5.7. Les études de sûreté relatives à l'émission et à la filtration des produits de fission

Si le but de la sûreté est de trouver les moyens de supprimer les causes pouvant conduire à l'émission et à la dissémination dans l'atmosphère des produits de fission ou d'en limiter les effets, une évaluation du risque global passe par une dernière étape qui consiste à estimer, au cas où un accident se produirait tout de même, quelles sont les propriétés des divers produits de fission, leur importance et leur toxicité relatives. Ce type d'études fait la jonction entre les activités des physiciens et celles des médecins.

Un programme d'études qualifié «de sûreté radiologique» a ainsi été lancé 342 pour préciser les phénomènes d'émission, de transmission au travers des matériaux du réacteur puis à travers l'enceinte, des matériaux de fission fondus ou oxydés qui résulteraient d'un accident. Tous les radioéléments n'ont en effet pas le même rendement de fission (de 0 à 8%, 0,38% pour le Ru106, 8% pour l'iode 134), la même période ou durée de vie moyenne (de quelques secondes à plusieurs dizaines d'années), la même toxicité ni la même facilité d'émission, celle-ci étant liée à la volatilité ou à l'affinité chimique du produit de fission ou de ces oxydes avec les matériaux de structure. Ce sont donc tous ces facteurs qu'il convient d'étudier précisément.

Cette évaluation est d'autant plus importante qu'on est bien conscient que si les parades existent pour éviter la dissémination de ces produits toxiques, notamment grâce à une enceinte étanche, d'autres considérations entrent en ligne de compte, en particulier économiques, comme le notent dès 1962 les ingénieurs et médecins en charge de ces questions au CEA : «Un compromis s'impose entre l'efficacité du confinement, les impératifs d'ordre physique (absorption de neutrons, limitation de température) et la rentabilité de l'installation en particulier pour les centrales nucléaires de puissance. L'incidence économique du réalisme des hypothèses concernant les accidents possibles, du plus probable au plus grave, est très lourde.» 343

Conformément à la ligne directrice de Jean Bourgeois, ils affirment que les études de sûreté doivent contribuer au développement de l'énergie atomique,: «Jusqu'à ces dernières années, en raison des performances relativement faibles des réacteurs (température, pression, combustible métallique, etc…) on a pu se contenter d'hypothèses pessimistes à défaut de renseignements plus précis et parvenir à des solutions relativement efficaces sans être trop onéreuses. Cette ère est révolue et l'apparition de réacteurs à gaz à hautes températures et hautes pressions, de combustible céramique (oxyde ou carbure) nécessite une connaissance plus approfondie des phénomènes d'émission de produits de fission si on veut rendre compétitive l'énergie d'origine nucléaire. La marge d'incertitude doit être resserrée et les facteurs de sécurité réduits à une valeur plus réaliste.» 344

Un programme de recherche intensif avait été lancé quelques années auparavant aux Etats-Unis et c'est dans la suite de ces travaux que les chercheurs du CEA s'engagent. Il s'agissait d'évaluer de façon «plus réaliste» selon l'expression des spécialistes, quelle fraction des produits de fission s'échapperait réellement du cœur d'un réacteur qui aurait fondu. En fait, il s'agissait de montrer que seule une partie des produits contenus dans le cœur se retrouverait dans l'atmosphère. Les chercheurs américains s'appuyaient notamment sur les résultats des essais destructifs opérés sur Borax 1 ou encore SPERT I. Cette dernière installation, ouverte à l'atmosphère, était recouverte d'une structure légère. Une insertion de volontaire réactivité avait été provoquée dans des conditions météorologiques complètement connues. On avait pu constater que seuls 35% environ du cœur en alliage d'aluminium avaient fondu alors qu'environ 2,4 105 Ci avaient été relâchés, représentant moins de 1% de la quantité des produits de fission du cœur. Quelques années plus tard, des chercheurs américains s'appuieront d'ailleurs sur les résultats de cet essai pour montrer qu'il est plus important à leurs yeux d'assurer la sûreté des réacteurs grâce à des propriétés physiques des matériaux qui limiteront la dispersion des poisons à l'extérieur, plutôt que de concevoir des dispositifs toujours plus nombreux et compliqués, dont l'efficacité sera toujours sujette à caution. En effet, résument-ils, «l'iode n'a été retrouvé que dans l'eau du réacteur. On a pu rentrer à nouveau dans le bâtiment 4 heures après. […] Les mesures de dissémination des produits de fission pour l'essai SPERT I ont montré que les relâchements dans l'atmosphère étaient d'environ 1% du contenu du cœur. Il y avait plus d'une puissance de 10 d'écart avec l'évaluation du risque faite avant l'essai (16%).» 345

Les recherches et le développement des connaissances sur la formation et le comportement des particules radioactives, en particulier leur taille, leurs propriétés électriques comme leur vitesse de diffusion sont lancées avec également pour but de réaliser des filtres plus efficaces, plus résistants à la température.

Notes
342.

Henri Jammet, David Méchali, Marc Dousset, «Problèmes sanitaires posés par l'élimination des déchets radioactifs et par les accidents nucléaires», Rapport CEA - R 2641, Genève 1964, A Conf. 28/P/870.

343.

Laffaire, M., Lavie, J. M., «Emission de produits de fission par des combustibles nucléaires fondus ou oxydés», BIST-CEA, N°63, juillet 1962, pp. 83-95, p. 84.

344.

Ibid. (souligné par nous)

345.

Levenson, M., Rahn, F., «Estimations réalistes des conséquences des accidents nucléaires», Revue Générale Nucléaire, 1981, N°2, pp. 121-129, p. 125.