1.2.3. La réaction en chaîne

C'est donc au début de l'année 1939 que les Allemands annoncent la fission. Mais selon Weart, c'est véritablement entre l'équipe du Collège de France, composée de Hans von Halban, Lew Kowarski et de leur chef Frédéric Joliot d'une part, et celle de l'université Columbia de New York derrière Fermi et Szilard d'autre part, que la compétition s'engage pour mener des expériences en vue de l'exploitation de l'énergie colossale issue de la fission : à quelques semaines d'intervalles, indépendamment les uns des autres, on s'attaque à la résolution de problèmes identiques, et la première question qui surgit est celle de savoir si au cours du processus de fission de nouveaux neutrons sont produits, ce qui ouvrirait la possibilité d'une réaction en chaîne.

Les expériences menées par les deux équipes aboutissent à la conclusion, au printemps 1939, que des neutrons additionnels sont effectivement libérés. Une réaction en chaîne est donc envisageable : si la fission du noyau d'uranium sous l'impact d'un neutron s'accompagne de la production de plusieurs neutrons, ceux-ci peuvent à leur tour provoquer la fission d'autres noyaux et la libération d'autres neutrons et ainsi de suite, suivant le mécanisme de la réaction en chaîne. Leo Szilard, ancien collaborateur d'Einstein à Berlin, avait déjà suggéré le mécanisme de la réaction en chaîne en 1934 et de la production d'énergie lors d'un mécanisme de désintégration des atomes. Il avait même déposé un brevet secret 18 dans lequel il imaginait les principes de ce qui allait devenir l'énergie atomique. Réfugié aux Etats-Unis, il allait être sous la direction de Fermi l'un des grands artisans de la course à l'utilisation des propriétés de la fission.

L'équipe française fournit l'étape suivante en chiffrant le nombre de neutrons provoqués par la fission, aboutissant au chiffre de 3,5 neutrons par fission (la valeur réelle est plus proche de 2,5). Les savants français envoient leur résultat à la revue Nature qui le publie le 22 avril. Cette publication va convaincre de nombreux savants de la possibilité de la réaction en chaîne, contrôlée ou explosive, et précipiter des programmes de recherche sur l'énergie et l'armement nucléaire dans de nombreux pays. Il est dès lors clair pour tous les scientifiques que deux applications découlent directement du principe de la fission et de sa libération colossale d'énergie, soit de façon contrôlée à des fins énergétiques, soit de façon non contrôlée à des fins destructrices.

Notes
18.

British patent no. 630726, application first filed June 28, 1934, specification accepted Mr. 30, 1936, finally published Sept. 28, 1949.