3.4.5. Les autres sous-commissions : criticité, contamination, sites, transport

La Sous-Commission de Sûreté des piles est la première créée, mais elle est rapidement suivie par la mise en place de quatre autres sous-commissions car d'autres risques que des dysfonctionnements de piles sont en cause : le deuxième risque identifié dès le départ et dont l'étude est confiée à une sous-commission - la Sous-Commission des Masses Critiques 236 - concerne le danger de criticalité.

La criticalité (traduction de l'Anglais «criticality») - le terme sera francisé en 1964 en «criticité» - est la propriété qu'ont les matières radioactives fissiles de développer une réaction en chaîne divergente. Le milieu est alors dit surcritique. Ce processus qui est exploité dans les réacteurs atomiques, s'il survient de façon impromptue, conduit à ce qu'on appelle un accident de criticité. Il peut se déclencher lorsque certaines conditions de géométrie, de masse, de concentration des produits fissiles sont réunies : elles dépendent de la présence ou de l'absence de certains corps absorbants ou de réflecteurs. Ces situations peuvent se produire notamment lors du traitement et de la manutention de l'uranium naturel ou enrichi ou du plutonium dans les installations chimiques ou métallurgiques par exemple. Avec les accidents de réacteurs dus à des excès de réactivité comme à Vinca ou de refroidissement comme à Windscale, la deuxième grande cause de décès dus à des irradiations depuis 1945 provient d'accidents de criticité.

Un mois après l'accident de Vinca en Yougoslavie en octobre 1958, c'est à Los Alamos qu'un technicien en train de procéder à la récupération de plutonium dans des déchets liquides, par une méthode dite d'extraction au solvant, est victime à son tour d'un accident de criticité. Le récipient dans lequel il opère était censé ne contenir que quelques centaines de grammes de plutonium, il en contient en fait, suite à une erreur de bilan, plus de 3 kg. Alors qu'il met en route l'agitateur qui doit mélanger les différentes phases, une détonation se produit, un éclair bleu : le technicien reçoit une irradiation de 10 000 rads, il ne survit que 36 heures.

La nécessité de se préoccuper de ces risques et en particulier de leur détection devient plus urgente : la production croissante de matières fissiles et leur usage de plus en plus important dans des réacteurs de puissance et de recherche entraînent une augmentation correspondante de la manutention et du traitement de ces matières. C'est donc sur ce risque de criticité que doit se pencher la nouvelle sous-commission.

Comme pour la précédente sous-commission, sont membres titulaires de la SCMC les représentants des différentes directions du CEA. Proposés par les Directeurs, ils sont nommés par la CSIA. Président et secrétaire seront choisis dans la DPPA ou la DI. Les moyens de la Sous-Commission des Masses Critiques proviennent du DEP et du Département Industriel, elle dispose notamment d'un groupe de théoriciens et d'ingénieurs utilisant les moyens de calcul du DEP, d'un groupe d'expérimentateurs utilisant les moyens existant à Proserpine et les moyens de la Direction Industrielle, et de l'aide éventuelle de certains départements spécialisés.

Le premier président de la sous-commission est Robert Galley, Chef du Département de Construction des Usines de la Direction Industrielle. Il a été à ce titre responsable de la construction de l'usine d'extraction du plutonium de Marcoule (1955-1958), et il dirige l'usine de séparation isotopique de Pierrelatte depuis 1958.

