chapitre 2. Protection et sécurité au Commissariat a l'energie atomique (1945-1956)

2.1. Les dEbuts du CEA : Protection et sécurité à la charge des savants et des techniciens eux-memes

2.1.1. Création du Commissariat à l'Energie Atomique

Dès la fin du conflit mondial, Frédéric Joliot envisage avec Irène Joliot-Curie, Raoul Dautry, Pierre Auger et Francis Perrin, la création d'un établissement de caractère scientifique, technique et industriel, chargé des questions concernant l'Energie Atomique. Dans ce but, Joliot mène à Paris et à Londres, entre décembre 1944 et juillet 1945, des entretiens officieux avec Sir John Anderson, alors Chancelier de l'Echiquier et Président du Comité Anglais pour l'énergie atomique. 28 Le Général de Gaulle avait été mis au courant de ces questions dès la fin de 1944. A la suite de nouveaux entretiens avec le Général de Gaulle, celui-ci charge Joliot, avec l'aide de Dautry 29 , de préparer les projets d'ordonnance et de décret instituant le Commissariat à l'Energie Atomique (CEA). Ces projets sont étudiés par les six futurs premiers membres du Commissariat 30 et sont présentés par Dautry et Joliot au Général de Gaulle qui les accepte.

L'ordonnance est publiée au Journal Officiel le 18 octobre 1945. Placé sous l'autorité directe du président du Conseil, le nouvel organisme est chargé du développement atomique aussi bien à des fins scientifiques, industrielles que de défense. Il dispose d'un statut particulier lui conférant une autonomie financière et administrative. A la tête du nouvel organisme se retrouvent les grands noms de la recherche atomique : la fonction de Haut-Commissaire, chargé des questions scientifiques et techniques, est attribuée à Frédéric Joliot. La partie administrative et financière est confiée à un Administrateur Général, Raoul Dautry. Cette direction bicéphale est assistée d'un Comité de l'énergie atomique comprenant à ses débuts Pierre Auger, Irène Joliot-Curie et Francis Perrin.

Dans la présentation qu'il fait au Président du Gouvernement, Félix Gouin, le 19 mars 1946, Joliot détaille les moyens, humains et matériels, dont dispose le Commissariat à ses débuts : «MM. Kowarski, Guéron et Goldschmidt, d'accord avec les autorités britanniques et américaines rentrèrent en France, parmi nous. Ils travaillent au Commissariat depuis deux mois, et leur expérience, ainsi que celle de M. Pierre Auger, nous permettra d'éviter des tâtonnements longs et onéreux. Les relations entre la Défense Nationale et le Commissariat sont assurées par un Commissaire, le Général Dassault, Président du Comité de Coordination des Etudes Scientifiques de Défense Nationale. En résumé, la situation de la France concernant l'Energie Atomique est la suivante : Elle dispose d'une équipe de savants ayant participé aussi bien à l'origine des recherches dans ces domaines qu'aux réalisations faites à l'étranger, et de nombreux collaborateurs scientifiques spécialistes de la physique travaillant dans nos laboratoires. Concernant les matières premières, elle dispose d'un stock d'uranium, constitué avant juin 1940 - de gisements d'uranium dans l'Empire, suffisants pour une première étape de réalisation, enfin de grands espoirs dans la découverte de gisements nouveaux -, d'une priorité en Norvège concernant une commande d'eau lourde.» 31

Tous les moyens semblent donc réunis pour parvenir au plus vite à la construction de la première pile atomique française.

Notes
28.

Sir John Anderson avait été ministre en charge de l'énergie atomique dans le gouvernement de coalition pendant la guerre, tout d'abord comme Lord President, puis comme chancelier de l'échiquier. L'Advisory Committee on Atomic Energy a été créé au cours du dernier trimestre de 1945 avec pour responsabilité d'émettre des recommandations afin de façonner le programme et de déterminer l'attitude britannique en matière de contrôle international. Ce comité a été très actif au cours du dernier trimestre de 1945 et jusqu'à l'automne 1946.

29.

Né en 1880, polytechnicien (X 1900), ingénieur à la Compagnie des chemins de fer du Nord (1903-1928) avant d'être directeur général des Chemins de fer de l'Etat (1928-1927), Raoul Dautry est ministre de l'Armement pendant la guerre et joue un grand rôle dans la récupération du stock d'eau lourde de la Société norvégienne par l'équipe de M. Allier. Nommé à la Libération ministre de la Reconstruction et de l'Urbanisme du gouvernement provisoire, il adresse au Général de Gaulle en mars et mai 1945 des notes concernant un «programme d'action dans le domaine de la recherche et de l'utilisation de l'énergie nucléaire».

30.

Frédéric Joliot, Irène Joliot-Curie, Pierre Auger, Francis Perrin, Raoul Dautry, Général Dassault.

31.

Frédéric Joliot-Curie, «le programme du CEA», reproduit dans les Echos du CEA, Numéro Spécial, octobre 1965, pp. 15-16.