6.1.3.4. L'étude des accidents

Après l'étude du site, de l'enceinte, du circuit primaire et de la sûreté du cœur, la Commission aborde l'étude des principaux types d'accidents à envisager : l'accident de réactivité, l'incendie de canal et la dépressurisation.

Une discussion s'engage à ce sujet sur le problème de la détection de rupture de gaine (DRG) et de la détection de rupture de gaine généralisée (DRGG) 375 . Messieurs Laurent et Lamiral précisent qu'il y a un dispositif automatique de chute de barres sur la DRGG, mais que celui-ci n'est pas branché, pour le moment, de crainte de chutes de barres intempestives. C'est pourquoi, à la place de l'analyse des gaz, un incendie de canal serait détecté par l'enregistrement des températures (les températures des 1148 canaux sont «balayées» en une minute). La sécurité résidera donc dans la comparaison des indications de température des canaux, et de la DRG.

M. Perrin estime qu'il est fâcheux de ne pas avoir de dispositif de sécurité automatique pendant une période où les accidents sont les plus probables. Il rappelle que, précisément, à G1, une combustion de cartouche s'est produite au moment de la montée en puissance. Il préconise donc l'étude d'un dispositif comportant trois détecteurs identiques, avec déclenchement de la sécurité pour deux dépassements sur trois du seuil fixé. M. Horowitz suggère que ce dispositif soit basé sur l'augmentation de l'activité  du circuit.

M. Bourgeois expose ensuite les conséquences possibles d'un accident de dépressurisation, accident qui paraît le plus grave. La rupture d'une canalisation principale de CO2 mène à des désordres qui comportent trois aspects principaux : un aspect mécanique instantané, un aspect thermique immédiat (10 premières minutes) et un aspect thermique retardé (plusieurs heures). Au point de vue mécanique, M. Bourgeois expose que l'on peut craindre le déplacement de lits de graphite, l'éjection des cartouches hors des canaux, la perturbation du fonctionnement des barres de sécurité et de compensation et la détérioration des soufflantes. Les calculs concordants, faits aussi bien par EDF que par le CEA, montrent «qu'on peut avoir un espoir raisonnable d'éviter ces conséquences» en disposant à l'intérieur des tuyauteries un dispositif statique, qu'EDF a pris la décision d'installer. Ce système dénommé tubes Venturi 376 permet de limiter en certains points la section du circuit de gaz réfrigérant : en cas de rupture d'une canalisation, un resserrement se produit dans le tube venturi, qui limite le flux d'échappement du circuit sous pression. Ainsi, on crée une diminution dans la différence de pression entre les parties haute et basse du resserrement. Les tubes venturis sont placés en des endroits judicieux pour assurer la protection des conduits, en général à la jonction entre la cuve et les tubes.

En ce qui concerne l'effet thermique immédiat, compte tenu des temps de réponse des sécurités électroniques, des temps de réponse mécanique des dispositifs, le GTSP a pu établir par le calcul que moyennant certaines limitations de la puissance spécifique et de la température de gaine, la température de fusion de la gaine ne sera pas atteinte. M. Bourgeois ajoute qu'il y aurait très grand intérêt à vérifier ces calculs par l'expérience. Des essais sont envisagés à Marcoule, mais ils ne peuvent pas être entrepris immédiatement car ses services n'ont pas, en période d'exploitation, la possibilité de placer les thermo-couples nécessaires. Il propose par contre de faire cette expérience au moment du démarrage d'EDF1, parce que c'est le moment où l'on dispose d'un grand nombre de thermocouples. Cette remarque de M. Bourgeois témoigne des impératifs d'exploitation du Commissariat qui laissent finalement peu de temps aux études, ce qui justifie la commande de réacteurs spécifiques dédiés aux problèmes de sûreté. Jacques Yvon faisait une remarque similaire en 1960 à propos des piles d'essais et Aquilon en particulier : «Dans notre hâte, nous avons dû nous en passer jusqu'à présent pour le programme graphite, nous contentant d'abord de méthodes de calcul plus ou moins éprouvées et ensuite de contrôler celles-ci en utilisant chaque fois, pendant quelques semaines ou quelques mois, chaque pile fraîchement terminée avant d'en être chassés par les exploitants. Mais nous devons disposer bientôt, à Marcoule, de Marius, nouvelle pile à graphite destinée à ces travaux.» 377