Les deux sous-commissions créées ne couvrent pas tous les risques des installations nucléaires. En particulier, les dangers qui résulteraient de la dispersion de produits radioactifs ou même de produits chimiques fortement toxiques, à la suite d'événements autres que des accidents de criticalité (responsabilité de la SCMC), ou d'incidents de fonctionnement de piles (SCSP) ne sont pas de la compétence normale de ces deux sous-commissions. C'est pourquoi il est proposé 237 en février 1960 de créer une sous-commission spéciale des risques chimiques et radiotoxicologiques. La définition de l'ensemble des facettes du risque nucléaire n'est à l'évidence pas spontanée, ni même les termes qui le décrivent. C'est pour tenir compte de cette source de risque qu'est créée la troisième sous-commission, qui est intitulée «Sous-Commission des Risques de Contamination Chimique ou radioactive» 238 , le 1er mai 1960. Son premier président est M. Sartorius 239 . Il sera remplacé à partir de mars 1961 par Pierre Régnaut, qui a fait partie de l'équipe de chimistes ayant extrait les premiers grammes de plutonium sous la direction de Goldschmidt. Mais la distinction de ses attributions d'avec celle des autres sous-commissions n'apparaît pas clairement de prime abord : «La Sous-Commission doit-elle s'occuper des risques de contamination dus à la marche normale des installations (rôle semble-t-il du S.C.R.G.R.), ou des risques dus à des événements anormaux tels que : feu, explosions chimiques, bris d'appareils (par exemple par corrosion), secousses sismiques», s'interroge son premier président. La réponse qui est apportée est qu'il s'agit d'étudier les dangers importants, et non les risques quotidiens pour lesquels suffisent normalement les Services ou Section de Protection contre les Radiations des Centres. M. Perrin conseille «que la Sous-Commission s'attache d'abord aux problèmes et aux risques les plus importants: sa doctrine se précisera et s'affermira à l'usage.» 240

Vathaire trois ans plus tard explique de quoi il retourne dans un cours :»Il s'agit d'un type d'accident de contamination qui peut se produire dans un laboratoire ou un atelier traitant des substances radioactives, par exemple du plutonium ou des produits de fission. Un incendie ou une explosion chimique se produisant dans le bâtiment peut entraîner l'incendie d'un filtre ou la destruction d'un récipient contenant des produits actifs. A Oak Ridge les Américains ont eu une série noire en 1956/60, avec trois accidents de ce genre dont certains eurent des incidences financières importantes par suite des décontaminations qu'ils rendirent nécessaires. Lors de l'un de ces incidents, il s'est produit un phénomène assez curieux. Il s'agissait de plutonium qui fut envoyé dans l'atmosphère par suite d'une explosion chimique dans un atelier. Il y avait une pile à côté de l'atelier et son atmosphère était en dépression. Evidemment, une partie du plutonium pénétra dans le hall de la pile et contamina les murs et le sol; il y eut ensuite beaucoup de difficultés pour décontaminer la pile et la remettre en marche.» 241

Après la création des Sous-commissions de sûreté des piles, des masses critiques et des risques de contamination chimique et radioactive, sont créés deux nouvelles sous-commissions. La quatrième, instaurée le 1er septembre 1960, est intitulée Sous-Commission de Sûreté des Sites. Elle est placée sous la responsabilité du SCRGR. 242 Son président est Francis Duhamel. En Février 1962, sera créée une Sous-commission de Sûreté des Transports. 243

Au début de l'année 1960, les structures d'examen des dangers des réacteurs atomiques sont mises en place au sein du CEA. L'influence américaine et britannique a été fondamentale dans la prise de conscience de la nécessité d'organiser la sûreté au sein du CEA. La pression des organisations internationales, le rôle des accidents ont également joué un rôle majeur. Une Commission de Sûreté des Installations Atomiques présidée par le Haut-Commissaire est chargée d'évaluer les mesures prises pour assurer la sûreté des installations du Commissariat. Elle dispose de cinq sous-commissions spécialisées dans les cinq domaines de risque identifiés : les piles, la criticité, la contamination, les sites et les transports. La sûreté des piles est confiée à une sous-commission disposant d'un groupe permanent d'ingénieurs. Les bases méthodologiques sont également posées. Il reste à explorer comment vont s'établir les rapports entre ces examinateurs et les responsables des projets, dans un premier temps au sein du commissariat, puis au contact des différentes organisations qui se mêlent de questions nucléaires, que ce soit au niveau de l'industrie privée, ou du producteur national d'électricité.

Notes
236.

Note de Service HC N°37, 1er mars 1960.

237.

PV CSIA, 11 février 1960. Archives CEA, Fonds du Haut-Commissaire, F5 26 55.

238.

Note HC 41 du 1er mai 1960.

239.

X 1942, M. Sartorius est ingénieur du Corps des Poudres, docteur en sciences et chimiste.

240.

PV CSIA du 1er juillet 1960.

241.

F. de Vathaire, «La sûreté des piles atomiques», Génie Atomique, INSTN, 1963, CXI, p. 8.

242.

Note HC44 du 1er septembre 1960.

243.

Note de service HC71 du 2 février 1962.