6.7 L’entreprise comme lieu d’apprentissage permanent

Au cours de notre expérimentation, nous avons constaté qu’un transfert d’opérations effectuées par la hiérarchie se réalisait, progressivement, en direction des salariés. Ce processus a pu se dérouler grâce au repérage des situations d’apprentissage afin de mettre en place un manuel de formation intégrée associé à un parrainage.

Dejoux (2001) 433 définit l’organisation qualifiante ou apprenante sur la base du principe de conduite concertée d’événements. Ce type d’organisation favorise le développement de nouvelles connaissances associées à la réalité, à la complexité et à la nouveauté des situations. Dans ce type d’organisation, c’est une approche par les flux qui est développée. Parlier et al (1994) 434 définissent l’organisation qualifiante comme une organisation dans laquelle le salarié rencontre des occasions d’apprentissage et de transfert de ces apprentissages et trouve aussi les raisons d’effectuer ces apprentissages.

La société X s’est donné les moyens durant la période de 1995 à 2000 de créer les conditions d’un apprentissage individuel et organisationnel. Les acquis de la formation enregistrés au sein des groupes de résolution de problèmes ont été transférés sur le terrain par le biais de la recherche de solutions pour réduire des dysfonctionnements préalablement identifiés. Ces transferts ont demandé à la fois un engagement personnel et un travail de groupe. Ce travail a été facilité par le fait que les salariés percevaient une évolution de leurs compétences à travers une plus grande autonomie et une plus grande polyvalence. Les actions effectivement réalisées leur ont permis d’améliorer les conditions de travail et leur ont fait découvrir une autre façon de travailler. Le personnel immigré, ayant suivi une formation particulière de repérage de clés de fonctionnement de l’entreprise et plus particulièrement de leur atelier, a été parrainé par l’encadrement de proximité afin de mettre en pratique leurs connaissances et de voir leur évolution.

Les principes fondateurs de l’organisation qualifiante sont la coopération, la maîtrise des événements, l’autonomie, la régulation, l’innovation répartie et la logique de projet. L’organisation qualifiante vise un double objectif : produire des résultats économiques directs et développer les compétences individuelles.

Pour Helfer, Kalika et Orsoni (2000) 435 , l’entreprise est un organisme vivant qui se nourrit de la richesse de son évolution propre ainsi que de celle de ses acteurs. C’est en elle-même qu’elle trouve les sources d’accélération de son progrès. L’entreprise apprend. L’entreprise est un être social capable d’accumuler des connaissances, de les interpréter, de les garder en mémoire comme une organisation engagée dans un processus d’apprentissage. Qu’elles soient grandes ou petites, les entreprises s’intéressent à l’apprentissage organisationnel car leur motivation réside dans l’impact de la maîtrise des compétences sur la compétitivité des entreprises. L’avantage concurrentiel s’exprime en terme de réactivité et de capacité de création de nouvelles compétences. Ces auteurs pensent que la gestion des processus organisationnels, le changement et l’apprentissage constituent les caractéristiques des entreprises compétitives.

Selon Helfer, kalika et Orsoni (2000) 436 , le management par les compétences oriente aujourd’hui toutes les directions des ressources humaines car on estime qu’il n’existe guère de facteurs de succès plus solides que la compétence. Pour ces auteurs, au-delà de cet intérêt, l’apprentissage organisationnel, qui met en jeu des processus d’apprentissage individuel et collectif, et l’organisation apprenante qui repère toutes les opportunités d’apprentissage en situation de travail, reçoivent un intérêt majeur, aujourd’hui, pour trois raisons :

Pour ces trois raisons, l’entreprise cherche à comprendre comment fonctionnent ces processus d’apprentissage pour pouvoir les mettre en pratique. Helfer, kalika et Orsoni (2000) 437 définissent l’apprentissage organisationnel comme un processus de modification stable des comportements et des pratiques. Ce processus est induit par la perception d’un problème et vise à le résoudre. L’acquisition de nouvelles compétences fait évoluer l’entreprise qui remodèle son identité et est conduite à agir différemment face aux mêmes difficultés. Les processus d’apprentissage sont d’ordre cognitif ou comportemental et s’appliquent aussi bien à un individu qu’à un collectif. Le processus cognitif intègre l’acquisition des connaissances. Comment acquiert-on des connaissances ? Les auteurs définissent :

Figure 6- 5 : comment acquiert-on des connaissances ?
Figure 6- 5 : comment acquiert-on des connaissances ?

