6.1.1.2. Problèmes de construction.

La réalisation du caisson d'EDF1 ne fut pas sans poser de difficiles problèmes techniques, en particulier pour assembler ces tôles de grosse épaisseur (107 mm). Un premier incident se produit en septembre 1958 lors de l'exécution des premières soudures. Il n'est que le précurseur d'un autre incident qui se produit en février 1959, où une fissure d'une dizaine de mètres de longueur se développe. C'est le processus suivi pour l'assemblage des tôles en acier qui est en cause, les nombreuses soudures effectuées ayant laissé le métal dans un état fragilisé. L'énergie accumulée dans le métal s'est libérée brutalement, ce qui est typique du phénomène de rupture fragile. L'expertise métallurgique menée conclura à la défectuosité de la structure interne du métal due aux traitements thermiques pratiqués sur les tôles. Cette avarie entraîne la nécessité de redécouper le caisson, retraiter thermiquement les tôles, et complètement revoir la méthodologie de soudage des tôles lors de la phase de construction. La reconstruction du caisson est achevée en avril 61, et il peut être soumis à l'épreuve hydraulique réglementaire effectuée par l'administration des mines en août 61.

L'incident sur le caisson constitue un sérieux revers pour les ingénieurs d'EDF alors qu'ils tentent de s'émanciper des techniques utilisées par le CEA. Le choix du caisson en acier, en lieu et place des caissons en béton précontraint utilisés sur les réacteurs G, est incriminé. En fait, les ingénieurs d'EDF voulaient augmenter la puissance et donc la pression de fonctionnement du réacteur. Or on ne savait pas construire à l'époque des caissons en béton précontraint qui tiennent les pressions plus élevées envisagées. La solution «acier» étant par ailleurs utilisée aux Etats-Unis, les ingénieurs d'EDF pensaient pouvoir eux aussi réaliser une telle cuve et acquérir ainsi une expérience importante en la matière.

Ces problèmes de construction témoignent sans doute d'un optimisme excessif de la part d'EDF : on n'a pas évalué suffisamment la complexité de ces opérations, certes pas spécifiquement nucléaires, mais qui jouent un rôle important dans la sûreté. Le caisson est censé être une enceinte de confinement, donc la dernière barrière retenant les produits dangereux en cas d'accident. Le caisson d'EDF1 avait certes été inclus par mesure de précaution supplémentaire à l'intérieur d'une grande sphère d'acier de 55 m de diamètre et 20 mm d'épaisseur. Mais tout au long des études EDF n'avait pas considéré cette sphère comme une enceinte de confinement, seulement comme un bâtiment normal : son étanchéité et sa résistance à la pression n'avaient été envisagés que pour donner une valeur à l'expérience de construction ainsi faite. La tenue de la troisième barrière et du caisson en particulier était donc essentielle à la sûreté de l'installation.

La sûreté d'une installation nucléaire en effet repose non seulement sur une bonne conception du cœur du réacteur mais elle met également en œuvre un certain nombre de processus industriels de construction qui à cette époque n'ont jamais été pratiqués à cette échelle et ne sont pas parfaitement maîtrisés. La Direction de l'Equipement avait pourtant pris des précautions : elle avait fait appel aux compétences d'autres services d'EDF pour la métallurgie et la résistance des matériaux, elle avait eu recours à d'autres instituts français et étrangers sur ces problèmes : «Lorsque des difficultés apparurent au cours de la réalisation de Chinon A1, certains prétendirent que les contrôles exercés par EDF avaient été insuffisants. En fait, ils avaient dépassé en ampleur tout ce qui avait été fait précédemment pour d'autres ouvrages, mais ils avaient été basés à l'origine davantage sur la conscience professionnelle des acteurs que sur un formalisme rigide. Compte tenu des risques liés à d'éventuels incidents, chacun se sentait investi d'une grande responsabilité pour s'assurer que ce qu'il faisait était le mieux de ce qu'il était possible de faire.» 361

En cela, la Direction de l'Equipement d'EDF s'était pourtant inspirée des préceptes de l'Amiral américain Rickover, monstre-sacré de la communauté nucléaire, en particulier en tant que réalisateur du premier sous-marin nucléaire américain. Rickover affirmait que la réalisation des installations nucléaires ne relevait pas de techniques particulières, mais seulement de techniques conventionnelles (mécanique, électricité, génie civile) qu'il fallait mettre en œuvre avec beaucoup plus de rigueur et de soins que pour les autres installations. Mais EDF n'était pas seule partie prenante dans la construction de Chinon 1, et ce précepte aurait dû être partagé par tous les intervenants : «La Direction de l'Equipement avait tenu compte de ces préceptes, poursuit Lamiral, mais les difficultés qu'elle rencontra au cours de la réalisation des composants de Chinon A1 lui démontrèrent que, comme l'Amiral Rickover l'avait d'ailleurs laissé entendre, les efforts et les contrôles exercés par le maître d'œuvre ne pouvaient être efficaces que si en tout premier lieu, les constructeurs étaient eux-mêmes persuadés de la nécessité d'une plus grande rigueur de leurs actions, et de l'obtention d'une qualité bien supérieure à celle de leurs fabrications courantes.» Et Lamiral de conclure en rejetant en quelque sorte la faute sur l'incompétence de l'industrie pour le bas niveau de qualité de ces constructions : «à l'époque considérée, l'industrie française n'avait pas encore, en moyenne, évolué suffisamment dans ce sens.»

La Direction de l'Equipement dut renforcer les mesures de vérification : vérification des codes de calculs, essais sur maquettes, appel à d'autres expertises, mise au point de nouvelles méthodes de contrôle des soudures, par ultra-sons notamment. Et elle dut mettre en place un formalisme plus rigoureux pour les travaux.

Notes
361.

Lamiral, op. cit., p. 282.