3.3.1. Le programme atomique anglais

Les scientifiques britanniques 158 ont participé aux recherches atomiques pendant la guerre et ont ainsi accumulé les connaissances qui permettent à la Grande-Bretagne de redémarrer rapidement les recherches à la fin des hostilités. Dès 1941 des recherches sur les applications civiles avaient commencé comme en témoigne un rapport remis en juin de cette année au cabinet de la guerre et qui contient deux sections intitulées «utilisation de l'uranium pour une bombe» et «utilisation de l'uranium comme source d'énergie». Mais jusqu'en 1954, la priorité assignée aux scientifiques britanniques est la fabrication de la bombe atomique. Un «accord de Québec», signé par Churchill et Roosevelt le 19 août 1943, définit d'ailleurs les conditions d'un programme anglo-américain sur les armes atomiques. Face aux risques incessants de bombardements, les chercheurs atomiques britanniques sont transférés au Canada pour assister le développement du programme atomique de ce pays. Exilé en Angleterre, le collaborateur de Joliot, Hans Halban, est choisi pour diriger le projet anglo-canadien, dont le succès est attesté par la divergence en septembre 1945 du petit réacteur de Chalk River, à 200 kilomètres d'Ottawa. De retour en Grande-Bretagne, les scientifiques ayant participé à ce projet vont ajouter leurs connaissances à celles de leurs collègues ayant assisté au développement de la bombe atomique à Los Alamos. Ils s'attellent alors au développement d'une bombe atomique britannique, grâce à la production de plutonium à partir de réacteurs à uranium naturel.

A cette fin, le Premier ministre britannique Clement Attlee désigne Lord Portal comme Contrôleur de l'Energie Atomique en janvier 1946. Le Professeur Cockcroft est nommé Directeur des Recherches tandis que Christopher Hinton, ancien ingénieur de la société Imperial Chemical Industries Ltd (ICI), est chargé de la production des matériaux fissiles nécessaires au programme. Le Groupe de Cockcroft qui engage les recherches théoriques établit ses quartiers à Harwell, non loin d'Oxford. Le groupe de production de Hinton s'installe à Risley en février 1946. Un troisième homme, William Penney rejoint l'équipe début 1947, il sera plus particulièrement responsable des questions militaires.

Le 15 août 1947, le centre d'Harwell peut annoncer la divergence du premier réacteur britannique, GLEEP, modéré au graphite, suivi un an après par BEPO. Ces deux réacteurs ayant permis de confirmer les calculs théoriques, la Grande-Bretagne se lance dans la construction de grandes piles productrices de plutonium sur le site de Windscale, dans le comté de Cumberland. Il s'agit de piles à uranium naturel, modérées au graphite et refroidies par l'air. Les deux piles de Windscale divergent respectivement en octobre 1950 et juin 1951.

Purement militaire jusqu'en 1952, le programme atomique britannique s'oriente à partir de là vers un second objectif, la production d'électricité. 159 S'inspirant de l'exemple américain, une autorité de l'énergie atomique indépendante, et non plus le «Ministry of Supply», est chargée du développement de l'énergie atomique. Une loi du 4 juin 1954 instaure ainsi l'Atomic Energy Authority (UKAEA), composée d'un président et de 7 à 10 membres, tous nommés par le Lord President et dont le budget est voté par le Parlement. 160 L'autorité comprend trois groupes principaux : tous les aspects militaires de l'énergie atomique sont sous la responsabilité du Groupe Armes («Weapons Group») de Penney à Aldermaston, un Groupe Recherche («Research Group») dirigé par Cockcroft est essentiellement situé à Harwell, tandis qu'un Groupe Industriel («Industriel Group»), dirigé par Hinton à Risley, regroupe l'usine de fabrication de combustible de Springfields, les piles de production de plutonium et les laboratoires de Windscale, l'usine de séparation isotopique de Capenhurst et l'usine de production d'électricité atomique en construction à Calder Hall. En effet, depuis 1953, le site de Calder Hall, non loin de Windscale, accueille les premiers prototypes de pile d'une puissance de 65 MWe, dont le combustible est de l'uranium naturel, le modérateur du graphite, le refroidissement étant assuré en circuit fermé par gaz sous pression. Quatre réacteurs identiques sont construits à Calder Hall, dont le premier diverge le 22 mai 1956, assurant l'avance britannique dans le domaine des réacteurs de puissance. Un second site, à Chapelcross en Ecosse, accueille quatre réacteurs semblables supplémentaires qui seront connectés au réseau électrique en mai 1959.

Notes
158.

Une très solide histoire officielle de l'énergie atomique en Grande-Bretagne a été écrite par Margaret Gowing : Gowing, Margaret, Britain and Atomic Energy 1939-1945, Macmillan, London, 1964; Gowing, Margaret, Independance and Deterrence - Britain and Atomic Energy, 1945-1952, Volume I, Policy Making, Macmillan, London, 1974; Gowing, Margaret, Independance and Deterrence - Britain and Atomic Energy, 1945-1952, Volume II, Policy Execution, Macmillan, London, 1974. Sur l'histoire de l'énergie atomique en Grande-Bretagne, on pourra également consulter l'histoire écrite par un ingénieur britannique : Pocock, R. F., Nuclear Power : Its Development in the United Kingdom, Institute of Nuclear Engineers, London, 1977.

159.

La première bombe atomique britannique explose le 3 octobre 1952. En plus des deux usines de Windscale, débute en 1949 la construction d'une usine de séparation isotopique pour produire de l'uranium enrichi en isotope fissile (U 235) à Capenhurst dans le Cheshire.

160.

Les premiers membres permanents de l'Autorité sont Sirs Edwin Plwoden, John Cockcroft, Christopher Hinton, William Penney, Donald Perrott. M. Peirson assure le secrétariat.