1.1.2. Les dangers des rayonnements ionisants et les premières recommandations sur les doses

Très tôt en effet, l'action des rayonnements ionisants a été étudiée par les médecins. On s'aperçut que les radiations ionisantes pouvaient être utilisées pour traiter les cancers, ce qui allait conduire au développement d'une nouvelle discipline médicale, la radiothérapie. Quelques mois après la découverte des rayons X par Röntgen, ceux-ci étaient utilisés pour effectuer des examens radiologiques, mais pas toujours avec beaucoup de discernement. Car s'ils avaient des vertus curatives, les rayonnements présentaient également des dangers. Les premiers accidents cutanés furent observés quelques mois plus tard : on constata que l'exposition aux radiations pouvait provoquer de sérieux problèmes de santé allant de l'irritation cutanée à la perte des cheveux, à la stérilité et jusqu'au cancer. Sept ans après la découverte des rayons X, le premier cancer radioinduit était décrit par les médecins. Il fut suivi de nombreux autres chez les pionniers de la radiologie, médecins et physiciens : Marie Curie sera plus tard victime de ses manipulations sans précaution du radium. Devant ces accidents se fit jour la nécessité d'élaborer des règles de protection contre les rayonnements, donnant naissance à une discipline à cheval sur la médecine et la physique : la radioprotection. Une Commission Internationale de Protection contre les rayons X et le radium est créée en 1928 lors du deuxième congrès international de radiologie 13 à Stockholm. Le but de la Commission est d'établir des recommandations destinées aux radiobiologistes et aux techniciens pour leur permettre de travailler dans de meilleures conditions de sécurité. La commission est composée à l'origine de cinq membres, un Anglais, un Allemand, un Suédois et un Américain, sous la présidence d'un Anglais, le docteur G. W. C. Kaye du laboratoire national de physique de Teddington. Quatre sont des physiciens et un est radiologiste. Les premières recommandations sont publiées en 1929. 14 Lors du congrès de Stockholm, une commission sur les unités de radiologie est également instituée qui adopte le roentgen comme dose d'exposition aux radiations.

Entre 1928 et 1950, le concept à la base des normes de radioprotection est celui de la «dose de tolérance» qui suppose un seuil d'exposition aux radiations en dessous duquel aucun effet dommageable ne se produit. Une unique «dose de tolérance» pour les radiations externes, X et gamma, a été fixée à un centième de la dose de l'érythème cutané, la dose «coup de soleil» provoquant le rougeoiement de la peau. Cette dose externe pour les rayons X et gamma sera progressivement diminuée, passant de 1 roentgen par semaine en 1934 (0.2 roentgen par jour de travail), à 0.5 en 1936 puis 0.3 en 1950. Une autre recommandation fixant la tolérance pour la quantité de radium déposée en interne dans le corps ne sera pas modifiée.

La commission internationale de protection contre les rayons X et le radium sera transformée lors du sixième congrès international de radiologie de Londres en 1950 en une Commission Internationale sur la Protection Radiologique (ICRP). 15 Bien que n'ayant aucune valeur légale, les recommandations de la commission feront autorité dans la communauté scientifique internationale car elles reflètent l'avis d'experts reconnus de la radioprotection.

Jusqu'à la deuxième guerre mondiale, les limites de dose établies par la commission s'appliquaient seulement aux personnes exerçant une activité professionnelle les mettant au contact des rayonnements. Après Hiroshima et son grand nombre d'irradiés, avec l'augmentation du nombre de travailleurs au contact des matières radioactives et les progrès en génétique aidant, la question de la protection contre les rayonnements quittera le terrain de la petite communauté médicale pour devenir une question de santé touchant l'ensemble du public. Ceci aura deux conséquences en matière de recommandation : d'une part l'abandon du concept de dose admissible pour celui de «dose maximum admissible», c'est-à-dire le rejet de l'idée selon laquelle les radiations sont inoffensives en-dessous d'un certain seuil et la prise en compte des effets possibles cumulés sur toute une vie; en second lieu, la commission établira une limite de dose pour la population en général, fixée à un dixième de la dose pour les travailleurs.

Les dangers des rayonnements ionisants, des matières radioactives naturelles ou artificielles, sont connus, des recommandations en matière de dose sont définies par les médecins avant que physiciens et ingénieurs n'entrevoient la possibilité de fabriquer des centrales ou des bombes. De ce point de vue, l'histoire de l'énergie atomique a cela de particulier que pour la première fois peut-être dans l'histoire des techniques, la nature du danger que mettra en œuvre la technique atomique, la radioactivité, est reconnue dès le départ. Les scientifiques et ingénieurs qui travailleront au développement de cette nouvelle énergie, après les découvertes de la physique des années trente et du début des années quarante, seront prévenus du danger ultime que leurs réalisations mettront en branle. A eux incombera la maîtrise technique de grands équipements à risque.

Notes
13.

Le premier congrès international de radiologie s'est tenu à Londres en 1925.

14.

Cf. Sievert, Rolf M., «The Work of the International Commission on Radiological Protection», Communication P/2263, Actes de la seconde conférence des Nations Unies sur l'utilisation pacifique de l'énergie atomique, Genève, 1958, Nations Unies, N.Y., Vol. 9, P/2263, pp. 3-7.

15.

Sous la présidence de Sir Ernest Rock Carling, la commission comprend des scientifiques provenant de Grande-Bretagne, des Etats-Unis, du Canada, de France, de Suède et d'Allemagne.