3.2.4. WASH 740

Du point de vue de la sûreté, la deuxième moitié des années cinquante est marquée par des tentatives d'évaluer les pires conséquences possibles d'un accident de réacteur. Parmi ces études, la plus célèbre est le rapport dit de Brookhaven ou WASH 740. Il est publié par l'AEC en mars 1957 sous le titre «Theoretical Possibilities and Consequences of Major Accidents in Large Nuclear Power Plants». Ce rapport, comme son titre l'indique, a pour objectif l'évaluation théorique des conséquences pour l'environnement qui résulteraient d'accidents de réacteurs nucléaires qui mettraient en défaillance tous les systèmes de sécurité : on évalue donc les possibilités d'accidents hypothétiques qui conduiraient à la dispersion de la totalité des produits radioactifs contenus dans le cœur et les conséquences radiologiques qui en découleraient, indépendamment des mesures prises pour empêcher l'occurrence d'une telle catastrophe, en ignorant donc toutes les mesures de prévention prises, les «engineered safeguards.»

L'étude des chercheurs de Brookhaven 135 part d'un certain nombre d'hypothèses. Ils se sont donné un réacteur de 500 MW thermique (100 à 200 MW électriques) et un cycle du combustible de 180 jours. Tous les accidents sont supposés se produire le 180 ème jour quand la quantité de produits de fission est maximum; elle est censée être de 400 millions de Curie. Le réacteur est supposé situé à 30 miles (48,3 km) d'une grande ville d'un million d'habitants. La densité moyenne de la population dans cette zone est de 500 personnes par miles carrés (193 personnes au km2) et le réacteur est situé au centre d'un cercle d'un rayon de 2000 pieds (610 m). Les chercheurs supposent que des quantités plus ou moins grandes d'effluents radioactifs s'échappent du réacteur, en envisageant différents cas selon la température de l'effluent (chaude ou froide), la taille des particules (vapeur ou poussière), un temps sec ou humide, différentes conditions de vent, et différentes hauteurs des nuages. Les niveaux de tolérance individuelle sont exprimés en dose de rayonnement gamma corps entier : on suppose qu'il n'y a pas d'effet en dessous de 25 rem, que les effets sont peu probables entre 25 et 100 rem (mais qu'une observation des patients est nécessaire), probables de 100 à 450, mortels au-delà de 450. Pour mesurer l'étendue de la contamination de l'environnement plusieurs niveaux de gravité sont utilisés : 1. Evacuation immédiate du personnel; 2. Evacuation du personnel, en ordre; 3. Restriction de l'activité extérieure; 4. Restriction des cultures et de l'élevage.

Trois types d'accidents de réacteur sont pris en compte pour l'estimation des dommages. Le moins dangereux en termes de risque hors-site suppose que tous les effluents restent localisés à l'intérieur de l'enceinte de confinement. Un risque plus grand résulte de la seconde hypothèse supposant le rejet des produits de fission volatiles, plus 1% du strontium. La troisième hypothèse est le relâchement de la moitié des produits de fission. En considérant différentes conditions de rejets, des estimations sont faites sur les possibilités et sur les dommages découlant d'un accident de réacteur.

Parmi les conclusions, les chercheurs de Brookhaven notent tout d'abord que si l'enceinte de confinement joue effectivement son rôle de telle sorte qu'aucun produit de fission ne quitte le site du réacteur, le danger pour le personnel comme les dégâts matériels sont nettement limités. Cependant, si des produits de fission s'échappent, il apparaît concevable que 3400 personnes soient tuées et que 40 000 autres soient contaminées. Le coût d'un tel accident majeur pourrait être de l'ordre de 7 milliards de dollars. Mais les fluctuations sur les résultats sont très grandes, en fonction des différentes hypothèses prises.

Les chercheurs de Brookhaven notent qu'ils auraient pu utiliser des probabilités et des coûts comme base pour le calcul de «l'espérance» (au sens statistique), à savoir la probabilité d'un accident multipliée par son coût, ce qui aurait permis de calculer un coût moyen par accident de réacteur. Mais ils s'y sont refusé estimant qu'une telle approche serait trompeuse car que le coût d'un accident est trop important et peut varier dans de trop grandes proportions.

Ce rapport visait à apaiser les craintes à l'égard de l'énergie atomique en donnant une valeur majorante du nombre de victimes possibles qui seraient causées par un accident aboutissait donc à une conclusion peu rassurante : la fusion du cœur d'un réacteur provoquerait le rejet de substances radioactives en quantité suffisante pour tuer 3400 personnes sur le coup et en blesser gravement 40 000 autres. Les dégâts matériels seraient de 7 milliards de dollars, une zone de 240 000 kilomètres carrés étant touchée. Au lieu de rassurer, ces chiffres allaient effrayer tous les observateurs et donner par la suite aux opposants à cette forme d'énergie des arguments de poids pour en dénoncer les dangers.

Notes
135.

D'après Mark M. Mills, «Reactor Hazards», in Mark M. Mills, Modern Nuclear Technology, McGraw-Hill, New York, 1960.