A propos de l'effet thermique retardé on retrouve les problèmes méthodologiques propres à ces calculs qui nécessitent l'introduction de coefficients expérimentaux. M. Bourgeois précise que si on adopte certaines valeurs d'origine étrangère pour les coefficients d'oxydation du graphite, on peut craindre une oxydation divergente de l'empilement, c'est pourquoi il a été demandé au Comité du Graphite de mesurer ce coefficient de manière plus précise. En conclusion de cette question, le Haut-Commissaire souligne que certaines incertitudes seront difficiles à lever, par exemple l'effet des impuretés déposées sur le graphite qui pourraient servir de catalyseurs, c'est pourquoi il recommande la prudence.

Pour justifier les mesures prises par EDF, M. Laurent donne quelques indications sur l'efficacité des venturis installés dans EDF1 pour limiter la vitesse de dégonflage, et des diaphragmes placés sur les collecteurs des échangeurs. Ces dispositifs permettront de rester au-dessous du seuil de déplacement du graphite et d'envol des cartouches. Pour l'effet thermique immédiat, il lui semble qu'il n'y a pas de crainte à avoir puisqu'on reste au-dessous de la température d'inflammation. Pour l'effet thermique retardé, les résultats sont «moins nets». Deux moyens de refroidissement seront disponibles : le soufflage par une soufflante auxiliaire, et l'injection de CO2 provenant du stock du site .

Le Haut-Commissaire insiste sur l'intérêt de préserver ces possibilités de refroidissement, à l'aide d'une ou plusieurs soufflantes auxiliaires, d'une part, et d'un stock suffisant de CO2 d'autre part.

Notes
375.

L'étanchéité des gaines en magnésium est contrôlée en permanence par un circuit de détection de rupture de gaine (DRG) qui comporte une prise d'échantillon de gaz par canal, des réfrigérants, une robinetterie de sélection, des détecteurs d'activité, des surpresseurs qui réinjectent l'échantillon dans le circuit. Le fonctionnement des détecteurs est basé sur la mesure de l'activité des produits de filiation des Xénon et Krypton de fission. L'activité propre du gaz, fonction de la puissance du réacteur est soustraite du signal d'ensemble. L'installation toute entière fonctionne automatiquement sous le contrôle de calculateurs numériques. Un canal est scruté toutes les 24 minutes. Les résultats des mesures sont enregistrés sur des téléscriptrices.

Par ailleurs, un prélèvement d'échantillon dans la masse de gaz à la sortie du réacteur permet de déceler précocement une importante rupture de gaine et d'ordonner l'arrêt du réacteur (DRGG).

L'installation de détection d'EDF1 comprend ainsi 1608 robinets, 1655 électrovannes, près de 50 km de tubes, 14 prospecteurs dont deux pour la DRGG. A chaque prospecteur est associé un filtre, un débitmètre, un manomètre et un thermomètre.

376.

J. Bourgeois, D. Costes, C. Henri et C. Ségot, G. Lamiral, «Problèmes de sécurité des réacteurs de puissance à uranium naturel modérés au graphite et refroidis au gaz», Colloque sur la sécurité des réacteurs, Vienne, 14-18 mai 1962, AIEA, STI/PUB/57, SM-24, pp. 151-170.

377.

Yvon, J., «Les possibilités qu'offrent actuellement les piles atomiques et nos projets d'avenir», Revue de l'enseignement supérieur, 1960, pp. 55-65, p. 65.