5.5. Les études de sûreté des réacteurs modérés et refroidis à l'eau ordinaire

Jusqu'en 1964 les études de sûreté au CEA ne concernent que les filières de réacteurs de puissance développées par le Commissariat. C'est pourquoi la sûreté des réacteurs à eau ordinaire sous pression ou à eau bouillante ne fait pas l'objet d'études jusqu'à cette date. Cependant, EDF participe à la Centrale à eau sous pression de Chooz, et le CEA suit l'important programme d'études de sûreté que l'AEC développe dans ce domaine. 323

La centrale franco-belge de Chooz, propriété de la SENA 324 est la première centrale de la filière uranium enrichi modérée et refroidie à l'eau légère à fonctionner en France. Engagée en 1960, les premiers bétons sont coulés en 1962, le couplage au réseau aura lieu en avril 1967. Elle restera la seule centrale de cette filière jusqu'à la divergence du premier réacteur de Fessenheim en 1977. La sûreté de Chooz est examinée par la SCSP pour la première fois en avril 63, et passe devant la CSIA en juin 1966.

Par contre, si les problèmes de sûreté des grandes piles de puissance à eau légère sont nouveaux pour les ingénieurs du CEA, ils ont déjà acquis une expérience de cette filière grâce au développement et à la construction de réacteurs de recherche, les piles Triton, Mélusine, Siloé, Pégase, et Osiris. Bien que les piles de recherche à eau soient considérées comme possédant un degré de sûreté élevé et que la cinétique en soit relativement bien connue, les ingénieurs ont souhaité mieux préciser certains aspects de l'évaluation de leur sécurité, pour plusieurs raisons. La puissance de ces piles doit augmenter jusqu'à 5 puis 10 MW voire plus encore, afin de mieux comprendre certains phénomènes dangereux et fréquents tels que l'introduction dans le cœur de boucles d'irradiations dangereuses. L'autre raison qui pousse à étudier plus à fond les aspects de sûreté de ces piles est qu'on souhaite pouvoir construire ces réacteurs de recherche sur des emplacements proches des villes ou des universités.

Les piles à eau légère étudiées par le CEA jusque-là appartiennent à la catégorie des réacteurs piscine. Ce sont des piles qui disposent d'une bonne sécurité intrinsèque grâce aux particularités de leur cœur et à la protection apportée par la piscine 325 . En effet, le combustible utilisé est gainé d'aluminium et sa grande surface permet d'évacuer dans l'eau des flux de chaleur importants. Toute augmentation brutale de la puissance est contrecarrée par le jeu du coefficient de réactivité négatif du modérateur. La piscine présente par ailleurs plusieurs avantages : une bonne protection mécanique contre les dégagements d'énergie, une masse calorifique importante facilitant le refroidissement en cas d'arrêt du refroidissement forcé. Elle assure par ailleurs un confinement des produits actifs en cas d'accident éventuel sur le cœur.

Des études de sûreté ont été menées sur les accidents de réactivité, explosifs ou non, sur les oscillations spontanées et sur les réactions métal-eau. Des études ont également porté sur les accidents de refroidissement, car malgré leur faible probabilité pour ces réacteurs, un accident de ce type était tout de même survenu aux Etats-Unis sur un réacteur de recherche à eau ordinaire, le Westinghouse Testing Reactor (W.T.R.) en 1960. L'influence de l'obstruction d'un élément combustible, le passage de la convection forcée à la convection naturelle en cas d'arrêt des pompes, ou la rupture du circuit de refroidissement comme celle de la piscine ont été particulièrement envisagés.

A la suite de ces études de sûreté sur les réacteurs de recherche à eau ordinaire, il a été jugé utile d'améliorer les connaissances sur les piles à eau dans certains domaines comme par exemple les conséquences des accidents destructifs sur l'intégrité du bâtiment réacteur, les risques d'oscillations de puissance et les accidents de refroidissement.

Notes
323.

De Vathaire et al., «Conception de la sûreté…», op. cit., p. 2

324.

La Société d'Energie Nucléaire franco-belge des Ardennes (SENA) appartient pour 50% à EDF et pour 50% à un groupement de producteurs belges d'électricité. Elle a été constituée le 25 mai 1960 pour la réalisation d'une centrale PWR sous licence Westinghouse dans les Ardennes, du côté français de la frontière.

325.

Lacour, J., Rastoin, J., de Robien, E., de Vathaire, F., «Problèmes de sûreté des réacteurs de recherche modérés et refroidis à l'eau ordinaire», BIST-CEA, N°63, juillet 1962, pp. 25-30.