2.3.2.4. L'intervention de l'industrie

Mais si le CEA détient tout le savoir nucléaire français, il n'a pas de réelle capacité industrielle, c'est pourquoi avec G1 commence l'intervention de l'industrie française dans les réalisations atomiques du CEA, au-delà de la fourniture de pièces détachées C'est à Saclay, dont l'ornement essentiel est alors la pile EL2, que les chefs de file de certaines sociétés françaises et leurs collaborateurs prennent un premier contact avec ces nouveaux problèmes. Des ingénieurs sont détachés dans les services du CEA afin de leur permettre de se familiariser avec la terminologie et ces techniques spéciales. Il n'est alors pas question pour le CEA de commander un réacteur atomique «clés en main», mais Yvon, chef du Département d'Etudes de Piles, estime que le moment est venu pour une société privée de jouer le rôle d'architecte industriel. Le CEA n'a d'ailleurs pas vraiment le choix : pressé par les délais (dès 1953 la divergence de G1 est prévue pour 1956), et ne disposant pas à ce moment d'assez de personnel ou de matériel pour mener à bien toutes les tâches qu'exige un tel projet (études d'exécution, élaboration des plans d'exécution, essais, spécifications techniques, choix des fournisseurs, notification des contrats, contrôle et réception en usines de fabrication, transport, montage), le CEA doit faire appel à l'industrie privée.

Pierre Guillaumat opte pour la solution de «l'architecte industriel» : il s'agit pour le CEA de donner à des groupements d'industriels la responsabilité des réalisations, à l'exception toutefois des études fondamentales qui restent du domaine du CEA. Pour la mise en œuvre de cette solution, il constitue au sein du CEA une «Direction Industrielle» dont le premier directeur est Pierre Taranger. 88 Suivant les directives de Pierre Taranger, un groupement d'industriels se constitue et répartit entre ses membres la plupart des études à effectuer. Pour assurer la coordination des études et ensuite la coordination des travaux, le Groupement constitue avec ses membres une unité de maîtrise d'œuvre qui prend le nom d'«architecte industriel». 89 A partir de l'avant-projet établi en 1953 par le DEP, le projet complet de la pile G1 est élaboré par le groupement, à l'exception toutefois de la partie proprement nucléaire que le CEA a gardée à son compte. G1 est confié à la Société Alsacienne de Constructions Mécaniques (SACM), à la Société des Forges et Ateliers du Creusot (SFAC) et à Rateau, le CEA étant maître d'œuvre. L'usine chimique d'extraction du plutonium est construite à Marcoule par la société Saint-Gobain sous l'autorité de Robert Galley 90 , épaulé par Pierre Régnaut, membre de l'équipe de chimistes dirigés par Bertrand Goldschmidt ayant élaboré le procédé utilisé.

Notes
88.

Polytechnicien (X 1933), Pierre Taranger est un vieux complice de Guillaumat aux services de renseignements d'Alger puis à la Direction des carburants au ministère de l'Industrie.

89.

D'après Georges Lamiral, Chronique …, op. cit., p. 10.

90.

Né le 11 janvier 1921, Robert Galley est ingénieur de l'Ecole Centrale des Arts et Manufactures et ingénieur de l'Ecole Nationale Supérieure du Pétrole et des Moteurs. Après un stage à la Compagnie Chérifienne des Pétroles (1950-1954), un des viviers de recrutement de Guillaumat, c'est Taranger qui le recrute pour l'assister à la Direction Industrielle. Il est nommé Chef du Département de construction des usines du CEA (1955-1956), de construction de l'usine d'extraction du plutonium de Marcoule (1955-1958), puis de l'usine de séparation isotopique de Pierrelatte (1958-1965). Il occupe par la suite de nombreuses responsabilités gouvernementales et politiques.