5.4. Les études de sûreté relatives aux réacteurs de puissance de la filière eau lourde-gaz

5.4.1. Le projet EL4

La sûreté des réacteurs de puissance de la filière à eau lourde a été étudiée dans le cadre du projet EL4 313 , conçu sur les principes éprouvés à EL3. La réalisation d'EL4 est engagée par le CEA en 1961 et sa construction débute en 1962, en Bretagne, sur le site de Brennilis. D'une puissance de 70 MWe, le réacteur est refroidi par gaz carbonique sous une pression tenue par des tubes de force, à l'intérieur desquels sont disposés les éléments combustibles. Le réacteur est constitué par une cuve en acier inoxydable remplie d'eau lourde faisant office de modérateur. La centrale sera réalisée en commun par le CEA et EDF, le CEA étant chargé de la partie nucléaire, EDF de la salle des machines. Les études sont confiées à la société Indatom faisant office d'architecte industriel. 314

Aux yeux des ingénieurs du GTSP, ce type de réacteur présente l'avantage de ne pas offrir les conditions propices à de graves accidents, malgré son niveau de puissance élevé. 315 De «nombreuses études» de sûreté ont malgré tout été menées concernant le comportement du combustible en cas de dégonflage. Tout d'abord de «nombreux essais» sur maquettes ont été effectués en vue de permettre une meilleure évaluation de la rupture d'un tube de force, considérée comme l'accident maximum prévisible.

D'après les concepteurs 316 , une telle rupture ne devrait pas entraîner une grande libération de produits de fission parce que les gainages des éléments combustibles d'EL4 doivent être réalisés dans un métal pouvant supporter une forte température. Ils ont cependant fait mener des études en particulier du point de vue de la tenue de la cuve du réacteur, de l'éjection du modérateur et de la tenue des tubes de force voisins. Par mesure de prudence, ils ont également envisagé le cas d'une rupture d'un tube de force cumulée avec la mise hors service des dispositifs de soufflage et de secours : ceci les a amenés à étudier la question de l'enceinte de sûreté, qui serait alors le seul moyen efficace de protéger les abords de la centrale. Plusieurs variantes d'enceintes ont été envisagées, que ce soit en acier ou en béton, de forme cylindrique ou sphérique. Il faut dire que les dimensions d'une centrale de puissance à eau lourde - à la différence des centrales UNGG beaucoup plus volumineuses - autorisent la construction d'une telle enceinte étanche renfermant le réacteur, les circuits nécessaires au refroidissement ainsi que les salles de chargement et de déchargement du combustible. Mais là aussi, l'enceinte a un coût. Si cette dernière était justifiée au moment de la décision de construction par le manque de connaissances établies, Bourgeois peut même se demander en 1965 si au vu des expériences et essais menés jusque-là, il ne sera pas possible de conclure à terme qu'elle n'est pas nécessaire. 317

Des études ont été menées 318 sur un accident de rupture de tube de force. Les conséquences d'une rupture brutale sur les structures de la cuve ont été envisagées, des essais d'explosion de tube de force ont été réalisés sur un modèle 1/10ème. Les résultats de ces études ont des conséquences pratiques importantes sur la construction de la cuve (pression de calcul de la cuve et système d'évacuation et de récupération de l'eau lourde expulsée par l'explosion). Des essais grandeur réelle ont été effectués pour évaluer les conséquences de la rupture sur le combustible, et sur le risque de dénoyage. Des études ont également été menées concernant les conséquences de la rupture d'un petit collecteur alimentant un tube de force. La possibilité de rupture d'un gros collecteur a également été prise en compte même si la fuite du fluide primaire qui en résulterait a une probabilité estimée de plusieurs ordres de grandeur inférieure à celle de la rupture d'un tube de force, compte tenu des coefficients de sécurité adoptés et du contrôle permanent des températures. La possibilité de la rupture d'un gros collecteur a cependant conduit à étudier les phénomènes aérodynamiques de dégonflage et les efforts correspondants sur les structures du cœur, la protection biologique et l'enveloppe de sûreté.

Notes
313.

EL4 sera la seule centrale de puissance de la filière «eau lourde» construite en France.

314.

Indatom est le deuxième Groupement de sociétés (avec GAAA) suscité à partir de 1956 par le CEA pour assurer le rôle d'architecte industriel. Indatom a été constitué par la Banque de Paris et des Pays-Bas, la Compagnie des Ateliers et Forges de la Loire (CAFL), la Compagnie Electro-Mécanique (C.E.M.), la Société Babcock et Wilcox, la Société Neyrpic, Péchiney, la Compagnie des Forges de Châtillon, Commentry et Neuves Maisons (C.C.N.M.), la Société Saint-Gobain Nucléaire (S.G.N.), la Société Générale de Télégraphie sans fil (C.S.F.).

Robert Gibrat (X 1922), ancien Directeur de l'Electricité au ministère des travaux publics en 1940-41, Secrétaire d'Etat aux Communications en 1942 puis passé dans le privé, en est le Directeur Général en 1961.

315.

Cf. Bourgeois, J., «Die Reaktorsicherheit», op .cit., p. 642.

316.

Horowitz, J., Bailly du Bois, B., Naudet, R., «Le projet EL4», Energie Nucléaire, Vol. 3, N°6, 1961, pp. 369-389.

317.

Bourgeois, J., «Die Reaktorsicherheit», op. cit., p. 642.

318.

De Vathaire, F., Vernier, P., Pascouet, A., «Conception de la sûreté en France et influence des impératifs de sûreté sur la conception des réacteurs», Communication à la Troisième Conférence des Nations Unies sur l'Utilisation pacifique de l'énergie atomique, Genève 1964, 28/P/82, Rapport CEA R2655, 19p, pp. 3-6.