2.1.5.1. Jacques Yvon

Au début des années cinquante, on ressent le besoin d'asseoir le développement des piles sur des bases plus théoriques, ce qui conduit à la création en 1949 du Service de Physique mathématique au sein du CEA, à l'instigation de Jacques Yvon.

Jacques Yvon va jouer un rôle très important dans l'orientation des études de neutronique au CEA. Son parcours jusqu'à ses premiers contacts avec le CEA en 1948 permet de comprendre le rôle joué par Yvon dans l'orientation des recherches vers une physique plus mathématique.

Né à Angoulême en 1903, Jacques Yvon 44 est admis à l'Ecole Normale Supérieure en 1922. Il débute en 1927 une carrière de professeur. En 1937 il publie sa thèse consacrée à la mécanique statistique ainsi qu'une brochure intitulée «la théorie statistique et l'équation d'état». En 1938 il est nommé maître de conférences de Physique Mathématique à la Faculté de Strasbourg et poursuit ses travaux de recherche sur l'interprétation de la thermodynamique et des propriétés des états de la matière en fonction de sa structure moléculaire. Déporté en Allemagne de 1943 à 1945, il retourne en 1946 à la Faculté de Strasbourg comme professeur de Physique théorique. Conseiller du CEA en 1948, il enseigne la théorie de la diffusion du neutron. Il est recruté au Commissariat par Jules Guéron en 1949 et est nommé Chef du Service de Physique Mathématique, nouvellement créé. Lorsque Kowarski quitte le CEA pour le CERN, Yvon prend sa succession et devient en 1952 Chef du Département d'Etudes des Piles (DEP), qui est le département-phare du CEA, le cœur de toutes les études de réacteurs faites au Commissariat. Il reste chef du DEP jusqu'en 1959, date à laquelle il prend la responsabilité de la Direction de la Physique et des Piles Atomiques, jusqu'en 1962. 45

Avec la création du Service de Physique mathématique, l'objectif affiché par Yvon est de sortir les études neutroniques de l'empirisme : «Fermi et ses collaborateurs, dont il faut citer avant tout Wigner, avaient su sérier les problèmes, ils avaient su créer un cadre et un langage, choisir les bons paramètres, triomphé par un habile empirisme des situations qui défient le calcul. Mais nous connaissions surtout des recettes, dont il s'agissait de reconstituer les sources, de les dépasser si possible afin de s'adapter à des situations nouvelles. J'ai rapidement compris que l'équation intégrodifférentielle de Boltzmann, légèrement adaptée, serait la charnière de l'arsenal des nouveaux physiciens mathématiciens. Le premier problème que j'ai ainsi pu tirer au clair est celui du ralentissement des neutrons dans une cellule de pile, entre les effets ralentisseurs et diffuseurs du modérateur et les effets capturants de l'uranium 238.» 46 Comme l'explique l'un des successeurs d'Yvon à la tête du Service de Physique Mathématique, le comportement des neutrons dans un système multiplicateur étant régi par l'équation de Boltzmann, l'idée d'Yvon était que «l'attention devait se déplacer de la physique nucléaire théorique vers la physique mathématique, et l'effort se porter sur les moyens de résoudre cette équation très complexe.» 47 Pour ce faire, Yvon va former, conseiller et diriger un petit noyau de jeunes théoriciens, auparavant démunis de soutien. Il cède en 1952 la fonction de chef du Service de physique mathématique à Jules Horowitz.

Notes
44.

D'après : Echos du Groupe-CEA, N°4, 1979, p. 55.

45.

Jacques Yvon quittera le CEA en 1962. Professeur de théories physiques à la Faculté des Sciences de Paris de 1962 à 1970, il restera cependant Conseiller du Haut-Commissaire puis Délégué auprès de la Direction des Applications Militaires. Quittant à nouveau l'université, Yvon deviendra Haut-Commissaire à l'Energie atomique en 1970, charge qu'il remplira jusqu'en 1975. Il décède en septembre 1979.

46.

Jacques Yvon, Oeuvre scientifique, tome I, Energie atomique, CEA, pp. 15-16, cité par Jean Bussac, «Le rôle du CEA dans les premiers développements de la neutronique», Actes des colloques du 50e anniversaire du CEA, Tome II, CEA, 1997, p. 20.

47.

Jean Bussac, «Le rôle du CEA…», op. cit., p. 21.

A sa sortie de Polytechnique, Jean Bussac est entré le 1er octobre 1951 au CEA dans le service de physique mathématique d'Yvon. Il sera, de 1962 à 1970, le quatrième chef du service après Jacques Yvon, Jules Horowitz et Claude Bloch.