3.4.2. L'enjeu d'une organisation nationale de sûreté dans le contexte atomique international

L'organisation de la sûreté au sein du CEA devient urgente : si le projet concerne l'organisation de la sûreté des installations internes au CEA, Yvon envisage la possibilité que cette organisation étende, «dans un proche avenir», ses activités aux réacteurs et aux installations extérieurs au Commissariat et, au-delà, qu'elle participe à des confrontations internationales. Francis Perrin confirme ces ambitions lors de la deuxième réunion de la Commission, qui souligne que «la Commission est actuellement une Commission intérieure au CEA; mais elle est appelée à jouer un rôle important sur le plan national (par exemple, dans le cadre de la réglementation en cours d'élaboration pour «les industries de base» ou pour la normalisation); également sur le plan international, où compte tenu des préoccupations qui se manifestent tant au sein de l'AIEA que d'Euratom, il apparaît indispensable que la France puisse intervenir efficacement, dans ce domaine, grâce à l'action d'un organisme doté de moyens suffisants.» 199

Les années 1955-1959 marquent un réel tournant dans l'histoire de l'énergie nucléaire et dans l'histoire de la sûreté nucléaire en particulier, pour de nombreuses raisons. Tout d'abord, on sort du laboratoire, on déborde le cadre expérimental pour se lancer dans une production industrielle, de plutonium ou d'électricité, ce qui se traduit par une multiplication des installations, une augmentation des puissances des réacteurs. En second lieu, le CEA n'a plus le monopole des questions atomiques : d'autres organismes se mêlent d'énergie atomique en France comme Electricité De France ou des firmes privées.

Enfin, des organismes internationaux chargés des questions de l'énergie atomique sont créés, qui obligent à renoncer aux pratiques purement nationales. L'Agence Internationale de l'Energie Atomique (AIEA, IAEA en Anglais) est créée en 1957, la même année que l'Euratom; dans le cadre de l'OCDE, des discussions aboutissent à la signature de la Convention de Paris en 1960, alors que les Nations Unies organisent les premières Conférences de Genève en 1955 et 1958. Ces institutions internationales sont des lieux où s'élaborent des normes, dont l'application pourrait concerner l'ensemble des pays membres. Il s'agit pour la France et donc pour le CEA de se positionner à l'échelle internationale, mais surtout d'être en mesure de ne pas subir les intrusions étrangères sous prétexte de sécurité ou de contrôle. La France doit être capable de proposer des normes, d'avoir son propre lot d'experts, son organisation d'expertise nationale, apte à défendre le point de vue français au niveau international. Il est impératif d'organiser l'expertise interne pour ne pas être expertisé de l'extérieur. Parmi d'autres, la naissance d'Euratom et de l'AIEA sont deux exemples de la concurrence sévère à laquelle se livrent les différents Etats en cette fin des années cinquante.

Notes
199.

Compte Rendu de la réunion de la CSIA du 11.2.60, p. 2. Archives CEA, Fonds du Haut-Commissaire, F5 26 55.