2.1.4. P1 et les études de protection

ZOE est améliorée en 1952 et 1953. Cette nouvelle pile, d'une puissance thermique de 150 kW, appelée P1, puis EL1, utilise l'uranium métallique désormais disponible à la place de l'oxyde d'uranium. L'eau lourde du modérateur est refroidie par de l'eau ordinaire. Le flux de neutrons au centre de la cuve est sensiblement plus important, 1012n/cm2.s au lieu de 3. 1010. Le mur de protection en béton a été épaissi à 2 mètres. La nouvelle pile est utilisée notamment pour les études de protection, c'est-à-dire de blindages.

Il s'agit là d'un domaine très important de la sécurité des piles consistant à interposer une barrière physique entre le cœur du réacteur et l'environnement extérieur afin de protéger les expérimentateurs des rayonnements. Cette nécessité de protéger des rayonnements le voisinage immédiat des réacteurs est d'ailleurs un facteur qui limite les possibilités d'application de la fission à l'échelle industrielle : alors qu'on imaginait dans les années quarante et au début des années cinquante pouvoir construire des avions, des fusées, propulsés grâce à un réacteur à uranium, la taille et le poids des blindages nécessaires pour protéger les équipages s'avéreront rédhibitoires, et les seules applications concerneront des installations de grande taille comme les sous-marins et les centrales électronucléaires. Outre ce déterminisme technique, la question de la protection par des blindages mérite une attention particulière car un certain nombre de physiciens qui font leurs armes sur le calcul des protections de réacteurs seront chargés par la suite des questions de sûreté 43 .

Chaque projet de réacteur s'accompagne en effet d'une étude des niveaux de rayonnement dans les différentes couches de protection, indispensable pour prévoir l'encombrement et le poids des blindages devant assurer la protection biologique des techniciens, que la pile soit en marche ou à l'arrêt. Cette phase de conception des protections nécessite de comprendre un certain nombre de phénomènes théoriques concernant le comportement et en particulier l'atténuation des rayonnements dans les différents milieux (eau, graphite, acier, plomb, béton, liquides organiques…) : des études théoriques et expérimentales ont ainsi pour but de déterminer la diffusion des neutrons, des gammas dans différents milieux, les sections efficaces des neutrons thermiques ou résonants etc. De ce fait la conception des protections contre les rayonnements émis par les réacteurs est une branche d'une discipline scientifique nouvelle, fille de la fission et mère de l'énergie atomique, la neutronique.

Notes
43.

Cf. Bourgeois, J., Lafore, P., Millot, J.-P., Rastoin, J., de Vathaire, F., «Méthodes et coefficients expérimentaux des protections de réacteurs», Rapport CEA N° 1307, 1959.