Les rémunérations sont au cœur des négociations collectives. Cette négociation doit prendre en compte les contraintes économiques de l’entreprise et de la branche. En effet, dans beaucoup de branches, la masse salariale est le premier poste de charges 400 .
Reynaud (1972) 401 pense que « La régulation issue de la négociation collective ne se substitue pas aux décisions des acteurs, sur le marché du travail et ne supprime pas le marché. Mais elle devrait sur certains points au moins, l’infléchir ou la contraindre »
Ce premier niveau de négociation laisse ensuite la place aux négociations dans l’entreprise. Le passage de politiques salariales, fondées sur la qualification des personnes, a de nouvelles politiques, fondées sur les compétences ne consiste pas, seulement, en une simple évolution des modes de rémunérations. Cette mutation doit être regardée comme un changement profond de régulation et un moyen de faire évoluer les échanges entre les parties. Cet échange que nous désignonspar l’échange salarial se déroule dans l’entreprise. Cet échange fonctionne comme un échange social sur la base de règles. La régulation consiste, pour la direction de l’entreprise, à définir le contenu de cet échange salarial, de le maintenir et le faire évoluer en recherchant des solutions négociées, acceptées par les acteurs et adaptées aux contextes de leur activité. Nous voyons que la politique de rémunération d’une direction d’entreprise ne se résume pas, uniquement, à la fixation du montant des salaires. Cette politique définit le rôle et la place qu’elle entend donner à la rémunération dans l’échange global entre l’entreprise et les salariés.
L’échange salarial met en jeu des acteurs et se développe à partir de leurs représentations et de leurs attentes. Dans l’échange salarial, les salariés cherchent à satisfaire, en priorité, des exigences d’ordre matériel liées à leurs besoins et à leurs modes de vie. Ils attendent, également une valorisation de leurs efforts, une reconnaissance de leur travail et de leur qualification. Ils attendent aussi que soit reconnue leur participation à l’efficacité productive de l’entreprise à laquelle ils appartiennent, leur engagement dans cette action collective ainsi que leur propre dignité sociale. Nous pouvons considérer que le système de rémunération avec ses règles et ses normes est un mode de reconnaissance qui constitue un élément important de la culture de l’entreprise.
L’échange salarial porte sur des engagements futurs dont le contenu n’est pas entièrement spécifié à l’avance. Il repose sur « un pari commun de l’employeur et des salariés sur un acte d’entreprise »(Reynaud, 1997) 402 . Les partenaires s’engagent dans une action motivée par une espérance de rendement, mais ce rendement n’est pas connu au départ. Si chacun espère qu’il sera bénéficiaire, personne ne connaît à priori la valeur de la contrepartie 403 .
Nous avons vu que l’échange salarial consiste à rechercher des solutions négociées entre les parties. Cette coopération n’est accordée que sous une condition de réciprocité (Cordonnier 1997) 404 . Les règles de réciprocité sont « à la fois produites, modifiées, contestées » dans chacun des actes des négociateurs (Touraine 1984) 405 . Les partenaires ne peuvent accorder de crédibilité aux promesses qui leur sont faites s’ils estiment que les règles salariales, qui fondent leurs relations, peuvent systématiquement varier en fonction des rapports de pouvoir ? Pour être acceptées par les salariés, les règles de rémunération doivent être jugées suffisamment équitables et avoir à leurs yeux une certaine légitimité. Cette légitimité ne procède pas d’un rapport de force. Elle résulte du processus de l’échange salarial, c’est-à-dire de la construction des règles salariales. La politique de rémunération de l’entreprise consiste à rechercher un compromis autour de règles acceptées par les salariés.
Dans ces règles, les salariés font intervenir l’idée de justice. Ils s’attendent à une rétribution qu’ils estiment juste dans le déroulement même de l’échange. Sire et Tremblay (2000) 406 proposent deux approches transversales permettent d’appréhender l’impact que peut avoir telle ou telle politique de rémunération sur les différentes dimensions du comportement :
Les nombreux travaux réalisés depuis une vingtaine d’année mettent clairement en évidence la question de la justice perçue en matière de rémunération. Elle est une condition nécessaire à l’adhésion aux valeurs collectives et à l’engagement des salariés.
Le sentiment de justice qu’a l’individu à l’intérieur de l’organisation (justice organisationnelle) résulte d’une double perception :
La première perception répond à la question quoi ? Et la seconde à la question comment ?
Une des approches majeures de la justice organisationnelle est connue sous le nom de théorie de l’équité (Adams 1965) 407 . Elle fait référence au ratio rétribution/contribution. Dans cette approche, la rétribution correspond à la rétribution globale ; le terme contribution fait référence à deux types de contribution: celle de l’emploi occupé appelé contribution contractuelle, et celle liée à la performance dans l’emploi appelée contribution variable.
