compatibilité entre elles ? Revue Personnel 06/1993 n° 342 ANDCP p. 19-22

390.

Cités dans PERETTI J.M., ROUSSEL P., « Les rémunérations » Ed. vuibert, 2000, 378 p. op. cit.

391.

Cités dans PERETTI J.M., ROUSSEL P., « Les rémunérations » Ed. vuibert, 2000, 378 p. op. cit.

392.

PERETTI J.M., ROUSSEL P., « Les rémunérations » Ed. vuibert, 2000, 378 p. op. cit.

393.

Cité dans PERETTI J.M., ROUSSEL P., « Les rémunérations » Ed. vuibert, 2000, 378 p. op. cit.

394.

Cité dans PERETTI J.M., ROUSSEL P., « Les rémunérations » Ed. vuibert, 2000, 378 p. op. cit.

395.

Cités dans PERETTI J.M., ROUSSEL P., « Les rémunérations » Ed. vuibert, 2000, 378 p. op. cit.