4.3.1. Les relations du GTSP avec le centre de Marcoule. Le cas de l'augmentation des températures de gaine

L'un des principaux problèmes concernant la sûreté des réacteurs à uranium naturel réside dans le contrôle de la température maximale des gaines de combustible. Un dépassement de cette température serait synonyme de rupture de ces gaines et conduirait à un dégagement des produits radioactifs contenus dans les barreaux d'uranium.

La tenue de la gaine est d'une importance primordiale dans les réacteurs UNGG, car ils se trouvent dans une configuration chimique instable dans la mesure où l'uranium, dans les gammes de température de fonctionnement des piles, réagit avec le CO2 de façon exothermique. Il faut donc absolument éviter qu'il y ait contact entre l'uranium et le CO2. Par ailleurs, afin que le bilan de réactivité soit satisfaisant pour la réaction en chaîne, il faut que l'uranium se présente sous forme métallique et que sa densité soit la plus élevée possible. Or l'utilisation d'uranium métal impose deux limitations importantes : la température maximale de l'uranium doit être inférieure à la température du point de transformation allotropique  -  qui se situe autour de 640°C; deuxièmement, la durée d'irradiation est limitée par les modifications de dimension et de propriété de l'uranium métal. Un excès de température au cœur de l'uranium conduirait ainsi à la rupture des gaines, ce qui ramène au problème précédent.

Les discussions sur la sûreté ont lieu dans un contexte où un grand nombre de données ne sont pas connues : les données de base (neutroniques, thermiques, métallurgiques) sont lacunaires, le fonctionnement des machines n'est pas rôdé. L'exploitation des piles doit apporter des réponses à de nombreuses questions en suspens. Une caractéristique importante sous-jacente à l'histoire de la sûreté est l'avènement des codes de calcul. Pour ne prendre qu'un seul exemple d'une des disciplines de base, la neutronique, de nombreuses coopérations sont nécessaires entre différents domaines pour faire progresser ces connaissances. La neutronique dispose d'équations de base solides, les équations de Boltzmann, permettant d'effectuer des calculs pour prévoir le comportement des neutrons dans le cœur. Mais pour mener les calculs, ces équations nécessitent l'introduction de certains coefficients physiques dépendant des matériaux, de la géométrie etc., coefficients qui ne peuvent être obtenus que par l'expérimentation. Par ailleurs, pour mener un calcul, il faut un code de calcul, un programme, et des machines. Le CEA effectue son premier programme de calcul de la neutronique des réacteurs à graphite en 1959 seulement. Tout au long des années soixante, les calculateurs seront une denrée rare en France. C'est un problème pour le développement, mais aussi du point de vue de la sûreté, car il faut pouvoir vérifier un calcul, c'est-à-dire les données, les paramètres, le programme, et disposer également de machines. Jusqu'à la fin des années soixante, mener un calcul est donc une opération qui nécessite des moyens matériels et humains. Ceci est vrai pour le calcul des transitoires 280 , et en particulier des transitoires correspondant à des scénarios d'accident, ce qui est l'un des axes de travail des spécialistes de la sûreté. Les moyens étant réduits à cette époque, et la priorité étant au développement, les hommes de la sûreté doivent trouver les voies d'une collaboration avec les autres secteurs, et en particulier avec les producteurs qui font fonctionner les piles et sont détenteurs exclusifs de certaines connaissances.

Les débats autour de l'élévation des températures de gaine lors des séances de la CSIA ont d'importantes implications : l'élévation des températures et de la puissance limites sont gages d'une plus grande production de plutonium mais aussi d'une prochaine compétitivité économique de l'énergie atomique. L'avancement des connaissances sur le fonctionnement des réacteurs doit permettre de diminuer les marges de sécurité . Les contraintes sont donc nombreuses, à la croisée des problèmes scientifiques, technologiques, de risques, économiques, politiques.

Notes
280.

Cette situation restera vraie même dans les années soixante-dix lors de l'importation des réacteurs Westinghouse. Un témoin qui a débuté dans l'énergie nucléaire au milieu des années soixante se souvient :»Quand j'ai débuté, on commandait encore des trucs : «sera calculé selon tel ouvrage page tant», ou «sera calculé selon le code ASME telle formule tel coefficient de sécurité page tant» (…). Et ceci parce qu'il était évident qu'on ne pouvait pas faire de calculs : on n'imaginait même pas, on ne l'imaginait pas, la possibilité de calcul d'éléments finis, ni de calculs de transitoires ! On calculait UN transitoire ! Un grand transitoire, et puis on mettait tous les bureaux d'étude sur le pont pour calculer un transitoire, c'était inconcevable de faire le reste.»