6.1.3.4. Délibération et conclusion de la commission

La présentation du dossier une fois terminée, les représentants d'EDF se retirent pour laisser la commission délibérer. Le Haut-Commissaire demande alors aux membres de la Commission leur avis sur les points sur lesquels il y a lieu d'appeler l'attention d'EDF, soit officieusement, soit dans l'avis officiel. Cet avis lui semble devoir refléter d'une part le fait que le rapport de sécurité a fait l'objet d'une étude approfondie de la part de la Sous-Commission de Sûreté des Piles, d'autre part que les mesures prises pour limiter les conséquences d'un accident - très peu probable, mais pouvant être grave - paraissent dans l'ensemble satisfaisantes. Le Haut-commissaire s'interroge notamment sur l'opportunité de suggérer l'installation d'un filtre à iode.

Jules Horowitz tient à rappeler que deux questions semblent particulièrement importantes : premièrement, en cas de fusion d'un barreau, la sécurité sur la mesure des températures est «illusoire» car à ce moment-là il ne sort plus de gaz (le canal est bouché); le deuxième problème est la coulée d'uranium métal sur le fond de la cuve du réacteur.

Le Haut-Commissaire pense qu'effectivement il est important de souligner à EDF la nécessité d'arrêter le réacteur, de la façon la plus rapide possible, dès le début d'un incendie de barreau, puisque c'est là l'accident qui pourrait avoir les conséquences les plus graves, mais «en donnant toutefois à cet avis une forme assez générale pour laisser à Electricité de France le choix du dispositif.»

M. Horowitz n'est pas favorable à la rédaction d'un avis définitif, qui pose de difficiles problèmes sur la surveillance de la tenue des aciers. Il propose que la Commission demande à revoir le rapport fait après dépouillement des résultats des montées en puissance. Cette suggestion est retenue par le Haut-Commissaire qui estime qu'elle permettra, dans un avenir ultérieur, de mieux préciser certaines conditions de sécurité, comme celle du comportement des aciers sous radiation. Dans le même ordre d'idée, l'expert du Département de métallurgie, M. Weisz, indique qu'à son avis les critères adoptés, dans l'immédiat, pour la résistance des aciers, sont tout à fait raisonnables, mais qu'il est plus inquiet sur la façon dont on a extrapolé ce qui se passera à long terme. Il propose que des renseignements complémentaires soient demandés à EDF à ce sujet.

Le Haut-Commissaire tire la conclusion de la réunion : la Commission peut émettre un avis favorable sur la montée en puissance d'EDF1, et elle demandera à procéder ensuite à un nouvel examen du dossier de sécurité. Les expériences, les résultats des essais faits au cours de cette période permettront à la Commission de se faire une opinion beaucoup plus précise sur la sûreté de l'installation. A ce moment-là il sera possible de se prononcer sur certaines questions, comme le comportement des aciers. Il demande à M. Bourgeois et M. Long de rédiger un projet d'avis de la Commission sur ces bases.

L'avis de la CSIA est envoyé par le Haut-Commissaire Francis Perrin à M. Ailleret, Directeur Général Adjoint à Electricité de France dans une lettre du 11 janvier 1963.

‘«La Commission de Sûreté des Installations Atomiques (…) estime satisfaisants, sous le rapport de la Sûreté, les dispositifs techniques des différentes parties du réacteur EDF1, pour les opérations de montée en puissance. Elle appelle toutefois l'attention d'Electricité de France sur les points suivants :
1) nécessité de l'existence, dès la montée en puissance d'un dispositif automatique de chute de barres, à partir du dispositif le plus rapide et le plus sûr de détection d'une grosse rupture de gaine;
2) nécessité de définir en détail, d'après le résultat des expériences effectuées lors de la montée en puissance, les règles d'exploitation en fonctionnement normal, et les manœuvres à entreprendre en cas d'incident;
3) intérêt éventuel de l'installation ultérieure de dispositifs de rétention d'iode.
La Commission estime qu'il lui sera nécessaire, avant de donner un avis sur la sécurité du fonctionnement régulier d'EDF1, de procéder à un nouvel examen de l'ensemble des problèmes de sûreté de la Pile, à la lumière de l'expérience acquise lors de la montée en puissance.» 378

Se souvenant de cette première confrontation avec la commission du CEA, sorte de grand oral pour les ingénieurs d'EDF, Lamiral rend un hommage appuyé au Haut-Commissaire : «La présentation du rapport à la CSIA fut l'occasion pour tous les présents d'admirer l'extraordinaire vivacité d'esprit du grand savant qu'est M. Francis Perrin qui aussi bien pour les problèmes scientifiques que pour les problèmes technologiques détecte instantanément les points fondamentaux.» 379

L'image de Grand Oral n'est sans doute pas dénuée de tout fondement. Les ingénieurs d'EDF, outre leur jeune âge, ont été formés à l'énergie atomique au sein de l'Institut National des Sciences et Techniques Nucléaires, sous la houlette des grands noms du CEA, dont ils ont été les élèves. Lors de l'examen de leur projet, ils exposent devant des hommes dont l'expérience en matière d'énergie atomique a de quoi impressionner. Outre Francis Perrin qui fut l'un des pionniers aux côté de Joliot, Halban et Kowarski, l'un des «examinateurs» est Jules Horowitz, considéré comme l'un des meilleurs physiciens de son époque, et spécialiste du développement des piles en tant que Directeur des Piles Atomiques du CEA.

Notes
378.

Le texte se trouve dans Lamiral, op. cit., tome 2, annexe 35, pp. 214-215.

379.

Lamiral, op. cit., p. 291.