2.3.2.6. Accord avec EDF

Un accord est passé en mai 1954 entre EDF et le CEA prévoyant d'adjoindre à ce réacteur une installation de production d'électricité. Le protocole d'accord entre l'Electricité de France et le CEA pour une première expérience de récupération d'énergie, signé du Directeur Général d'EDF, Gaspard, et de l'Administrateur Général, Délégué du Gouvernement, Guillaumat, précise que : «Le CEA et l'EDF estiment qu'il y a intérêt à réaliser le plut tôt possible, une première installation de récupération d'énergie à la sortie d'une pile, même si la qualité de l'énergie calorifique en cause est faible, par suite d'une température peu élevée et si la puissance récupérée est faible. Les enseignements recueillis au cours de la construction, puis de l'exploitation, de cette première installation peuvent en effet éviter des tâtonnements ou des erreurs dans la conception des installations plus importantes qui sont vraisemblablement appelées à suivre assez vite cette première expérience.» 92 Cette installation de récupération d'énergie ajoutée à G1 marque le début de la collaboration entre les deux agences gouvernementales, et l'entrée d'EDF dans le monde de l'énergie atomique.

Cette décision d'adjoindre à G1 une installation de récupération d'énergie sera critiquée par certains observateurs : le reproche fait au CEA est de «courir plusieurs lièvres à la fois» en voulant, en plus du plutonium, produire de l'électricité, avec une pile non prévue à cet effet. C'est notamment la critique émise par un journaliste de Sciences et Avenir, qui décrit les problèmes rencontrés par G1, dérivant en particulier de ce choix : «Lorsque la presse fut conviée à une visite, les mieux informés des journalistes commencèrent à comprendre que quelque chose ne tournait pas rond. La vérité, qui ne filtra que lentement, était que le comportement de la pile G1 laissait plus qu'à désirer. Tout d'abord, les barreaux d'uranium cédaient très mal la chaleur qui se dégageait en leur sein. Alors que la température centrale de ces barreaux n'aurait dû dépasser que de 100 degrés celle du gaz circulant autour d'eux pour évacuer la chaleur formée par le fonctionnement de la pile, on observa en de nombreux points des écarts de plus de 400 degrés ! Et, comme un ennui n'arrive jamais seul, on s'aperçut en même temps que ces mêmes barreaux et leur gainage résistaient beaucoup moins bien qu'on ne l'avait pensé à l'action «corrosive» des neutrons. La conséquence de ce double état de choses, c'est qu'il fut impossible de faire «monter» la pile à la cadence de marche prévue.» 93

Les piètres performances thermodynamiques de la pile G1 sont confirmées par un ingénieur d'EDF qui explique les difficultés rencontrées par EDF pour la récupération d'énergie : «Une première tentative de couplage du groupe turbo-alternateur eut lieu le 21 septembre 1956, mais la vitesse de synchronisme ne put être atteinte car la température de l'air à la sortie du réacteur était inférieure de plusieurs dizaines de degrés à la valeur prévue. Le couplage ne fut effectivement réalisé que le 25 septembre 1956.» 94 Compte tenu de cette faible température de l'air à la sortie du réacteur, l'installation de récupération d'énergie ne dépassera jamais la puissance de 2,5 MWe. Le réacteur sera définitivement arrêté le 15 octobre 1968.

Il est vrai que G1 n'avait pas été initialement prévue pour produire de l'électricité. Dans un article de 1957 qui dresse un bilan du développement des piles atomiques en France, Yvon confirme les mauvaises performances des températures obtenues à G1 en parlant de températures de l'ordre de 150°, inférieures aux 180° prévus initialement. Mais il souligne les problèmes technologiques, en tout premier lieu métallurgiques, qui expliquent ces limitations. Dans une pile en effet, la limitation de la température est imposée avant tout par la résistance des cartouches et en premier lieu par la tenue des gaines de magnésium dans l'air : il faut donc éviter de laisser le magnésium dépasser en quelque endroit que ce soit une certaine température limite. Il envisage des progrès de ces performances grâce à l'amélioration des connaissances et au perfectionnement des dispositifs de sécurité : «Maintenant que la pile est en service, on peut espérer améliorer la situation de deux manières : d'une part en recherchant si la température de 280° n'est pas une limite exagérément prudente. On peut tolérer quelques ruptures de gaines pourvu qu'elles soient peu fréquentes et il faudra monter peu à peu la température jusqu'à atteindre un tel régime. On compte, bien entendu, sur le dispositif de détection de ruptures de gaines pour alerter les opérateurs avant que toute rupture ne devienne sérieuse. D'autre part on améliorera le type de cartouche, par exemple du point de vue de la résistance du magnésium à la corrosion.» 95 La première méthode proposée par Yvon consiste à tenter de diminuer les marges de sécurité prises au départ, en comptant sur l'expérience de fonctionnement et sur des recherches sur ces marges dans l'objectif d'atteindre un meilleur rendement thermique et donc une meilleure compétitivité de ce type de machine. C'est une attitude dont nous verrons qu'elle est caractéristique de la deuxième phase de l'histoire de la sécurité nucléaire, à partir des années soixante, où après avoir pris des marges conséquentes pour pallier le manque de connaissances et d'expérience, on se lance dans un deuxième temps dans l'examen de ces mêmes marges, jugées conservatrices, afin de les diminuer et de se rapprocher d'un fonctionnement plus optimal des réacteurs.

Notes
92.

Protocole d'accord entre l'Electricité de France et le Commissariat à l'Energie Atomique pour une première expérience de récupération d'énergie, 14 mai 1954.

93.

Goujon Jean, «Le drame du plutonium», Sciences et Avenir, N°135, mai 1958, p. 231.

94.

Georges Lamiral, op.cit., p. 26.

95.

Yvon, Jacques, «Les Piles Atomiques en France», Le Journal de Physique et le Radium, T.18, N°10, Octobre 1957, p. 549.