4.2.1.4. Le hall de Mélusine

L'analyse par la Sous-Commission des diverses installations conduit généralement à un renforcement des mesures de sécurité, et en particulier après l'examen des différents accidents susceptibles de se produire. C'est le cas avec la pile Mélusine, à Grenoble. 255 M. Bourgeois 256 remarque que la sécurité de la Pile repose plus sur la compétence du personnel qui conduit la pile que sur des dispositifs de sécurité efficaces. Il indique dans les faits, toutes les sécurités basées sur la mesure de la période neutronique de Mélusine sont shuntées (court-circuitées) lors du démarrage : il existe alors une seule sécurité non mécanique en fonction, ce qui pose problème car il est impossible de faire autrement sans arrêter la pile. Or, le rapport de sûreté de la Pile, dont la rédaction est désormais obligatoire, conclut à la possibilité d'un «accident maximum croyable» analogue à celui de Borax. Borax est le nom d'une expérience d'excursion nucléaire menée aux Etats-Unis sur un petit réacteur à eau bouillante en 1954. L'éjection volontaire des barres de contrôle avait conduit à un accroissement de puissance colossal (19 000 MW) en moins d'une dizaine de secondes : la vaporisation de l'eau avait provoqué une pression telle qu'elle avait conduit à l'explosion du réacteur. Le cœur et les débris furent projetés en l'air, et on les retrouva dans un rayon d'une centaine de mètres. Le risque n'est donc pas négligeable sur Mélusine. Etant donné ce défaut de conception de la pile, M. Bourgeois juge nécessaire d'installer au plus tôt des sécurités efficaces. Mais le matériel correspondant n'existe pas en magasin, et ses délais de livraison sont estimés à au moins six mois, voire un an. Après cette proposition de traiter l'aval du risque par la prévention des causes, Bourgeois s'attache à l'amont par la limitation des conséquences. Il propose de réaliser une modification du hall de la pile, en vue d'améliorer son étanchéité, opération dont l'étude et la réalisation demanderont de longs délais. Enfin, il lui semble souhaitable qu'une «zone d'exclusion», d'environ 300 mètres soit établie autour de Mélusine, dans laquelle aucune construction destinée à l'habitation ne serait autorisée. Cette zone, qui porterait sur le terrain militaire voisin, pourrait également servir pour la pile Siloé en construction. Dans ces conditions, le Haut-Commissaire estime qu'il n'est pas possible de prendre, valablement, une décision sur les conditions d'exploitation de la pile Mélusine et il presse le Centre de Grenoble de poursuivre avec le maximum de diligence les études nécessaires.

Lors de la séance suivante qui se tient le 27 juin 1961, M. Bourgeois énumère les améliorations apportées depuis avril au tableau de contrôle de Mélusine et propose d'autoriser son fonctionnement pour une puissance de 2MW. L'autorisation de fonctionnement n'est accordée que sous réserve d'une réalisation rapide de l'étanchéité du hall.

La question de l'étanchéité du Hall de Mélusine 257 est examinée à nouveau en décembre 1961. Il s'agit d'un hall dit semi-étanche, mais dont en réalité le taux de renouvellement horaire est élevé, les fuites étant de l'ordre de 6000 m3/heure. La ventilation met le hall en très légère surpression, et l'air est évacué, sans filtre, à travers deux aérateurs statiques. La mise en circuit fermé, en cas d'incident, ne supprime pas les fuites; les baies vitrées, d'autre part, ne résisteraient pas à une surpression même minime. Des travaux ont donc été effectués par le Centre de Grenoble pour pallier ces défauts. Une première série de travaux pour l'amélioration de l'étanchéité du hall et la transformation de la ventilation est estimée à 650 000 NF environ. Une autre série de travaux d'un montant équivalent est prévue pour le renforcement des structures afin qu'elles puissent mieux résister à une surpression dans l'hypothèse d'un accident de type «Borax». Avec ces renforcements, M. de Robien, Directeur du centre de Grenoble, estime que la puissance de fonctionnement de la pile pourrait être portée à 4 MW. Mais Jean Bourgeois, tout en affirmant son accord avec la première tranche de travaux effectués, note qu'en ce qui concerne le renforcement des structures du hall, un certain nombre d'incertitudes subsistent quant aux effets de la surpression consécutive à la vaporisation de l'eau pour l'accident envisagé. Seules les études en cours menées dans les laboratoires de la Marine à la Pyrotechnie de Toulon permettront, estime Bourgeois, de préciser les connaissances dans le domaine de la résistance des bâtiments aux surpressions. Une fois encore, le Haut-Commissaire insiste pour que toutes les précautions soient prises pour que les essais soient bien représentatifs de l'accident envisagé. Refusant d'accéder à la demande d'augmentation de puissance émise par le Directeur du centre, la Commission renouvelle pour un an l'autorisation de fonctionnement de Mélusine, à la puissance de 2 MW, en précisant toutefois que cette autorisation ne sera pas renouvelée si les travaux d'étanchéité du hall, y compris la modification de la ventilation, ne sont pas réalisés dans ce délai.

L'intervention du directeur du centre pose une question de fond récurrente pour ce qui touche la sûreté : des améliorations ayant été apportées à l'installation, peut-on pousser plus loin les limites autorisées pour son fonctionnement ? La réponse est dans ce cas précis négative, mais la question se posera souvent.

Notes
255.

La pile Mélusine est une pile du type «piscine» qui a démarré en 1958. Construite par Indatom, c'est le moyen d'irradiation autour duquel s'est structuré le centre de Grenoble. Elle utilise de l'uranium fortement enrichi, tandis que son refroidissement, sa modération et sa protection sont assurés par de l'eau naturelle. La piscine qui contient le cœur et les échangeurs est au centre d'un hall dont les dimensions sont 34m x 20m x 20m (hauteur).

256.

PV CSIA, Séance du 15 mars 1961.

257.

PV CSIA, Séance du 5 décembre 1961.