6.2.2.2. La centrale de Chooz

Un autre angle d'attaque d'Euratom pour s'immiscer dans les affaires nucléaires françaises, ce que le CEA considère comme son pré carré, est sa participation aux études de sûreté de la Centrale de Chooz.

On se souvient que la centrale franco-belge des Ardennes fait partie des six centrales de technologie américaine dont la livraison découle de l'accord Euratom-Etats-Unis de novembre 1958. Malgré son engagement dans la filière graphite-gaz avec le CEA, EDF n'avait pas les mêmes préventions que le Commissariat à l'égard des filières étrangères. EDF souhaitait développer d'autres types de réacteurs pour en comparer et la fiabilité technique et la rentabilité économique, et notamment les filières à eau et à uranium enrichi développées aux Etats-Unis.

Quelques mois après la signature du traité d'Euratom, les Etats-Unis organisent une grande campagne de promotion où des représentants européens sont invités sur place à juger de visu l'avancement des technologies américaines. C'est à l'occasion de ces visites que les représentants d'EDF prennent contact avec les représentants belges, et que germe l'idée de faire une centrale commune. 395 Même si l'intérêt de l'état major d'EDF pour cette filière est partagé par le directeur de l'Electricité au ministère de l'industrie, EDF devra vaincre de multiples résistances du côté du CEA et du gouvernement, notamment depuis l'arrivée au pouvoir du Général de Gaulle en juin 58. Le projet de centrale franco-belge utilise en effet de l'uranium enrichi dont l'approvisionnement est tributaire des Etats-Unis. Après des pressions du gouvernement belge et d'Euratom, EDF obtient finalement l'accord du gouvernement en 1959 pour la poursuite du projet. Une Société d'Energie Nucléaire Franco-Belge des Ardennes (SENA) est constituée le 25 mai 1960, détenue à 50% par EDF et à 50% par un regroupement des cinq sociétés belges de production d'électricité, pour la construction et l'exploitation d'une centrale. Le choix se porte sur la filière à eau pressurisée, la SENA retenant la proposition d'un groupement formé de la société des Ateliers de Charleroi pour la Belgique, Framatome - qui a été créée pour l'occasion en 1958 par le groupe Schneider - pour la France, Westinghouse pour les Etats-Unis. Le consortium doit fournir une chaudière à eau pressurisée qui doit entraîner un groupe turbo-alternateur de 305 MWe. Le site retenu pour la centrale est situé dans une boucle de la Meuse, à proximité de la frontière franco-belge mais du côté français des Ardennes, non loin d'une localité du nom de Chooz. La centrale présente la particularité d'être disposée dans une caverne creusée dans la roche.

Lors de la séance de la Commission de Sûreté du 1er octobre 1963 où est évoquée la participation d'Euratom aux études de sûreté de la centrale des Ardennes, le Haut-Commissaire déclare que le CEA ne peut pas s'opposer à ce que le rapport de sûreté soit soumis à Euratom par la SENA. 396 Il propose que le CEA collabore sans signer de rapport commun à ce sujet : la présentation du dossier de sûreté aux autorités d'Euratom d'une part, à la CSIA d'autre part, devra se faire de manière distincte. En effet, en contrepartie de sa fourniture d'uranium enrichi à un faible prix, Euratom se réservait le droit d'examiner la sûreté de l'installation. L'autorisation sera donnée selon la procédure française, la centrale se trouvant en territoire français, mais des experts d'Euratom assisteront aux réunions d'examen de la sûreté. 397

Notes
395.

Pour de plus amples informations, on pourra se rapporter aux ouvrages suivants : Félix Torres et Véronique Lefevre, Chooz de A à B. Une histoire de la filière à eau pressurisée racontée par Electricté de France, Direction de la Communication d'Electricité de France, Paris, 1996. Floquet, Pierre-Henri, Histoire de la centrale nucléaire des Ardennes, AHEF, Paris, 1995.

396.

PV CSIA, Séance du 01/10/63.

397.

Cf. Jean Bourgeois, «La sûreté nucléaire», in P.-M. de la Gorce (ed.), L'aventure de l'atome, tome 2, Flammarion, 1992, p. 295.