5.2. Les études générales de sûreté

A la suite des travaux démarrés aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, le CEA lance à son tour un programme d'études de sûreté.

Ces études se répartissent en études dites «générales» car elles sont communes à toutes les filières de réacteurs, et en études propres à chaque filière. Ces dernières ont un financement qui est assuré par les budgets de construction ou d'exploitation, tandis que les études générales de sûreté entreprises dans divers services et coordonnées par le GTSP sont financées sur le budget de la Direction du Cabinet du Haut-Commissaire. D'abord installés à Saclay, les ingénieurs du Groupe Technique de Sûreté des Pilles (GTSP) sont répartis à partir de 1964 entre Saclay et Cadarache. A Saclay ils effectuent l'examen des rapports de sûreté et la coordination des études de sûreté menées par les différents services. A Cadarache ils effectuent surtout les calculs de sûreté et les expérimentations. Les sujets importants dans ces études de sûreté sont l'extension des programmes de calcul sur machines afin d'évaluer quantitativement les phénomènes transitoires pouvant se produire lors d'accidents, la réalisation de dispositifs de sûreté spéciaux tels que des fusibles, l'amélioration des enveloppes de sûreté, la mise au point de filtres, les études sur les effets des tremblements de terre sur la protection des réacteurs.

Le programme d'études de sûreté porte principalement sur les différentes filières de réacteurs développés au Commissariat : les réacteurs de puissance (refroidis au gaz et modérés au graphite ou à l'eau lourde), les réacteurs de recherche refroidis à l'eau ordinaire ou encore les réacteurs à neutrons rapides. Les centrales à eau sous pression ou eau bouillante ne font pas l'objet d'études de sûreté en France jusqu'à la fin des années soixante.

Une grande partie des études s'attache aux accidents susceptibles de prendre en défaut une ou plusieurs des trois barrières classiques : la gaine, le circuit de refroidissement et si elle existe, l'enceinte de confinement munie de ses dispositifs de filtration. Quelle que soit la filière, deux types principaux d'accident sont envisagés par les ingénieurs du GTSP : les accidents de refroidissement d'une part et les accidents de réactivité d'autre part. Faisant le bilan de plusieurs années d'études 308 , le chef du GTSP, François de Vathaire, affirme que dans la plupart des types de réacteurs, les problèmes de sécurité les plus importants sont en fait liés aux accidents de refroidissement. C'est la marque d'une évolution , car jusque-là, l'accent avait été surtout mis sur les accidents de réactivité, comme en témoignent les études américaines Borax et Spert. Mis à part les réacteurs à neutrons rapides où les phénomènes sont moins bien compris, les accidents de réactivité pouvant conduire à l'explosion du réacteur semblent exclus. Les accidents de refroidissement concentrent l'essentiel de l'attention. Et l'on juge que les plus problématiques parmi ces accidents sont ceux consécutifs à une dépressurisation du circuit primaire. Ces accidents de dépressurisation nécessitent des calculs et des essais pour évaluer les dégâts des structures, l'évolution de température du combustible et la libération des produits de fission, problèmes dont la résolution fait l'objet du programme d'études de sûreté.

Parmi les études générales, celles menées sur les «enveloppes de sécurité» méritent une mention spéciale étant donné leur importance sur le plan économique, mais aussi parce qu'elles constituent un élément essentiel et original de la sûreté des réacteurs nucléaires par rapport aux autres installations industrielles à risque. Ces études sur les enceintes ont été initiées en France dans le droit fil des études américaines, et ce dès le début des années soixante, dans l'optique d'obtenir une sûreté à moindre coût. Or la question du prix de ces enceintes est d'autant plus importante qu'il peut en aller de l'avenir de telle ou telle filière de réacteurs. L'ingénieur responsable des études de sûreté au GTSP expose sa démarche en 1962 dans le BIST du CEA : «La réalisation d'une enveloppe de grande dimension, devant tenir une pression dépassant parfois plusieurs kg/cm2, avec des ouvertures d'accès et cependant un degré d'étanchéité sévère, est un problème difficile et coûteux. Aux Etats-Unis, où les réalisations d'enveloppes ont été assez nombreuses, on estime que le prix de revient d'une telle enveloppe varie de 75 à 250 NF par kilowatt installé : c'est beaucoup. Aussi, il faut étudier le problème de cette enveloppe de très près, afin de ne pas grever inutilement le budget de l'installation» 309 . Dès cette époque il existe une abondante littérature sur la question des enveloppes de sûreté. L'ingénieur du GTSP fait le bilan de toutes les enveloppes construites dans le monde. On peut constater que la plupart ont une même nuance d'acier, mais surtout qu'elles ont toutes été calculées d'après un même code, le code américain «ASME Boiler and Pressure Vessel (section 8)», qui exige un facteur de sécurité de 4 par rapport à la limite de rupture du métal. L'auteur pense que ce facteur de sécurité est «très sévère», du fait qu'il part notamment d'hypothèses très pessimistes. Selon lui, des conditions plus réalistes permettraient de réduire de moitié la pression maximale utilisée dans les calculs. «On voit que des études plus poussées permettraient de réduire sensiblement les caractéristiques et donc le prix de revient de ces enveloppes», conclut-il.

Notes
308.

De Vathaire, F., Vernier, P., Pascouet, A., «Conception de la sûreté en France et influence des impératifs de sûreté sur la conception des réacteurs», Communication à la Troisième Conférence des Nations Unies sur l'Utilisation pacifique de l'énergie atomique, Genève 1964, 28/P/82, Rapport CEA R2655, 19p, p. 2.

309.

Mattera, R., «Les enveloppes de sécurité des réacteurs nucléaires», BIST-CEA, N°63, Juillet 1962, pp. 49-75, p. 52.