Chapitre 5. Les études de sûreté au Commissariat à l'energie atomique

La sûreté nucléaire, telle qu'elle s'institutionnalise au sein du CEA, ne comporte pas qu'un aspect de contrôle. D'ailleurs, dans cette phase de développement qui couvre les années cinquante et la première moitié des années soixante, il est hors de question de se référer à une quelconque norme puisque les appareils qui en seraient l'objet n'existent pas encore. Une des originalités de la sûreté nucléaire est son volet «études» qui permet aux spécialistes d'être en contact permanent avec l'évolution des connaissances scientifiques et techniques. Ce savoir les rend à même d'évaluer et de contrôler en connaissance de cause. Dans cette première période de la sûreté au CEA, les deux aspects, contrôle et études, sont étroitement liés et il est souvent difficile de distinguer dans le discours des hommes de la sûreté ce qui est du ressort exclusif de la sûreté de ce qui est du registre du développement. Ceci est d'autant plus vrai qu'on est réellement en pleine phase d'acquisition des connaissances.

Un certain nombre de questionnements, d'études, sont nécessairement communs aux hommes qui s'occupent du développement et à ceux qui commencent à se spécialiser dans la sûreté. Les données de base ne sont pas encore établies ou confirmées par l'expérience. Projeteurs et hommes de la sûreté s'attellent à la résolution de ce problème. Leur appartenance à un même organisme, dans un même département, permet le transfert des connaissances de l'un vers l'autre domaine, et ne peut apparaître que comme un avantage aux yeux des uns et des autres. La citation suivante du Chef du Service des Expériences critiques du Département des Etudes de Piles, explicite ce tronc commun de connaissances qui, en 1961, restent à acquérir. «[Les expériences critiques] sont réalisées afin de vérifier la validité des calculs et des théories en usage pour le calcul des piles. En principe, une connaissance complète des sections efficaces des matériaux, en fonction de l'énergie des neutrons, devrait permettre au physicien et à l'ingénieur de calculer les distributions spectrale et énergétique des neutrons dans une pile, et, par suite, de déterminer, dans tous leurs détails, les caractéristiques d'une pile en projet. En pratique, la complexité des piles de puissance, les incertitudes de certaines données «élémentaires» et la précision indispensable pour les projets font que les théories et les méthodes de calcul doivent être essentiellement utilisées comme un moyen d'approche et d'interpolation entre les résultats obtenus dans des mesures globales très précises, sur des réseaux aussi voisins que possible de ceux projetés. Il convient donc d'effectuer des études théoriques et expérimentales «élémentaires» portant sur les différents phénomènes et d'effectuer des études globales sur des «géométries» simples, en se rapprochant du réseau final.» 302

En plus des connaissances communes qui restent à acquérir, les ingénieurs qui se spécialisent dans la sûreté appartiennent tous au CEA et ont vocation au développement de l'énergie atomique et à faire bénéficier les projets de leurs connaissances particulières, de sûreté. L'ambiguïté est également entretenue par le fait que les spécialistes de la sûreté estiment que leur intervention doit se situer le plus en amont possible des projets. D'un point de vue institutionnel, la «confusion» des rôles est matérialisée par le fait que le chef du Département des Etudes de Piles, Jean Bourgeois, est également le responsable de la sûreté. Cela est d'ailleurs en plein accord avec sa philosophie de la sûreté qui doit apporter une aide et non pas être une entrave bureaucratique. Mais de par sa position, Jean Bourgeois dispose d'un véritable veto sur les projets lorsqu'il estime qu'au point de vue de la sûreté des problèmes se posent. Il reste à la sûreté à acquérir la reconnaissance de son utilité par les concepteurs.

Notes
302.

D. Breton, «Les expériences critiques dans le nouveau site de Cadarache», Energie Nucléaire, vol. 3, N°1, janvier-février 1961, pp. 22-24, p.22.