Il existe, également, un processus cognitif collectif qui aboutit à la création de représentations partagées. Deux moyens permettent d’obtenir ce résultat :

Figure 6- 6 : Le processus cognitif partagé
Figure 6- 6 : Le processus cognitif partagé

Helfer, Kalika et Orsoni (2000) 438 complètent leur analyse des apprentissages cognitifs et comportementaux. Ceux-ci peuvent amener des transformations mineures ou majeures dans le cadre où ils sont mis en œuvre. Ces auteurs citent Argyris et Schön qui ont proposé le concept d’apprentissage en simple et en double boucles :

La figure 6-7 identifie la différence de niveau qui existe entre ces deux types d’apprentissages.

Figure 6-7 : les apprentissage à simple et double boucle (Helfer P., Kalika M. et Orsoni J., 2000)
Apprentissage à simple boucle Apprentissage à double boucle
Modèles existants Nouveaux modèles mentaux
Adaptation du comportement Changement cognitif
Opérationnel Stratégique
Routinier Non routinier
Comment ? Pourquoi ?
Améliore l’existant Source d’avantage concurrentiel
Contexte stable Contexte instable, ambigu
Renforce l’organisation existante Suscite le changement d’organisation

Les différents types d’apprentissages peuvent s’opérer à plusieurs niveaux de l’entreprise :

Si l’apprentissage organisationnel représente un atout stratégique pour l’entreprise, il faut se poser la question des conditions qui facilite sa mise en œuvre. Nonaka et Takeuchi, cités par Helfer, kalika et Orsoni (2000) 439 , identifient sept lignes directrices qui permettent de développer un programme de connaissances et d’apprentissage organisationnel :

La création de connaissances organisationnelles résulte souvent de crise ou de situation d’urgence. 440 Nous avons pu observer ce processus dans la société X qui a décidé, après trois années douloureuses de pertes financières et d’hémorragies de ses compétences, de modifier la perception que l’organisation avait de ses ressources humaines. Nous parlons de chaos créatif qui résulte de l’écart entre les objectifs internes porteurs de défis fixés par la direction et les capacités actuelles de l’entreprise.

Ce décalage est source de changement et l’opportunité pour l’entreprise de réagir et de modifier en profondeur son organisation. Une façon efficace de gérer ce chaos est de confier aux cadres intermédiaires la gestion du décalage entre la vision de la direction et les réalités auxquelles est confrontée l’organisation. La société X a piloté son processus de changement en outillant les cadres et le personnel d’encadrement des instruments de conduite du changement près du terrain. Le changement peut être considéré comme un facteur de succès pour les entreprises à condition de repérer les freins au changement qui sont au nombre de trois 441  :

En définitif, des forces de cohésion interne d’origines diverses, comme les composantes structurelles, culturelles, et relationnelles aboutissent au fait, qu’en dépit de l’opinion courante et de la volonté de leurs dirigeants, les entreprises changent moins que l’on pourrait s’y attendre, bien qu’elles y soient contraintes 442 .

Notes
433.

DEJOUX C., « Les compétences au cœur de l’entreprise » Ed. d’Organisation, 2001, 348 p. op. cit.

434.

Cités par DEJOUX C., « Les compétences au cœur de l’entreprise » Ed. d’Organisation, 2001, 348 p. op. cit.

435.

HELFER P., KALIKA M., ORSONI J. « Management, stratégie et organisation » 3ème Ed. Ed. Vuibert, 2000, 402 p. op. Cit.

436.

Ibid.

437.

HELFER P., KALIKA M., ORSONI J. « Management, stratégie et organisation » 3ème Ed. Ed. Vuibert, 2000, 402 p. op. Cit.

438.

HELFER P., KALIKA M., ORSONI J. « Management, stratégie et organisation » 3ème Ed. Ed. Vuibert, 2000, 402 p. op. Cit.

439.

HELFER P., KALIKA M., ORSONI J., « Management, stratégie et organisation » 3ème Ed. Ed. Vuibert, 2000, 402 p. op. Cit.

440.

Ibid.

441.

HELFER P., KALIKA M., ORSONI J., « Management, stratégie et organisation » 3ème Ed. Ed. Vuibert, 2000, 402 p. op. Cit.

442.

Ibid.