4.3.2. L'augmentation des températures de G1

4.3.2.1. Les préventions des métallurgistes

Le problème de l'augmentation des températures est posé une première fois pour G1 à la mi-60 et apparaît à nouveau fin 1963. Les deux examens de la question par la Commission montrent que c'est Piatier, Directeur des Matériaux et des Combustibles Nucléaires (DMCN), qui n'est pas favorable à cette augmentation alors que Bourgeois (Président de la Sous-Commission de Sûreté des Piles, Adjoint d'Yvon au Département d'Etudes de Piles) et Mabile (Directeur des Productions), eux, le sont. 281 Henri Piatier est concerné au premier chef par le comportement des matériaux (graphite de l'empilement, uranium du combustible, métaux de la gaine des éléments) dont il connaît bien les limites technologiques en tant que Chef de la Direction qui les fabrique. Et à cette époque, ce sont réellement les performances métallurgiques des matériaux qui sont les facteurs limitants pour ce type de piles 282 . La DMCN regroupe en 1961 un Département de Physico-Chimie, un Département de Métallurgie, un Département du Plutonium et deux Services, l'un de Radioéléments et l'autre de Chimie.

Le problème du relèvement de la température de fonctionnement de G1 est abordé par la Commission lors de sa deuxième séance, le 1er juillet 1960. 283 La question est exposée par Bourgeois dont la Sous-Commission s'est réunie à ce sujet le 20 mai à Marcoule. Le Compte-rendu ne résume malheureusement ni la position ni les arguments de Bourgeois, mais ce dernier semble favorable au relèvement de la limite imposée à la température de fonctionnement de G1. Ce n'est pas le cas de Piatier. Bien que le relèvement de température ne paraisse pas entraîner un accroissement brutal des risques, l'intérêt de l'opération ne lui semble pas justifier que l'on accepte une diminution de la marge de sécurité de fonctionnement. Il estime même que l'intérêt scientifique et technique de l'opération est «pratiquement nul», et que l'accroissement de production de plutonium qui en résultera sera faible. Par conséquent, il vaut mieux «ne pas courir de risques supplémentaires» sur G1. Francis Perrin, tout en indiquant que certains enseignements intéressants pourraient être tirés de l'augmentation de température envisagée, demande alors aux membres de la Commission dans quelle mesure les filtres installés sur l'évacuation de l'air de refroidissement de G1 sont capables de retenir en cas d'incident les gaz radioactifs tels que l'iode 131.

Cette question du filtre avait en effet été mise à l'étude après l'incident du réacteur de Windscale, très semblable à G1. Comme le réacteur britannique, G1 fonctionne en circuit ouvert, l'air de refroidissement des barreaux d'uranium (l'uranium métal est inflammable dans l'air) étant directement rejeté dans l'atmosphère, après filtration. Les filtres de Windscale avaient été rajoutés, bien après la construction et contre l'avis des responsables de la conception Christopher Hinton et Henry Davey, à la demande de John Cockcroft. Il semble que ces filtres ont grandement limité la portée de l'accident survenu en octobre 1957, en particulier pour la rétention du poison considéré comme le plus dangereux, l'iode 131. La question des filtres est d'autant plus aiguë que G1 fonctionne à des températures faibles qui le rendent sensible à l'effet Wigner, la libération violente et spontanée de l'énergie emmagasinée. Pour éviter qu'un tel accident ne se produise, l'installation doit être soumise périodiquement à un recuit afin d'évacuer cette énergie de façon contrôlée. C'est à l'occasion d'un tel recuit que s'était produit l'incendie de plus d'une centaine de canaux sur le réacteur de Windscale.

A la suite de la discussion, la Commission décide 284 d'attendre pour se prononcer sur un éventuel relèvement de température que la Sous-Commission de Sûreté des Piles ait examiné le rapport de sûreté de G1, en cours d'élaboration. Elle demande à Bourgeois de faire le point des études sur l'amélioration des filtres de G1.

Notes
281.

Jacques Mabile, X 1941, était Directeur des Recherches et Exploitations Minières jusqu'en 1961, où il prend la tête de la Direction des Productions.

Henri Piatier est ancien élève de l'Ecole polytechnique (X 1938). Il a secondé Guillaumat dans la décision de lancer l'étude de l'enrichissement de l'uranium en 1953.

282.

Par exemple à propos du premier réacteur nucléaire d'EDF, un ingénieur de la Direction de l'Equipement rappelle qu'après avoir sélectionné les principales options pour ce réacteur en 56, «le problème restait posé de savoir si, dans l'état actuel des connaissances en métallurgie, les éléments combustibles pouvaient être empilés sur 8 m de haut et supporter une irradiation de 3 000 MWj/t.[…] il fut demandé au Comité de Métallurgie du CEA de se prononcer avant un mois sur le problème de la tenue des éléments combustibles». (Lamiral, op. cit., p. 32) Et à propos de la fixation des caractéristiques de dimensionnement d'EDF2, Lamiral conclue son résumé des différences de positions entre le CEA et EDF : «En définitive, la prudence du CEA pour la fixation du niveau de puissance de Chinon A2 ne provenait pas des craintes concernant la maîtrise de la physique ou de la technologie du réacteur mais essentiellement de la crainte des conséquences de la fourniture d'éléments combustibles n'ayant pas les performances voulues.»(Ibid., p. 39) De même pour EDF3, le CEA plaide pour une puissance limitée à 375 MWe alors qu'EDF est partisan d'une solution à 480-500 MWe : «La principale motivation de la position du CEA reposait comme pour Chinon A2 sur la crainte qu'une éventuelle limitation de l'irradiation des éléments combustibles n'entraînât la nécessité d'arrêter périodiquement le réacteur, pour assurer le déchargement et le chargement de ceux-ci.»(Ibid., p. 41).

283.

PV CSIA 1/7/60, p. 10.

284.

Décision HC 60.2 G1, signée F. Perrin, du 1/7/60.