3.4.3.3. Kychtym

La même année, un autre accident se produit à Kychtym en Union soviétique, dans la province de Tcheliabinsk. Cet accident est passé presque inaperçu en Occident. 206 Classé secret par les autorités soviétiques de l'époque, ce n'est qu'à partir de juillet 1989 que seront rendues publiques des informations concernant l'accident. Au cours des années soixante, certaines informations tirées de périodiques soviétiques, de rapports de services de renseignements étrangers ou d'observations par satellites, avaient laissé supposer qu'une quantité considérable de radioactivité s'était répandue sur plusieurs centaines de kilomètres carrés, mais c'est seulement vingt ans plus tard, en novembre 1976 que des informations plus précises parviendront à l'Ouest par l'entremise d'un biochimiste soviétique émigré en Angleterre en 1973, Jores Medvedev. 207

On sait aujourd'hui 208 que l'accident qui survient à Kychtym le 29 septembre 1957 est la plus grande catastrophe nucléaire avant Tchernobyl. Mis en service en 1949, le site de Kychtym, dans la région sud de l'Oural non loin de la ville de Sverdlovsk, accueille six réacteurs plutonigènes de type graphite-gaz et une usine de retraitement de combustibles irradiés destinés à la séparation et à la purification du plutonium à des fins militaires. Au cours du processus de retraitement, des solutions contenant la quasi-totalité des produits de fission étaient entreposées dans plusieurs dizaines de cuves en acier inoxydable d'un volume de 300 m3 chacune, implantées dans une fosse de béton enterrée et recouverte d'un dalle de protection en béton de 160 tonnes. Le 29 septembre 1957, une violente explosion se produit à l'intérieur d'une des cuves, la détruisant entièrement et projetant à 25 m la dalle qui recouvrait la fosse. On estime que 10% des 70 à 80 tonnes des déchets de haute activité (20 millions de Ci au total) contenus dans la cuve ont été rejetés dans l'atmosphère jusqu'à 1 km d'altitude, entraînant la formation d'un nuage radioactif dont la traînée va contaminer les territoires environnants sur plusieurs centaines de kilomètres carrés. 209 Etant donné les niveaux de radioactivité élevés, 10 800 personnes seront déplacées à la suite de l'accident, 27 villages supprimés. La cause de l'accident est attribuée à un défaut de refroidissement des cuves : l'eau de la solution contenue dans l'une des cuves s'est probablement évaporée en totalité et l'autoéchauffement du mélange solide de nitrates et d'acétates a finalement conduit à une violente réaction d'oxydo-réduction. C'est donc une explosion chimique qu'on pourrait qualifier de «classique» qui a pulvérisé quasi-instantanément une quantité considérable de produits radioactifs dans l'atmosphère.

Notes
206.

L'accident de Kychtym n'est pas mentionné dans les documents du CEA du début des années soixante qui font le bilan des accidents nucléaires survenus dans le monde jusque-là.

207.

Cf. Pringle, P., Spigelman, J., Les barons de l'atome, Seuil, 1982, pp. 194-196.

208.

Le récit qui suit résume l'article de Jean-Pierre Goumondy et Alain Simon, «L'accident de Kychtym ou l'histoire d'une catastrophe «secrète» «, Contrôle, N°110, avril 1996, pp. 44-47.

209.

La superficie de la zone présentant une contamination surfacique en strontium 90 supérieure à 0,1 Ci/km2 correspond à une bande de 300x30 à 50 km2. Elle est de 105x8 km2 pour une contamination de 2 Ci/ km2.