1.4.3. L'expérience des Français au Canada

Les Français réfugiés au Canada et qui participent aux recherches atomiques à visée militaire, Halban, Kowarski, Auger mais aussi Bertrand Goldschmidt et Jules Guéron, allaient être confrontés à la même nécessité que les scientifiques américains de collaborer avec les ingénieurs des firmes industrielles pour bénéficier non de leurs connaissances fondamentales mais de leur savoir-faire technique. A Montréal la préoccupation de l'équipe est d'éviter que son réacteur ne vienne à fondre : pour produire du plutonium, il faut en effet obtenir de nombreuses fissions et donc un flux de neutrons important, ce qui dégage un sous-produit, une quantité élevée d'énergie, qu'il faut évacuer. «Désormais, relate Weart, il leur fallait faire appel aux ingénieurs. Certes, le réacteur nucléaire était l'enfance de la science pure; nombre de calculs et expériences nécessaires pour en établir les plans appartenaient au genre de travaux faits depuis des années dans la recherche nucléaire fondamentale. Mais pour le système de refroidissement, des physiciens comme Halban et Auger étaient vite arrêtés parce qu'ils ne pouvaient tirer ni de la physique théorique, ni des expériences de laboratoire, assez de connaissances sûres sur les interactions infiniment complexes entre un réacteur à haute température et son réfrigérant. Ce genre de problème était du domaine des ingénieurs, avec leurs traditions différentes dans l'acquisition des connaissances.» 27

Grâce à leur collaboration au projet canadien, les Français allaient pouvoir garder le contact avec les progrès réalisés dans le nouveau domaine, ce qui leur permettrait de poursuivre leurs travaux à la fin de la guerre. Le premier projet de grande pile expérimentale canadienne NRX (National Research Experiment) peut démarrer grâce à la décision des Etats-Unis de fournir au Canada l'uranium métallique, l'eau lourde et les informations nécessaires. Mais entre-temps, un nouveau projet est décidé par l'équipe de Montréal : il s'agit d'un petit réacteur de puissance nulle qui pourrait être réalisé plus rapidement que NRX. Kowarski est chargé du projet qu'il baptise ZEEP (Zero Energy Experiment Pile), après une visite auprès de Walter Zinn au laboratoire d'Argonne, près de Chicago, qui faisait déjà fonctionner une pile à eau lourde et qui lui transmit de nombreux renseignements utiles. ZEEP diverge quelques mois après la fin de la guerre, NRX divergera en 1947.

Pour les responsables scientifiques et politiques, le potentiel de l'atome a été dévoilé, de façon fracassante sur le plan militaire avec les deux explosions d'Hiroshima et Nagasaki les 6 et 9 août 1945, mais aussi sur le plan industriel. De grandes agences gouvernementales sont créées dans les pays industrialisés pour assurer la Recherche et Développement de l'énergie atomique.

Notes
27.

Spencer Weart, op. cit., p. 278.