2.2.3. Vie tourmentée du SCRGR jusqu'à sa suppression en 1964

Cette fonction de contrôle allait poser certaines difficultés aux ingénieurs du SCRGR, confrontés à la mauvaise volonté des chefs de service des centres nucléaires. C'est pourquoi Francis Perrin édite en 1957 une note dont l'objet est le «Contrôle des installations» par le SCRGR qui les rappelle à l'ordre : «Il est rappelé que les Chefs de Services doivent recueillir l'avis du SCRGR sur tout projet d'établissement ou de modification d'une installation - construction ou appareillage - dont le fonctionnement requiert la mise en œuvre des moyens de protection ou de dispositifs de sécurité contre les radiations ou la contamination radioactive.» Il s'agit donc d'un rappel des missions attribuées au SCRGR dans sa note de création. La suite de la note, adressée aux Directeurs, Chefs de Département, Chefs de Service et de Section, stipule en effet dans ses points 2 et 3 : «Les Chefs de Service responsables doivent avoir l'autorisation du Chef du SCRGR pour la mise en marche (y compris les essais de fonctionnement) de toute installation nouvelle ou ayant subi des modifications dans ses dispositifs de protection et particulièrement dans ses dispositifs automatiques de sécurité. Le Chef du SCRGR recevra des services responsables tous documents qu'il jugera nécessaires au contrôle dont il a la charge.» 74 En fait, cette note ne fait qu'aggraver les malheurs du SCRGR : signée de Perrin seul, elle prescrit l'intervention obligatoire du SCRGR pour tout projet, modification ou mise en marche d'installation. Elle est de ce fait mal accueillie par les Départements : elle prévoit la rédaction par le SCRGR d'une fiche d'étude préalable à la demande d'ouverture de crédit. Administrativement, une telle demande est du ressort de l'Administrateur Général. La note de Perrin aurait donc dû être soumise à sa signature. Ce texte ne sera pas respecté dans l'ensemble et dressera contre le SCRGR une grande partie des Chefs d'unité du CEA.

Ceci témoigne peut-être d'une certaine méconnaissance par Francis Perrin des aspects administratifs des problèmes, mais aussi d'un certain nombre de désaccords avec l'administrateur général, Perrin considérant les problèmes de sécurité comme prioritaires. Cette note qui date de 1957, montre bien les préoccupations du Haut-Commissaire en la matière. Comme nous le verrons par la suite, c'est à peu près à la même époque que Perrin charge Jacques Yvon de mettre en place un groupe de sécurité qui sera à la base de la création d'une Commission de Sûreté des Installations Atomiques, présidée par le Haut-Commissaire. C'est également dans ces années, le 6 février 1958 exactement, qu'est créée sur demande du responsable des Armes Spéciales une Commission de Sécurité qui a la charge d'étudier les normes et consignes à respecter en ce qui concerne les essais atomiques militaires de Reggane. Francis Perrin lui-même préside cette commission, composée de personnalités scientifiques, médicales et militaires. 75

Ce rôle de contrôle des activités des autres services du CEA, justifié par les impératifs de protection contre les radiations, ne met donc pas le SCRGR dans une position facile à tenir. D'autant plus que la délimitation de ses compétences par rapport à celles du SHARP puis du Département de Protection Sanitaire (DPS) n'est pas évidente, ce dont témoigne un certain nombre de conflits entre les chefs des deux services, Duhamel et Jammet. 76 Le rôle du SCRGR deviendra plus flou après la création en 1960 de la première structure centralisée du CEA chargée de prendre en charge les problèmes de sécurité, la Commission de Sûreté des Installations Atomiques. 77 Une deuxième explication à la perte de pouvoir du SCRGR est la tendance à la décentralisation de la protection qui s'est renforcée au cours de l'extension du CEA : chaque centre ou usine a ses problèmes spécifiques et les directions d'établissement qui ont la responsabilité de la sécurité sont amenées à créer des unités locales de radioprotection dont les liens avec le SCRGR ne pouvaient que s'affaiblir.

C'est pourquoi les responsables du CEA décident en 1964 de créer à la place du SCRGR deux services 78 , l'un de protection, le Service Technique d'Etudes de Protection (STEP), l'autre de sûreté, le Service d'Etudes de Sûreté Radiologique (SESR).

Le STEP est rattaché à la Direction de la Biologie et de la Santé (DBS) du Professeur Bugnard. Ses attributions concernent l'étude, le développement, l'amélioration des moyens et techniques de protection : cellules et enceintes blindées, fenêtres de protection, télé-manipulateurs, engins d'intervention, conteneurs blindés, enceintes étanches, dispositifs d'étanchéité, dispositifs d'épuration des effluents gazeux, équipements de protection individuelle, appareils de détection et de contrôle. Il travaille selon les prescriptions de la Commission de Sûreté. Pour les besoins propres du Département de Protection Sanitaire, il effectue des recherches pour déterminer la forme physico-chimique des produits contaminants. Les relations entre cadres de différentes spécialités semblent avoir été particulièrement tendues puisque Bugnard, chef de la Direction de la Biologie, tient à préciser lors de la création au sein du DPS de deux unités dont l'une traiterait des problèmes de radioécologie et l'autre du contrôle radiologique, qu'en accord avec le Haut-Commissaire, ils avaient convenu «de faire en sorte qu'un équilibre soit établi entre les biologistes et les physiciens ou chimistes à l'intérieur du DPS». 79

Le Service d'Etudes de Sûreté Radiologique (SESR) est lui placé sous l'autorité directe du Directeur de Cabinet du Haut-Commissaire. Il est chargé d'études générales, expérimentales ou théoriques, concernant l'évaluation des risques en matière de sûreté radiologique et la prévision des dangers consécutifs à un incident ou accident. Il doit participer à l'élaboration des projets et, à ce titre, effectuer les études particulières liées à la sûreté radiologique de ces installations ou de leurs sites qui lui sont confiées par la Commission de Sûreté.

Mais c'est du sein du Département d'Etudes de Piles, le département développeur des réacteurs, que vont venir les préoccupations de ce qui deviendra la «sûreté nucléaire».

Succession des organismes en charge de la protection et de la sûreté au CEA
Succession des organismes en charge de la protection et de la sûreté au CEA

CSIA : Commission de Sûreté des Installations Atomiques (créée en 1960)

SPR : Service de Protection contre les Radiations

SHARP : Service d'Hygiène et de Radiopathologie

SCRGR : Service de Contrôle des Radiations et de Génie Radioactif

STEP: Service Technique d'Etudes de Protection

SESR : Service d'Etudes de Sûreté Radiologique

DPS : Département de Protection Sanitaire

Notes
74.

Note HC/1223 du 16 février 1957, signée F. Perrin. Archives CEA.

75.

Général Charles Ailleret, L'aventure atomique française. Comment naquit la force de frappe, Grasset, Paris, 1968, pp. 278-280.

76.

Note de Duhamel au chef du DPS, 28/2/64. Note de Jammet au chef du SCRGR, 3/3/64.

77.

Certaines des équipes techniques du SCRGR seront amenées à devenir des soutiens spécialisés des Sous-Commissions qui assureront l'interface entre les services techniques de sûreté et les instances de décision.

78.

Note de Service C-946, Instruction Générale, du 26.11.64, signée F. Perrin et R. Hirsch. Archives CEA.

79.

Lettre du Directeur de la Biologie et de la Santé au Haut-Commissaire, datée du 9.6.65. Archives CEA, Fonds du Haut-Commissaire, M5/02-66.