6.3. Un timide début de réglementation spécifique aux installations nucléaires : le décret du 11 décembre 1963

Jusqu'à la fin 1963, la CSIA est de fait amenée à examiner la sûreté des installations proposées par les industriels, que ce soit EDF ou l'industrie privée. Mais aucun texte réglementaire ou législatif n'encadre cette pratique et les responsabilités ne sont pas clairement définies. Un certain nombre de faits nouveaux vont pousser le gouvernement à mettre en place une procédure d'examen des installations nucléaires qui soit moins inféodée au CEA.

Depuis 1955, EDF est entré dans le domaine nucléaire en participant avec le CEA à la récupération d'énergie des piles G. Rapidement, EDF conçoit ses propres installations, en s'éloignant des projets du CEA. Des rivalités émergent entre les deux organismes qui n'ont pas les mêmes , le CEA étant plus orienté dans la recherche et favorisant l'industrie nationale privée, alors qu'EDF est préoccupée par la production d'électricité et se méfie de l'industrie privée. Ces perspectives différentes expliquent un certain nombre de choix opérés par EDF dans la conception des réacteurs de Chinon, qui s'écartent des propositions du CEA. Les frontières entre les attributions fixées par les ordonnances de création des deux organismes ajoutent à la confusion : l'ordonnance de 1945 précise que «le CEA réalise à l'échelle industrielle les dispositifs générateurs d'énergie d'origine nucléaire», alors qu'EDF était chargée de la production et du transport de l'électricité en général. Les ingénieurs d'EDF supportent de moins en moins bien la tutelle de ceux du CEA, en particulier par le biais de la sûreté.

Les divergences croissantes entre les deux organismes expliquent la volonté du gouvernement français de créer un système de contrôle des questions nucléaires qui soit extérieur au CEA. Cette démarche aboutit à la signature par le premier ministre d'un décret en date du 11 décembre 1963 398 définissant des «installations nucléaires de base» (INB) et instituant une Commission interministérielle des installations nucléaires de base (CIINB) chargée d'examiner les textes réglementaires en la matière et en particulier l'autorisation de création de ces installations.

Le décret est adopté après une étude faite par le CEA, seul expert dans le domaine nucléaire, projet auquel Jean Bourgeois a activement participé. Témoignant des tâtonnements ministériels face à l'unité de vue du CEA, Bourgeois relate presque trente ans plus tard : «la réglementation nationale avançait avec une sage lenteur. Apparemment, beaucoup de ministères se sentaient concernés, mais éprouvaient une grande difficulté à exprimer leurs souhaits. Certaines attributions données au CEA par l'ordonnance qui l'avait créé compliquaient la tâche des rédacteurs. Il en résultait un retard à la sortie des textes réglementaires et le premier réacteur de Chinon risquait de démarrer avant leur publication.» 399 Ce flou réglementaire explique la demande faite à la CSIA par le directeur général d'EDF d'examiner la sûreté d'EDF1.

Notes
398.

Décret n°63-1228 du 11 décembre 1963 relatif aux installations nucléaires (J.O. du 14.12.63).

399.

Bourgeois, J., «la sûreté nucléaire», op.cit., p. 294