2.3.4.1. Des piles de recherche pour le développement de l'énergie atomique

Un premier type de piles développé au CEA a pour but de contrôler la qualité nucléaire des matériaux utilisés, graphite et magnésium pour l'essentiel, ce qui est considéré comme la tâche première avant de construire une pile. Pour cela les scientifiques du CEA utilisent une technique courante consistant à faire osciller des échantillons dans une pile maintenue à basse puissance et dont on mesure la réponse : ces expériences sont menées sur Zoé, pile polyvalente, jusqu'en 1960, où la décision est prise de construire une installation plus moderne et mieux adaptée à ces mesures, la pile Minerve. Construite au Fort de Châtillon, Minerve utilise de l'uranium enrichi et est destinée essentiellement à des mesures de sections efficaces des matériaux entrant dans la construction des réacteurs. Minerve est une pile dite «piscine», en référence au gros réservoir parallélépipédique d'environ 5 mètres de haut encastré dans un massif de béton et rempli d'eau à l'intérieur duquel se déroulent les expériences. 107

En second lieu, il faut s'assurer que les matériaux (graphite, cartouche de combustible) résistent à l'effet du rayonnement : EL2 joue notamment ce rôle jusqu'à son remplacement par EL3 dont le flux dix fois plus élevé permet de réduire les temps d'irradiation d'un facteur dix. Compte tenu du lourd programme auquel doit faire face EL3, une nouvelle pile spécialisée dans l'étude des cartouches destinées à travailler en atmosphère gazeuse est construite à Cadarache sous le nom de Pégase. En 1959 deux piles expérimentales, du type «piles piscines», entrent en service. 108 La pile Mélusine est destinée aux études de neutronique, de physique des solides, de chimie sous rayonnement, à la production de radioéléments, l'analyse par activation, l'étude de radioéléments à vie courte ou encore à l'étude des transferts thermiques. La pile Triton est construite à Fontenay-aux-Roses pour l'étude des écrans protecteurs. 109

Le troisième type de pile sert aux expériences critiques. Les «maquettes critiques» fournissent la base expérimentale des études de neutronique, que ce soit pour l'acquisition des données nucléaires ou pour la validation des méthodes de calcul de cœur. Il s'agit de piles maintenues à très faible puissance, donc ne nécessitant pas de fluide réfrigérant, qui représentent les réseaux combustibles des réacteurs explorés. Grâce à elles, on teste les meilleures dispositions du modérateur et de l'uranium : espacement, diamètre des canaux, diamètre de l'uranium, tubes ou barres pleines, uranium neuf, naturel ou enrichi ou appauvri.

La première pile critique a été Aquilon, destinée aux essais sur l'eau lourde. Située à Saclay, elle diverge pour la première fois en août 1956. Elle est suivie par la pile Alizé, à uranium enrichi et modérée à l'eau légère, qui diverge le 18 juin 1959 à Saclay, un mois à peine avant la première divergence de Rubéole, à oxyde d'uranium enrichi et modérée à l'oxyde de béryllium. La construction de Marius, nouvelle pile à graphite, doit permettre de poursuivre ces travaux. Un des intérêts dans ce type d'expérience est de pouvoir agir sur la température, facteur important dans la multiplication des neutrons. La pile Proserpine, elle, est montée pour étudier la criticalité du plutonium.

Caractéristique des piles pour les expériences critiques
Caractéristique des piles pour les expériences critiques
Caractétistiques des piles de recherche et d’essai
Caractétistiques des piles de recherche et d’essai

Notes
107.

Cf. Yvon, J., Breton, D., «La Pile Minerve», Energie Nucléaire, vol. 2, n° 3, mai-juin 1960, pp. 144-151.

108.

C'est la mise à disposition d'uranium très enrichi à partir de 1955 (20 puis 90 et 93%) qui permet au CEA d'opter pour ce type de piles de recherche de type piscine développées aux Etats-Unis. Refroidies, modérées et protégées par de l'eau naturelle, ces réacteurs sont très compacts et permettent d'obtenir des flux de neutrons plus intenses que les réacteurs précédents et d'accéder plus facilement au cœur du réacteur. Elles sont par ailleurs d'une construction rapide et peu coûteuse. D'après : B. Lerouge, «Les réacteurs de recherche au CEA», Actes des colloques du 50è anniversaire du CEA, 1997, pp. 233-238.

109.

Cf. Divers auteurs, «Les piles piscines de 1000 kW Mélusine et Triton», Bull. Inform. Sci. et techn., CEA, 1959, n° 35, décembre, pp. 3-97.

Trioulaire, M., «Piles piscines», Energie Nucléaire, vol. 1, N° 4, juillet-août 1959, pp. 153-167. Ingénieur à de l'Ecole Navale (1939), Marcel Trioulaire a servi pendant 15 ans comme officier de la Marine Nationale avant d'entrer au CEA où, en tant que Chef du Bureau Piles Piscines au DEP, il a été chargé de diriger la réalisation des piles Mélusine et Triton en liaison avec l'industrie privée. C'est Indatom qui a construit Mélusine.