La prise en compte de l’approche en termes de justice procédurale invite aux recommandations suivantes 408 :
- dans le cas où une partie des décisions est déléguée aux managers comme les entretiens d’évaluation, les décisions concernant les rémunérations individuelles etc…, il convient que ceux-ci soient sensibilisés, non seulement au respect des processus mis en place, mais aussi au respect des individus à chaque étape du processus. La décentralisation des décisions salariales modifie les lieux des négociations sur les rémunérations. Elle peut, également, modifier les périodes de ces négociations lorsque l’entreprise donne la possibilité, à l’encadrement, de distribuer des augmentations individuelles tout au long de l’année. Dans ce cas, pour conserver le contrôle de sa politique salariale, l’entreprise devra instaurer des outils de gestion et de procédures afin d’encadrer ou de redresser les décisions de la hiérarchie.
En instituant un entretien d’appréciation, l’entreprise pense que l’évaluation de la productivité individuelle est possible et souhaitable. Cet entretien facilite et développe les discussions entre le salarié et son encadrement 409 .
Nous avons vu que l’individualisation des rémunérations peut être une réponse à la rémunération des compétences. Le passage d’une politique salariale fondée sur la qualification à une autre fondée sur la compétence revient à changer les règles fixation et d’évolution des rémunérations individuelles. Celles-ci doivent faire l’objet de procédures rigoureuses d’appréciation. Les règles de fixation des rémunérations individuelles doivent satisfaire au sentiment d’équité que les salariés attendent d’elles. Cette équité revient au premier rang des préoccupations des entreprises. Ronen (1986) 410 note que la recherche de l’équité se situe à différents niveaux:
Pour apprécier le caractère équitable de leurs rémunérations, les salariés font essentiellement des comparaisons. Ces comparaisons sont surtout internes à l’entreprise. Les salariés apprécient l’équité de façon relative. Leur engagement va, également, dépendre du jugement qu’ils portent sur les règles d’équité négociées dans l’échange salarial. Les caractéristiques de ce jugement sont liées aux modalités de versement des rémunérations au sein de l’entreprise. La dimension collective de l’équité a des incidences très importantes sur la façon dont l’entreprise va négocier les règles salariales, dans l’échange, et les appliquer. Le jugement des salariés prend en compte le contenu global de l’échange salarial comme, par exemple, les avantages sociaux offerts par l’entreprise, l’intérêt du travail, la sécurité de l’emploi, la possibilité d’évoluer dans leur métier ou de se former. Les salariés apprécient, également, le caractère équitable de l’échange salarial dans le respect des règles établies au cours de l’exécution de celui-ci dans le temps. Il n’est pas statique mais dynamique. En effet, ne pouvant préjuger du résultat de l’échange salarial, l’engagement des salariés va dépendre avant tout de la façon dont celui-ci va se dérouler.
DONNADIEU G., « Du salaire à la rétribution » 3ème Ed., Ed. Liaisons, 1997, 238 p. op. cit.
REYNAUD J.D., « La négociation collective en France : évolution et perspectives », Ed. d’organisation, 1972. cité dans DONNADIEU G., « Du salaire à la rétribution » 3ème Ed., Ed. Liaisons, 1997, 238 p. p. 26, op. cit.
Cité par EUSTACHE D., « La rémunération des compétences : vers un nouvel échange salarial », dansPERETTI J.M., ROUSSEL P., « Les rémunérations » Ed. vuibert, 2000, 378 p. op. cit.
EUSTACHE D., « La rémunération des compétences : vers un nouvel échange salarial », dansPERETTI J.M., ROUSSEL P., « Les rémunérations » Ed. vuibert, 2000, 378 p. op. cit.
Cité dans PERETTI J.M., ROUSSEL P., « Les rémunérations » Ed. vuibert, 2000, 378 p. op. cit.
Cité dans PERETTI J.M., ROUSSEL P., « Les rémunérations » Ed. vuibert, 2000, 378 p. op. cit.
SIRE B., TREMBLEY M. ; op cit., dans PERETTI J.M., ROUSSEL P., « Les rémunérations » Ed. vuibert, 2000, 378 p. op. cit.
Cité par SIRE B., TREMBLEY M. ; op cit., dans PERETTI J.M., ROUSSEL P., « Les rémunérations » Ed. vuibert, 2000, 378 p. op. cit.
SIRE B., TREMBLEY M. ; op cit., dans PERETTI J.M., ROUSSEL P., « Les rémunérations » Ed. vuibert, 2000, 378 p. op. cit.
EUSTACHE D., « La rémunération des compétences : vers un nouvel échange salarial », op. cit. dansPERETTI J.M., ROUSSEL P., « Les rémunérations » Ed. vuibert, 2000, 378 p. op. cit.
Cité par EUSTACHE D., « La rémunération des compétences : vers un nouvel échange salarial », op. cit. dansPERETTI J.M., ROUSSEL P., « Les rémunérations » Ed. vuibert, 2000, 378 p. op. cit.