La problématique

La problématique autour de la maîtrise du risque nucléaire peut être résumée par deux questions principales, l'une à caractère technique, l'autre plus politique. Comment décider ? Qui décide ?

Sur le plan technique, pour décider si une installation est sûre, le technicien doit élaborer une doctrine et des moyens de jugement, face au risque majeur mais aussi face aux pollutions en fonctionnement normal. La palette des risques est en effet vaste, allant du plus faible au plus catastrophique, du plus probable au plus hypothétique. Tant au niveau de la conception qu'à celui de l'analyse, la question posée était de savoir «que prendre en compte, jusqu'où prendre en compte ?» La démarche s'est progressivement dédoublée : dans un premier temps, il a fallu trouver les moyens de prévenir les accidents, par des procédés techniques et une philosophie de la conception; en second lieu, il s'est agi d'inventer une démarche pour vérifier que dans la première étape on n'avait laissé qu'un risque résiduel, qu'aucune faille n'était présente dans les concepts et les moyens mis en œuvre. L'exemple du risque majeur est révélateur de ce questionnement, que ce soit au niveau des projets ou de l'analyse de la sûreté : des mesures sont prises pour que les accidents aux conséquences catastrophiques soient les plus improbables, mais jusqu'où doit-on multiplier les hypothèses sur les scénarios d'accidents ? Quels sont les seuils au-delà desquels les mesures de sûreté ne se justifient plus, sachant que la prévention de tels événements a nécessairement un coût qui va croissant pour un bénéfice marginal en terme de réduction des risques. A partir de quel moment estime-t-on qu'on est raisonnablement protégé contre les accidents les plus graves ? Autrement dit, quel est le niveau de prévention raisonnable, et comment savoir si on a atteint le niveau souhaité ? Ces questions se sont posées pour une technologie en plein développement et dont les promoteurs ne voulaient pas faire l'apprentissage par essais-erreurs. Il a fallu trouver des méthodes de jugement, de décision, alors que les données scientifiques et techniques n'étaient encore qu'approximatives.

Si la sûreté est un problème technique géré par des spécialistes, l'acceptabilité du risque pose la question de «qui décide ?» La problématique de l'expertise et de la décision est éminemment politique. Le jugement sur la sûreté dépend du contexte politique, des rapports entre acteurs (industriels, experts, administration, pouvoir politique, opinion publique), c'est pourquoi l'analyse des institutions est fondamentale. La compétence technique justifie-t-elle le pouvoir de décision du niveau de sûreté adéquat ? Dans un monde où la technique joue un rôle croissant, quels types de rapports s'instaurent entre science et société, entre les élites scientifiques et l'opinion publique ? Sur le fond, les questions de sûreté ne sont jamais purement scientifiques ou techniques : il est toujours nécessaire d'arbitrer par exemple entre le coût des mesures de sûreté supplémentaires et la nécessité de fonctionnement à un coût raisonnable. Qui doit arbitrer ? Une question spécifique en France est de savoir si la sûreté a ou non souffert d'être gérée par des instances qui œuvraient dans le même temps à la promotion de l'énergie atomique.

Le travail se présente ainsi comme une étude de cas qui relate comment s'est posée et a été résolue la question de l'expertise et du contrôle de la sûreté dans le domaine électronucléaire français entre le «comment décider» et «qui décide».